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5 novembre 1193 : la répudiation d'une reine

Dans la tradition de la monarchie sacrée, le roi ne s'appartient pas. Il se doit de conformer, à chaque moment de sa vie, son existence quotidienne à la loi non écrite qui en fait tout à la fois le chef (la "tête") et le premier serviteur de son peuple. C'est dire que la notion de vie privée est, dans son cas, toute relative. y compris en ce qui concerne sa vie amoureuse.
Peut-on parler de vie amoureuse lorsqu'il est question de mariage ? La question, appliquée au monde féodal, paraît saugrenue. Le mariage est en effet un contrat entre deux clans familiaux, qui y trouvent le moyen d'apaiser un conflit, de conclure ou de renforcer une alliance, de concilier des intérêts. Moins, encore qu'un autre, le roi de France ne peut échapper à cette règle. Ainsi le jeune roi Philippe, sacré et couronné quelques mois plus tôt, épouse-t-il en avril 1180 Isabelle, fille de Baudouin, comte de Hainaut, et de Marguerite, sœur du comte Philippe de Flandre. Le mariage est célébré à l'abbaye royale de Saint-Denis et le comte de Flandre porte l'épée pendant la procession. À son époux de quinze ans, la mariée, âgée elle-même de dix ans, apporte l'importante région qui prendra plus tard le nom d'Artois. Par ailleurs, cette union met en échec la puissante maison de Champagne, à laquelle appartient la mère du roi, Adèle, et son oncle l'archevêque de Reims le clan champenois rêvant de tenir sous sa tutelle le nouveau souverain.
En 1184, le roi annonce devant une assemblée de barons son intention de se séparer de son épouse. Il ne met pas ce projet à exécution et Isabelle lui donne un fils trois ans plus tard. Une seconde grossesse lui est fatale. Inquiet de la chétivité de son premier héritier, Philippe Auguste entend se remarier pour procréer d'autres garçons et son choix se porte sur Ingeburge, sœur du roi de Danemark. La rencontre a lieu le 14 août 1193 et le mariage est célébré le jour même. Le lendemain, Philippe expédie la jeune mariée au monastère de Saint-Maur-des-Fossés ... et annonce son intention de faire annuler le mariage. Motif invoqué : les nouveaux époux auraient de trop proches liens de parenté. Personne n'est dupe. La non consommation du mariage paraît une raison plus fondée, Philippe ayant manifesté à l'égard d'Ingeburge une répulsion physique qui ne se démentira jamais. Toujours est-il qu'une assemblée, où figurent quinze évêques et dont les membres sont en majorité tout acquis au roi déclare, le 5 novembre 1193, Philippe légalement séparé de la reine.
Séquestrée dans un monastère, la jeune répudiée en appelle au pape. Le vieux Célestin III ne se presse pas de répondre. Pendant ce temps, Philippe s'éprend d'Agnès de Méran, fille du duc Bertold, née au Tyrol. La belle Agnès ne quitte plus le roi, l'accompagnant même à la chasse où, dit-on, elle manie l'épieu avec efficacité. Elle lui donne un fils et une fille. Amant et père comblé, Philippe doit déchanter lorsqu'il reçoit l'injonction du nouveau pape Innocent III, farouchement attaché aux principes théocratiques et qui entend donc régenter toute la chrétienté, y compris en pliant les souverains à sa volonté. Ordre est donné au roi de France de reprendre Ingeburge, l'épouse délaissée. Comme il ne veut rien entendre, l'interdit est jeté sur le royaume de France, c'est-à-dire que toute activité religieuse y est suspendue. Ne pouvant faire payer par son peuple le prix de sa passion pour Agnès, qui attend un nouvel enfant, Philippe se résout, la mort dans l'âme, à l'éloigner. Retirée au château de Poissy, elle meurt en couches, donnant naissance à un fils qui ne lui survit que de quelques heures. 
Philippe reprend Ingeburge auprès de lui en 1213. Mais il ne lui ouvrira jamais son lit.
P V National Hebdo du 5 au 11 novembre 1998

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