Première biographie de Pompée en langue française depuis des décennies, on peut se réjouir qu’elle provienne d’un historien sérieux qui s’est fait particulièrement remarquer ces dernières années grâce, entre autre, à sa somme consacrée aux gladiateurs : La mort en face ; Le dossier gladiateurs. On peut s’étonner à juste raison que le personnage de Pompée n’ait pas reçu plus d’attention que cela de la part des historiens modernes car il est l’une des plus grandes figures de l’antiquité romaine. Grand adversaire de Jules César, sa défaite face à celui-ci n’en fait pas quelqu’un de moins intéressant ou de moins représentatif de cette époque troublée que fut la fin de la république romaine, qui voit peu à peu son esprit disparaître entre dissensions politiques, ambitions démesurées d’hommes soucieux de bafouer ses règles et incapacité d’adaptation à un empire qui dépasse depuis longtemps la simple péninsule italienne. Oui, à l’époque de Pompée, la concordia tant louée par les Romains, n’est plus vraiment de mise et c’est une situation de guerre civile qui ne dit pas toujours son nom qui prévaut.
A l’image de son modèle Alexandre le Grand, Pompée eut un destin glorieux et tragique à la fois. Général très jeune, il est déjà surnommé Pompée le Grand alors qu’il n’a pas 25 ans. Rempli d’audace, allant de victoires en victoires, il a droit trois fois au triomphe militaire de son vivant. Ses victoires tant sur les trois continents que sur mer firent de lui un personnage de premier plan, influent dans les provinces qu’il avait soumises comme à Rome, bâtisseur de villes et faiseur de rois à l’étranger.
Une vie au service de Rome
Pompée est né en -106 dans une famille influente de notables du Picenum. Issu de la classe des chevaliers, sorte de bourgeoisie de l’époque, il compte parmi sa famille quelques grands noms. Son père surtout, Cnaeus Pompeius Strabo, va faire une belle carrière politique et accéder à la magistrature suprême, le consulat, en -89. C’est à ses côtés que Pompée va faire ses débuts, lors de la guerre des alliés, qui voit son père accéder au triomphe. Le jeune Pompée ajoute donc très jeune à son éducation gréco-romaine (qu’il ne peut donc approfondir) une solide formation militaire qu’il entretiendra toute sa vie. A partir de -88, Rome entre dans une période de guerre civile très meurtrière et Pompée se range du côté des optimates de Sylla qui font face au parti populaire du vieux général Marius. Sylla ayant triomphé et étant devenu dictateur à Rome, il favorise grandement l’ascension de ce jeune homme qui l’a bien aidé et est devenu l’un de ses lieutenants les plus proches. Pompée s’attire pourtant bien vite la méfiance de son maître à cause de son ambition qui apparaît vite comme démesurée un jeune homme de 25 ans qui parvient par exemple à obtenir un triomphe militaire en dépit des interdictions légales du cursus honorum, du jamais vu à Rome ! Désormais, Pompée est connu sous le nom de Cnaeus Pompeius Magnus - Pompée le Grand - et il est un personnage avec lequel il faut compter.
Dans les années qui suivent, Pompée fait la guerre de manière quasi-continuelle. Il vainc au terme d’une très dure guerre de près de 4 ans le dernier grand lieutenant de Marius en Espagne : Sertorius. Il débarrasse peu après la Méditerranée du fléau de la piraterie avant de partir en guerre contre le grand ennemi de Rome à cette époque : Mithridate, roi du Pont. Cette campagne en Orient sera l’occasion pour lui d’accéder à une gloire inégalée et de marcher dans les pas d’Alexandre le Grand, son modèle. Il soumet les peuples les uns après les autres, place Rome dans une position d’arbitre de la région, fonde des villes où il se bâtit une nombreuse clientèle, rapporte à Rome un butin d’une ampleur jamais vue (ses 50 000 légionnaires recevront chacun à l’issue de cette campagne 1500 dragmes soit 15 ans de solde…) et deux nouvelles provinces. Nous sommes en -63, Pompée, de retour à Rome, triomphe une troisième fois avec un faste inégalé par le passé : son cortège fait 10 km et il faut 700 bateaux pour ramener d’Orient le butin de la campagne…
Revenu en Italie pour de bon, Pompée va désormais se consacrer à la politique. Le constat est sévère : il n’a que peu d’alliés réels et est rejeté par la grande aristocratie qui voit d’un mauvais œil ce parvenu capitaliser sa position auprès du peuple grâce à sa gloire militaire. Cette situation est à l’origine de ce que l’on a appelé le premier triumvirat (-60) : accord personnel passé entre Pompée, Crassus et César visant à promouvoir les intérêts de chacun en une période de plus en plus instable politiquement : en particulier lors des élections au consulat qui sont de plus en plus l’occasion de troubles très violents sur le forum… C’est l’époque où l’on sent que la République vacille fortement, la caste des sénateurs reste, comme toujours, crispée sur ses privilèges, les démagogues du parti populaire tels Clodius mènent une agitation permanente dans les rues de la ville et la violence politique devient monnaie courante entre factions rivales. La guerre civile n’est pas loin.
