par Pierre Marchand *
François Hollande l’avait promis : il serait un président normal. Si l’on s’en tient au sens commun du mot, c’est-à-dire au sens ou François Hollande est un président comme les autres, on peut largement lui donner raison, qui plus est au chapitre de l’économie.
Bien sûr on pourra gloser sur la différence entre son mandat et le précédent en matière fiscale ou au sujet des questions de société. Immanquablement on pointera les différences de styles entre un agitateur trop concerné et un néo-Chirac qui n’a jamais semblé l’être. Mais il est des similitudes qui confinent à la convergence de principe, ce qui tendrait à démontrer que nous avons affaire à une pathologie qui dépasse la personnalité ou même les grandes orientations politiques de nos deux derniers présidents. Cette maladie quasi-institutionnelle, c’est la tendance, ou plutôt faudrait-il dire le réflexe, à repousser systématiquement les engagements, décisions et réformes économiques et financières qui deviennent pourtant aussi importantes qu’urgentes.
Les cessions de certaines participations de l’Etat dans les entreprises cotées en bourse en sont un symptôme flagrant. En les annonçant il y a quelques jours lors de son intervention télévisée, Jean-Marc Ayrault assurait que le produit de ces cessions ce servirait pas à « boucher les trous » budgétaires mais à financer des investissements d’avenir. Les investissements d’avenir… une musique que l’on avait déjà entendue sous la présidence Sarkozy lors du lancement avorté du grand emprunt national, qui s’est soldé par un endettement supplémentaire sur les marchés financiers. Doit-on d’ailleurs s’en étonner ? Avec un taux d’intérêt proche de 2%, il était beaucoup plus rationnel de ne pas faire appel au contribuable, ce qui du reste n’avait pas été « autorisé » par les instances européennes. Mais ce n’est pas la question : ce qui est ici envisagé c’est de céder une part des participations de l’Etat pour réinvestir dans d’autres projets. C’est ce qu’on appelle un « arbitrage ». La véritable question, c’est la définition des investissements d’avenir. Les 60000 emplois promis pour l’éducation nationale feront-ils partie des investissements d’avenir ? Sans aller jusque-là, il n’est pas inutile de se poser la question, qui en appelle une autre : où sont passés les 35 milliards du plan d’investissement de 2010 ? Quels investissements ont été réalisés et avec quels objectifs ? Il resterait environ 6 milliards à disposition du Commissariat Général à l’Investissement (sous la responsabilité de Louis Gallois), et ce serait à sa demande que le gouvernement a consenti une rallonge à cette enveloppe. Cette stratégie, que M. Ayrault semble considérer comme un jeu (« jouer ici où là » avec les participations de l’Etat) pose plusieurs problèmes.
D’abord, le seul exemple que le Premier Ministre a donné concerne le financement de l’installation du haut-débit (internet) sur l’ensemble du territoire. Le haut débit pour tous (20 milliards d’euros tout de même) créera sans doute un certain nombre d’emplois, mais ne fera pas éclore le future Google français que tous appellent de leurs vœux. Ajoutons que ces investissements se font sans politique industrielle cohérente et que le nécessaire effort d’innovation ne saurait justifier l’abandon voire le sabordage de notre industrie et notamment de l’industrie intermédiaire. Cette idée a également ceci d’ironique qu’il est plutôt d’usage de financer les dépenses avec les ressources budgétaires et les investissements avec la dette. Aujourd’hui on fait l’inverse : la dette refinance l’endettement passé (donc les dépenses budgétaires) et l’on cherche ailleurs les ressources pour financer les investissements. Or qui comblera le manque à gagner de ressources que procuraient ces participations ? La dette bien sûr ! Car n’oublions pas que, même si le calendrier de ces cessions apparaît judicieux (l’indice CAC 40 a progressé de 30% en un an), les entreprises du CAC 40 ont distribué en 2012 une moyenne de 4,4% de dividende, ce qui signifie que les 60 milliards de participations de l’Etat lui ont rapporté environ 2,5 milliards d’euros. Se séparer même partiellement d’une telle manne récurrente en période de disette budgétaire a donc un côté suicidaire. L’autre ironie de la situation réside dans le fait que le gouvernement fait de telles annonces en pleine cacophonie autour de l’avenir de Dailymotion. Nous évoquions l’ambiguïté de la politique économique et industrielle, mais Fleur Pellerin n’est même pas ambigüe : « Dailymotion n’a pas vocation à rester franco-français » et admet que « les pépites françaises ont du mal à grossir, il faut les aider ». Avec tant de signaux contradictoires, la crédibilité du gouvernement en la matière peut être sérieusement mise en doute (elle n’avait d’ailleurs pas besoin de cela). Il est vrai que l’Etat n’est pas spécialement en mesure de procéder à des dépenses inconsidérées.
Et pour cause : il ne sera pas même en mesure de tenir ses engagements budgétaires auprès de l’Union Européenne et a dû négocier une prorogation jusqu’à fin 2015 pour atteindre la sacro-sainte barre des 3% de déficit. Il n’est évidemment pas question de prendre le parti de l’UE, mais nous avons toujours considéré que le retour à l’équilibre budgétaire était indispensable dans la mesure où les déficits actuels ne financent aucune croissance mais caractérisent une gestion calamiteuse dans un système qui ne survit que grâce à l’argent qu’il distribue même quand il ne l’a pas. Ce que font les gouvernements depuis une trentaine d’année n’est que reporter le poids de l’endettement public sur les générations suivantes, et nous tenons ce comportement pour criminel. Notre président s’est même payé le culot d’affirmer, au sujet des prévisions de croissance et de déficit, qu’ « il ne sert à rien d’afficher des objectifs s’ils ne peuvent être atteints »… Rappelons que la prévision de croissance du candidat Hollande il y a tout juste un an était de 1,7% pour 2013 (elle était récemment de 0,8% pour le gouvernement contre moins de 0,5% pour l’UE ou le FMI).
C’est encore le même comportement qui pousse nos dirigeants à tout faire pour sauver l’euro. Les différents plans de sauvetage de plusieurs centaines de milliards d’euros repoussent l’échéance d’une explosion sans doute inéluctable. Mais c’est un comportement inhérent à un système dans lequel toute politique ne peut être jugée qu’à l’échelle d’un mandat électoral. L’UMP a beau jeu de critiquer le gouvernement et son échec à réduire significativement et durablement le déficit budgétaire. Ses membres n’ont pas fait autre chose lorsqu’ils étaient « aux affaires », expression qui résonne étrangement à l’heure des révélations de Cahuzac et des soupçons concernant le financement de la campagne de l’UMP. Un comportement – nous disions plus haut un réflexe – tellement systématique qu’il ne peut être le fruit de la coïncidence. On nous reproche parfois de donner la monarchie comme solution à tous les problèmes. Nous n’avons pas cette prétention, mais nous avons celle de croire que cette politique du sursis est doublement caractéristique du système politique et économique. La loi de l’opinion publique a logiquement dérivé vers la dictature de la popularité qui est aussi celle du court terme.
C’est aussi la logique d’un ultralibéralisme inconséquent qui vit de son profit immédiat comme les partis vivent de leur succès électoral.
L’AF n° 2863 http://www.actionfrancaise.net
* Pierre Marchand, rédacteur à L’Action Française, est spécialiste des questions économiques.