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Une écologie qu'on oublie trop (archive 1989)

J'ai été frappé la semaine dernière, lors d'un débat auquel participaient le patron des écolos, Waechter, et trois ministres ou ex-ministres de l'environnement, de voir qu'ils n'étaient pratiquement d'accord sur rien à propos de la couche d'ozone, de la dioxine ou des centrales nucléaires, mais qu'en revanche il y avait une pollution plus dangereuse que toutes les autres et de laquelle l'opinion ne semblait pas se préoccuper outre mesure : la pollution atmosphérique. Or, curieusement, alors que télé, radios, magazines d'opinion ou à sensation et presse quotidienne se précipitent pour prêter main forte aux amis des ours ou aux adversaires des bombes à aérosols, le silence n'est pratiquement pas troublé lorsqu'il s'agit de pollutions devenues traditionnelles, peut-être parce qu'on les trouve désuètes ou définitivement intégrées dans le décor.
✎ Des dégâts irréversibles
Tous ceux qui arrivent en avion sur Paris par beau temps, cependant, connaissent ce cocon de poussières et de particules dont la ville est enveloppée et qui en constitue l'atmosphère. De même, en arrivant à Marseille par l'autoroute Nord, on perçoit soudain la mauvaise odeur qui s'impose avant de pénétrer dans la cité, pourtant en bordure de la mer et fréquemment balayée par le mistral, en plus des quelque trente-deux vents qui l'aèrent pratiquement en permanence. Qui n'a pas été assailli, en mille coins de France, par la pestilence de l'air due à une tannerie, une raffinerie, une industrie chimique, par les poussières d'une usine thermique, d'une cimenterie, d'une carrière, par les fumées, vapeurs et autres émanations ? Sans doute a-t-on pris des mesures pour tenter de réduire tous ces déchets volatils et plus particulièrement l'anhydride sulfureux que son mélange avec l'humidité ambiante transforme en aérosols d'acide sulfurique dont l'accumulation peut provoquer des désastres. Sans doute a-t-on réduit les émissions d'hydrogène sulfuré qui est surtout désagréable pour l'odorat. Quant au gaz carbonique, certains nous prédisent que l'augmentation constante de son volume pourrait finir par faire fondre les glaces polaires à la suite du réchauffement de l'atmosphère, mais c'est là un danger encore lointain.
Plus immédiat, selon certains, et Haroun Tazieff a dit être de ceux-là, est le danger présenté par le monoxyde de carbone, essentiellement constitué dans les villes par les gaz d'échappement des véhicules automobiles et dont on peut constater l'un des effets sur les façades des immeubles bordant les rues à forte circulation. Comme c'est un gaz lourd et rapidement diffusé par le brassage de l'air, il ne monte guère que jusqu'à hauteur du deuxième étage... mais au-dessous, et en particulier à hauteur d'homme, sa concentration peut aller jusqu'à dépasser 200 mg au mètre cube. Quant à son effet, il peut être d'autant plus grave que les lésions qu'il provoque (à forte dose ou, absorbé de façon régulière) sont irréversibles et qu'elles concernent l'irrigation du cerveau.
Les voitures, encore, et le chauffage au mazout, largement employé dans les agglomérations urbaines depuis des années, émettent aussi des hydrocarbures contenant des substances cancérigènes, et des aldéhydes responsables, par concentration, de l'irritation des muqueuses de l'œil en période de forte pollution. Il faudrait aussi parler de bien d'autres produits comme l'amiante, par exemple, dont l'usage est de plus en plus répandu dans les garnitures de freins et qui serait à l'origine de plus de tumeurs encore que les hydrocarbures polycycliques. De même que les particules de charbon utilisées dans les gommes de pneus et dont la pulvérisation sous l'effet de l'usure contribuerait à accroître le nombre des cancers en pénétrant directement dans les poumons. Et que dire du plomb, qui peut détruire les globules rouges, favoriser la venue d'ulcères sur le tube digestif, entraver l'ossification normale du squelette par troubles de la fixation du calcium, s'accumuler dans le foie et le système nerveux, et entraver l'activité enzymatique, celle qui préside à la synthèse de l'hémoglobine en particulier. Sans oublier tous les autres métaux à l'état de traces - et toxiques par eux-mêmes ou jouant un rôle de catalyseurs -, mercure, fer, cobalt, nickel, chrome, béryllium, cadmium, manganèse, vanadium, etc.
Les Britanniques ont estimé que 10 pour cent au moins de la mortalité générale, chez eux, était due aux bronchites chroniques qui ne sont pourtant pas, hélas, les seules maladies souvent causées et toujours aggravées par l'atmosphère empoisonnée de gaz, de particules et de poussières. Et à ceux qui veulent faire du tabac le grand responsable, le Haut Comité de l'Environnement répondait il y a des années déjà que le taux de mortalité par cancer broncho-pulmonaire était environ deux fois plus élevé dans les zones urbaines que dans les zones rurales, que ce taux de mortalité augmentait plus vite à la ville qu'à la campagne, qu'il existait une corrélation entre les taux standardisés des cancers bronchiques et la densité de la population et, surtout, que des études épidémiologiques avaient montré que l'on pouvait atteindre, chez les populations respirant, leur vie durant, un air renfermant 1 mg/m³ d'hydrocarbures polycycliques exprimés en benzo (a) pyrène utilisé comme indicateur, à une augmentation de taux des cancers bronchiques de 0,28 %. Le Haut Comité concluait ainsi : « Il est incontestable qu'en permanence sont en suspension dans l'air des villes des corps dont le pouvoir cancérigène est prouvé par l'expérimentation scientifique en laboratoire. Ces corps sont-ils seuls responsables de la survenue des tumeurs et de l'augmentation de leur nombre ? »
✎ Le premier écologiste
A cette question, le Haut Comité ne répondait pas. Mais, il y a maintenant plus d'un demi-siècle, que le prix Nobel Alexis Carrel a répondu dans son célèbre livre L'Homme, cet inconnu et notamment en écrivant : « Dans l'organisation du travail industriel, l'influence de l'usine sur l'état physiologique et mental des ouvriers a été complètement négligé (...) La construction des grandes villes s'est faite sans plus d'égards pour nous (...) La ville moderne se compose de ces habitations monstrueuses et de rues obscures pleines d'air pollué par les fumées, les poussières, les vapeurs d'essence et les produits de sa combustion, déchirées par le fracas des camions et des tramways, et encombrées sans cesse par une grande foule. Il est évident qu'elle n 'a pas été construite pour le bien de ses habitants ... ».
Et pourtant, il y a cinquante ans, les pollutions de tous ordres n'étaient rien à côté de ce qu'elles sont devenues. Il est vrai que Carrel, étant un homme de droite, a dû partir aux Etats-Unis pour être entendu. Bien qu'il ait été le premier écologiste de France. Mais, comme je le rappelais il y a deux semaines, il n'est jamais bon de dire la vérité le premier lorsqu'on est de droite. C'est ce qui permet aux écolos de gauche, aujourd'hui, de se dire des novateurs.
✍ Gabriel Domenech National Hebdo du 20 au 26 avril 1989

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