Même s’il obtient encore par la suite de belles fonctions et commandements, Pompée est finalement assez peu habile pour la politique et verra son influence réelle décroître au fur et à mesure au profit de celle de César, ce qui l’amènera peu à peu à se détacher de lui et à parfois voguer entre des alliances éphémères tant du côté des optimates que des populares, n’ayant jamais choisi un camp précis. Consul (unique !) une troisième fois en -52, il arrive à ramener le calme à Rome mais ne parvient pas à remettre sur pied une république moribonde qui souffre désormais d’un trouble supplémentaire : sa rivalité avec Jules César, son allié d’hier. Ce dernier triomphe depuis des années en Gaule, son prestige est immense et ses calculs politiques ne le sont pas moins : très généreux, il s’est acheté de nombreux soutiens et est très populaire, depuis longtemps, parmi le peuple romain car il est, malgré ses origines patriciennes, l’homme fort des populares. Pompée, quant à lui, est allié aux optimates, le parti sénatorial qui haït César et ne veut qu’une chose : conserver son statut privilégié. Les deux hommes veulent être les premiers à Rome et autour de leur rivalité vont se cristalliser les luttes politiques de leur époque amenant à une inévitable guerre civile.
Celle-ci trouvera comme prétexte le refus de César d’abandonner son commandement militaire et ses troupes. Déclaré ennemi public par le pouvoir en place, César entamera sa marche sur Rome (-49), marche victorieuse qui verra Pompée et les optimates fuir la ville éternelle afin de mieux résister ailleurs… On connait la suite : les Pompéiens, détenteurs de la légitimité sénatoriale, résisteront de leur mieux mais seront balayés par César qui utilisera au mieux sa chance et son sens politique (sa générosité et sa clémence envers ses ennemis d’hier) pour vaincre des forces adverses qui étaient loin d’être négligeables…
A la suite du désastre de Pharsale (-48), le grand Pompée n’est plus, il n’a plus rien et se retrouve à fuir comme un simple paria à la tête de seulement quelques hommes. Cherchant refuge en Egypte où il a quelques amis influents, il ne se doute pas que le jeune pharaon Ptolémée XIII et ses cupides conseillers ne veulent pas d’un exilé de la sorte qui pourrait entacher leurs relations à venir avec le nouveau maître de Rome. Sur la barque qui l’amène de son bateau au rivage égyptien, le grand imperator est tué comme un chien dans une embuscade: plusieurs fois transpercé, il agonise sans dire un mot avant d’être décapité. Cette mort tragique bouleversera César qui, après avoir pleuré la mort tragique de son ennemi, fera retrouver et tuer les coupables de ce meurtre odieux. La mémoire de Pompée sera de même honorée par celui qui finira lui-même tragiquement assassiné 4 ans plus tard. A l’époque de fafwatch et de Clément Méric, ça fait réfléchir, n’est-ce pas ?
Un personnage complexe
Eric Teyssier s’attache à dresser du grand imperator un portrait permettant de mieux comprendre sa vie et ses choix. Le premier est son ambition, il veut être le premier mais pas à n’importe quel prix : il veut être aimé, trait de caractère qui le différencie déjà beaucoup de César. Hautement fidèle en amour, il ne le fut pas toujours en amitié, ce qui amena beaucoup de déconvenues dans les relations humaines qu’il avait avec des personnages comme Cicéron par exemple… Dans ses derniers mois, allié aux optimates face aux Césariens, Pompée ne mène la barque qu’imparfaitement, il est très influencé par son entourage et est de moins en moins respecté si bien qu’il finira à l’issue du désastre de Pharsale par fuir quasiment seul et sans amis…
A cause de cette ambition qui le dévorait et de son manque de sens politique, il a vogué au fur et à mesure de sa carrière entre les alliances éphémère si bien qu’il ne fut jamais réellement d’aucun parti et agit trop souvent comme un « dilettante » pour reprendre l’auteur. Incapable d’une vision politique à long terme, il prouve lors de son consulat unique de -52 qu’il n’est pas l’homme qui peut réformer la République romaine durablement.
L’homme a cependant de bons aspects. Ayant passé une bonne partie de sa vie en tant que chef militaire, il était très soucieux du sort des légionnaires. Partageant leur quotidien au combat, n’hésitant pas à monter en première ligne avec eux dans sa jeunesse, il s’employa à ce qu’ils soient récompensés de tous les sacrifices que la vie militaire impliquait : que cela soit par sa générosité envers eux lors du partage du butin ou par son action politique envers ses vétérans. Il faut d’ailleurs souligner que beaucoup de ceux-ci répondirent à son appel quand il fallut s’opposer à César…
Si Pompée est avide de pouvoir, il est cependant absolument insensible à l’argent et l’on retrouve chez lui un sens de vieux romain attaché aux valeurs qui avaient fait la grandeur de l’urbs : fides, pietas, virtus. Cela prouve en quelque sorte que les jeux politiques n’étaient pas faits pour un tel homme qui était plus à sa place parmi les légionnaires que parmi les politiciens avides qui, à sa différence, savaient employer la rhétorique… Cependant, les ambitions de Pompée sont à remettre dans leur contexte. En effet, les aspects militaire et politique à Rome sont hautement liés, donc faire une belle carrière militaire amène en toute logique à entrer en politique. De plus, il ne faut pas oublier qu’il est issu de l’ordre des chevaliers, ordre qui, à cette époque, se caractérise par une influence de plus en plus forte sur la société de par sa puissance financière. Si Pompée n’est pas attiré par le gain, il est quand même marqué par l’ambition qui caractérise son ordre social d’origine qui veut toujours plus et qui, malheureusement pour Rome, prendra de plus en plus de poids au fur et à mesure du temps…
Personnage avec ses grandeurs et ses faiblesses, emblématique d’une époque –la Rome républicaine- qui meurt quasiment avec lui, le parcours de Pompée est résolument riche d’enseignements et le livre d’Eric Teyssier permet de mieux le connaître… et surtout de mieux le comprendre.