Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Le mimétisme journalistique et le politiquement correct

Guillaume Bernard répond à Atlantico à propos de la droitophobie. Extraits :

"Les choses sont en train, lentement, de changer, un certain nombre d’intellectuels ou de politiques s’assumant de nouveau de droite. Cependant, il est peu niable qu’il n’y ait encore, en France, une « droitophobie » qui a commencé à apparaître à la fin du XIXe siècle, s’est amplifiée dans l’entre-deux guerres mondiales et a joué à plein à partir de la guerre froide. Elle est le fruit, d’un côté, de l’offensive intellectuelle de la gauche et, de l’autre, de l’abandon du terrain culturel par la droite pendant des décennies, toute une grande partie d’entre-elle se cantonnant à des arguments, en attaque ou en défense, sur le terrain de la gestion et de la comptabilité : elle accusait la gauche d’être financièrement irresponsable tandis qu’elle s’affirmait économiquement compétence.

La droite a donc longtemps laissé, même si elle s’en défendait, non seulement le « monopole du cœur » mais aussi celui du cerveau à la gauche : les idées nouvelles et généreuses étaient à gauche, les vieilles lunes poussiéreuses étaient de droite. La droite s’est laissée intellectuellement comme écraser par la gauche (ce qu’Albert Thibaudet a pu qualifier de « mouvement sinistrogyre »). D’ailleurs, sous la Ve République, à part quelques personnalités, les hommes politiques de droite ne se sont pas, jusqu’à très récemment, reconus comme tels. Une expression, bâtie par le philosophe américain Léo Strauss, permet de comprendre le ressort profond de la « droitophobie » : la reductio ad hitlerum. Autrement dit, toute une partie de la gauche ne cherche pas à répondre rationnellement aux idées, aux arguments et aux raisonnement de la droite, mais entend les disqualifier, émotionnellement, en les associant voire en les assimilant à ce qui est instinctivement honni. [...]

Toute une gauche intellectuelle a toujours eu un sentiment de supériorité parce qu’elle est supposée incarner le progrès, être dans le sens de l’histoire (et de la science). Ses adversaires étant, de toute façon, inéluctablement condamnés par l’évolution du monde, leurs idées étant malséantes voire nauséabondes, il est légitime d’utiliser contre eux des moyens radicaux pour les mettre hors jeu. Nous sommes, là, en présence d’une manifestation de terrorisme intellectuel dont le « politiquement correct » est la forme édulcorée. Le terrorisme intellectuel est l’une des stratégies visant la manipulation de l’opinion publique (elles ont été mises au jour notamment par le linguiste nord-américain Noam Chomsky). Ses méthodes peuvent être résumées ainsi : l’intimidation de l’adversaire par l’invocation de tabous « moraux » (c’est la police de la pensée), puis sa disqualification par le recours à des arguments d’autorité (la position combattue étant présentée comme simpliste, dépourvue de fondement ou inapplicable) entrainant son isolement par une présentation manichéenne des enjeux (contraignant les « neutres » à se coaliser contre lui sous peine de lui être assimilé) et, enfin, si nécessaire, sa diabolisation (technique de l’amalgame). [...]

Vu de l’extérieur, il est assez fascinant de constater une quasi-unanimité parmi les journalistes sinon sur la position défendue sur certains sujets du moins dans la manière de les aborder. D’aucuns pourraient y voir un complot. L’explication est, très vraisemblablement, beaucoup plus simple : le mimétisme (dévoilé par Gabriel Tarde). Chacun cherche, naturellement, à réussir ou maintenir son intégration dans le corps social (en règle générale, la société dans son ensemble mais aussi, parfois, une communauté choisie). Afin de ne pas en être rejeté, l’individu épouse les valeurs majoritaires du groupe en question. Les idées qu’il défend sont moins les siennes que celles auxquelles il adhère par imitation du comportement dominant. Il n’y a pas de raison que ce qui est vrai pour le commun des mortels ne le soit pas aussi pour les journalistes.

Faut-il en conclure que l’opinion publique est manipulée par une profession idéologiquement homogène ? Il s’agit d’une des questions les plus délicates de la sociologie politique. Il est certain que l’individu est influençable. Tout un chacun a souvent besoin (parce que personne n’est omniscient) d’être aidé pour formuler un avis sur certains sujets. En raison de son manque de temps et de références pour étudier une question, il recherche une synthèse. Or, les journalistes (avec les hommes politiques et les sondeurs) sont un relais privilégié des « abrégés de la décision » (énoncés courts et simples résumant une problématique et une position). Aussi, la personne est-telle tentée, par facilité, d’endosser ces formulations (le « prêt-à-penser ») et de les prendre pour le résultat de sa propre réflexion. En outre, ses groupes de référence (famille, amis, travail) filtrent l’information qu’elle reçoit et, par souci de tranquillité d’esprit, elle ne s’expose généralement qu’aux médias qui la confortent dans son opinion préétablie.

Les journalistes ont donc la capacité de participer à faire progresser ou à bloquer le développement de certaines idées. Ils contribuent à former l’opinion publique en sélectionnant et hiérarchisant les sujets : ils focalisent l’attention sur certains événements ou idées et détournent d’autres. Sauf à faire ouvertement de la propagande, les médias ne disent pas directement et ouvertement ce qu’il faut penser, mais ils orientent vers ce à quoi il est intelligent, moral et légitime de s’intéresser. Tabler sur la sincérité et la compétence des journalistes ne les exonère donc pas de leur immense responsabilité. Sont-ils dans leur rôle et font-ils preuve d’une indépendance d’esprit quand ils se font les propagateurs du « politiquement correct » ou du « historiquement dans le vent » ? [...]

Michel Janva  http://www.lesalonbeige.blogs.com/

Les commentaires sont fermés.