Le « Grand Jacques »… Non, nous n’évoquerons pas ici Jacques Doriot mais un autre Jacques qui fut parfois nommé tel de par son singulier parcours criminel : Mesrine, l’homme qui fut, dans les années 1970, celui après qui couraient toutes les polices de France et fut alors désigné « ennemi public n°1 ». Il y a 5 ans, le cinéaste français Jean-François Richet consacra au légendaire bandit deux films de grande qualité dont nous allons parler maintenant. Ce n’est pas la première fois que Mesrine est honoré au cinéma (il l’a déjà été plusieurs fois) mais l’on constate que l’intérêt - la fascination ?- est toujours vif envers certaines grandes figures du banditisme de ces années-là, pensons par exemple à Albert Spaggiari… Pourquoi ? Car dans notre époque morne et aseptisée, l’audace et les prises de risque qui furent réelles de la part de ces hommes qui détroussaient les riches et les banques font parfois que l’on a tendance à voir en eux de grands rebelles qui osaient décider de ce qu’était leur liberté et de s’opposer d’une certaine façon à la société de leur temps. Quoi qu’on pense de leur parcours, il laisse rarement indifférent.
L’Instinct de mort traite des débuts de Jacques Mesrine dans la criminalité tandis que L’ennemi public n°1 se base sur son parcours dans les années 1970. Du début des années 1960 à sa mort le 2 novembre 1979, ce sont donc la vingtaine d’années de carrière de Mesrine dans le banditisme qui sont ici évoquées en deux films durant, en tout, près de 4 heures. Malgré cette longueur, il est évident que tout ne pouvait être dit sur Mesrine mais les choix réalisés ont été heureux et les inévitables éléments de fiction accolés aux faits habilement choisis.
Jacques Mesrine, qui servit comme soldat durant la guerre d’Algérie, rentre en France en 1959. Originaire d’une famille bourgeoise de Clichy, il ne tarde pas à réaliser que la vie de monsieur-tout-le-monde n’est pas pour lui et intègre un groupe de truands plus ou moins affiliés à l’OAS avec qui il réalise ses premiers coups. Ceci n’est que le début d’une longue fresque criminelle où Mesrine va défrayer la chronique, tant en France qu’à l’étranger (au Canada notamment) et alterner avec différents complices, parfois hauts en couleurs eux aussi, attaques à main armée (sur des banques, maisons de haute couture, casinos…), kidnappings de riches personnages, périodes de prison et spectaculaires évasions d’établissements de haute sécurité (la Santé à Paris par exemple). Entretenant son image d’ « ennemi public n°1 », Mesrine écrit en prison mais surtout utilise la presse pour magnifier son personnage, faire différentes revendications et critiquer voire menacer le Système et son arsenal judicaire. Incapable de freiner ses ardeurs, il va même jusqu’à torturer et laisser pour mort un journaliste de Minute qui l’avait calomnié. Recherché, traqué par toutes les polices de France, il est froidement abattu le 2 novembre 1979 à Paris, porte de Clignancourt par les hommes du commissaire Broussard, qui lui courait après depuis des années.
Le scénario décrit plus haut suit donc Mesrine d’une manière chronologique en s’arrêtant évidemment sur les évènements les plus marquants de sa vie. Le personnage est quant à lui traité d’une manière assez objective à mon sens même si l’on sent bien une certaine sympathie pour lui de la part du réalisateur… Mesrine nous est montré comme un homme ne doutant jamais de lui-même ou de ses choix de vie : seule importe pour lui sa liberté d’action qu’il n’hésite jamais à défendre de la manière la plus violente possible. Extrêmement charismatique, il joue beaucoup de ce trait de personnalité envers les autres, en particulier les femmes, mais a des relations parfois difficiles avec ses associés effrayés par sa trop grande impulsivité. Assoiffé d’une liberté totale, il ne peut la conjuguer avec une vie dite normale, ce qui le pousse à des relations tendues avec ses proches, notamment ses parents ou la mère de ses enfants dont il ne s’occupa que très peu. Bon vivant, il aime les femmes, l’alcool, le jeu, la gastronomie mais surtout l’action. Cette action vaut pour elle-même et pour ce qu’elle rapporte tant sur le plan financier que médiatique. Comme il est dit plus haut, Mesrine soignait la mise en scène de son personnage et cherchait grandement la notoriété médiatique (elle ne se démentit pas pendant des années… et même encore aujourd’hui).
Ce personnage haut en couleurs est joué à la perfection par un Vincent Cassel qui semble réellement habiter son personnage : mimiques, attitude générale, tout y est. Il est accompagné par de très bons seconds rôles, en particulier Gérard Depardieu campant Guido, un vieux truand aux sympathies OAS, et la jolie Ludivine Sagnier qui prend le rôle de Sylvia Jeanjacquot, dernière compagne du criminel. Et quant à Jean-François Richet, réalisateur connu pour ses sympathies d’extrême-gauche mais surtout pour le tristement célèbre Ma 6T va crack-er ? On trouvera à différents moments du film des indices sur les opinions de celui-ci, notamment dans les propos qu’il met dans la bouche de Guido ou du journaliste de Minute étant donné que ces hommes n’ont forcément pas ses idées… Toutefois, force est de constater que les délires politiques assez flous qu’a pu avoir Mesrine dans ses derniers mois sont habilement présentés pour ce qu’ils sont : des élucubrations peu sérieuses d’un truand voulant se muer en révolutionnaire d’extrême-gauche… Bref, hormis le très fin soupçon de politiquement correct que l’on trouvera en cherchant bien, Richet a réalisé avec ses deux Mesrine des films policiers de tradition française comme on savait les faire avant. Des films qui certes contiennent de l’action mais se basent avant tout sur les personnages et l’ambiance d’une France qui a bien changé. Il rejoint en cela Olivier Marchal qui a, lui aussi, réalisé de très bons films ces dernières années. Si le cinéma français actuel est plus que déplorable, il reste tout de même certains réalisateurs qui sauvent l’honneur, notamment dans le genre policier. Richet fait désormais partie de ceux-là.