L'esprit aventureux et l'humour peuvent très bien aller de paire. C'est ce que démontrent de façon irréfutable la vie et les œuvres de Samuel Langhorn Clemens, beaucoup plus connu sous le nom de Mark Twain.
À lui seul, d'ailleurs, le pseudonyme choisi par le grand humoriste américain fournit un reflet de son existence pour le moins agitée. Il vient, en effet, des quatre années que le père de " Tom Sawyer " passa comme pilote sur le Mississippi : " Mark twain ! ", était tout simplement le cri des veilleurs sur les «riverboats». annonçant deux fathoms (quatre mètres) de fond à la sonde.
Né en 1835 dans une petite ville du Missouri, Samuel Clemens était le fils d'un athée légèrement fou et d'une mystique impénitente. De plus, sa venue au monde avait coïncidé avec l'apparition de la comète de Halley. Il vécut avec l'idée que cette comète réapparaîtrait pour sa mort et, chose curieuse, il ne se trompa pas.
Un parfait garnement
Elevé sur les bords du Mississippi, dans l'univers qu'il sut si bien évoquer, des années plus tard, dans « Tom Sawyer » comme dans « Hukleberry Finn », le futur Mark Twain semble avoir grandi comme un parfait garnement, enclin aux pires méfaits et aux plus grandes audaces. Au point que, chaque fois qu'on lui rapportait son fils, fraîchement repêché dans le fleuve, sa mère proclamait :
- Je n'étais pas inquiète; les gens qui sont destinés à être pendus ne se noient jamais ...
À douze ans, en 1847, ayant perdu son père, il quitta l'école pour devenir apprenti typographe dans l'imprimerie et le petit journal que possédait son frère. Et, assez rapidement, il commença à écrire ses premiers articles, que la postérité n'a pas retenus.
À dix-huit ans, il quitta la petite ville d'Hannibal, cadre de ses premiers exploits, pour voyager dans tout le Sud des États-Unis, en louant ici et là ses services de typographe. Puis, en 1857, il prit le chemin de la Nouvelle-Orléans avec une grande idée en tête : s'embarquer pour l'Amérique du Sud et remonter jusqu'aux sources de l'Amazone. Mais il s'arrêta très vite en chemin et devint pilote sur le Mississippi.
La route de l'Ouest
Ce fut la Guerre de Sécession qui vint, en 1861, interrompre sa carrière fluviale. Sudiste fidèle, encore qu'anti-esclavagiste, Samuel Clemens devint, pour un court moment, sous-lieutenant dans un bataillon de volontaires confédérés, mais ne vit l'ennemi nordiste qu'une seule fois, d'une berge à l'autre d'une petite rivière.
En 1862, il prit la route de l'Ouest, encore sauvage, pour aller rejoindre son frère, nommé secrétaire du territoire de Carson City. Il tenta de se faire chercheur d'or, afin d'atteindre très vite la richesse, mais dut rapidement déchanter.
Il gagna donc San Francisco, où il devint journaliste et acquit très vite la réputation d'un humoriste impénitent. Encouragé par le romancier Bret Harte, il commença à écrire pour lui-même, et, en 1865, parut sa première nouvelle : « La célèbre grenouille sauteuse du comté de Calaveras ».
Dès ce moment, le succès était en route. Il se rendit aux îles Hawaii et entama ensuite, tout en continuant à écrire, une brillante carrière de conférencier.
Il fit une assez longue tournée en Europe, dans le bassin méditerranéen et jusqu'en Terre Sainte, dont il tira toute une série d'articles, publiés en série d'articles, publiés en volume en 1869 sous le titre " Innocents abroad ". Ayant épousé, en 1870 une jeune dame de la Nouvelle-Angleterre., l'homme du Missouri se fixa dans le Connecticut, « pour être enfin respectable », comme il le disait lui-même.
Mais, à ce qu'il semble, il ne tarda pas à étouffer un peu dans son nouveau milieu trop guindé. C'est alors qu'avec un léger esprit de provocation, il écrivit " Roughing it " (" À la dure "), où il contait avec une verve galopante ses aventures dans l'Ouest:
« S'il ne vous est jamais arrivé de faire un feu de camp le soir avec les flèches prélevées dans les cadavres des divers membres de votre famille, vous ne savez pas ce que c'est que la vie. »
Affaires malheureuses
« Tom Sawyer » devait naître en 1876, « Le Prince et le pauvre » en 1882 et « Huckleberry Finn » - que certains considèrent comme son chef-d'œuvre en 1884. Entre deux romans. il continue à écrire des contes et des nouvelles, ainsi que des récits de voyage. En 1889, c'est « Un Yankee à la cour du roi Arthur », livre satirique de haute volée.
Mais, malheureusement pour lui, il tente aussi de faire des affaires - ne serait-ce, peut-être, que pour s'affirmer dans la société mercantile de Nouvelle-Angleterre. Il s'y monte aussi peu heureux que dans sa recherche d'or dans le Nevada, quelque trente ans plus tôt.
En 1893, malgré le succès qu'il continue à remporter auprès du grand public, il se retrouve pratiquement ruiné, criblé de dettes et accablé de toutes parts par les soucis, qu'ils soient financiers ou familiaux : deux de ses filles meurent et sa femme tombe gravement malade.
Extérieurement, il s'efforce de faire bonne figure et de jouer les éternels humoristes, notamment dans les tournées de conférences qu'il effectue dans le monde entier. Cependant, qu'il le veuille ou non, un aspect longtemps enfoui de son caractère est remonté à la surface, fait de mélancolie, de pessimisme foncier et même de misanthropie. Il connaît aussi hérédité maternelle ? - des crises d'angoisse religieuse où il se prend à considérer ses malheurs comme la punition et l'expiation de ses péchés.
Ses livres, de « Souvenirs persormels de Jeanne d'Arc » au dernier, « Le Mystérieux étranger », reflètent de plus en pius cet état d'esprit.
En avril 1910, la comète de Halley réapparaît et Mark Twain disparaît, suivant de six ans sa femme dans la tombe. La légende veut que, sentant le trépas venir, il ait fait ouvrir tous les rideaux pour contempler le ciel de la nuit.
Mais, comme les vieux soldats de la célèbre ballade, les grands humoristes ne meurent jamais. Tom Sawyer et son complice Huck Finn sont restés là pour enchanter des générations d'enfants épris d'aventure et les faire rêver des petites îles herbeuses du Mississippi, où l'on joue si facilement à cache-cache avec le monde gris des adultes. De courtes nouvelles comme « Les Jumeaux », « Le grand convoi de bœufs » ou « Comment je devins directeur d'un journal d'agriculture » la plus merveilleuse leçon de journalisme que connaisse l'auteur de ces lignes - continuent à faire rire aux larmes toute personne ayant la chance de les lire.
Et puis, humoriste éternel mais journaliste à l'œil aigu, Mark Twain demeure aussi le témoin privilégié d'une Amérique en mouvement, d'une Amérique qui bougeait vite et violemment.
Jean Bourdier National Hebdo janvier 1988