« Tenez, par exemple, il a y a parmi les conjurés un homme que je regrette ; c’est Georges. Celui-là est bien trempé ; entre mes mains un pareil homme aurait fait de grandes choses. Je sais apprécier tout ce a que vaut la fermeté de son caractère, et je lui a aurais donné une bonne direction. Je lui ai fait dire par Réal que s’il voulait s’attacher à moi, non-seulement il aurait sa grâce, mais que je lui aurais donné un régiment. Que sais-je ? je l’aurais peut-être pris pour aide-de-camp. On aurait crié ; mais cela m’eût été, parbleu, bien égal. Georges a tout refusé ; c’est une barre de a fer. Qu’y puis-je ? il subira son sort, car c’est un homme trop dangereux dans un parti ; c’est a une nécessité de ma position. Que je ne fasse pas d’exemples, et l’Angleterre va me jeter en France tous les vauriens de l’émigration ; mais patience, patience ! j’ai les bras longs, et je saurai les atteindre s’ils bougent.
Moreau n’a vu dans Georges qu’un brutal, moi j’y vois autre chose. Vous devez vous rappeler la conversation que j’eus avec lui aux Tuileries, vous étiez avec Rapp dans la pièce à côté. Je n’ai pu parvenir à le remuer. Quelques-uns de ses camarades furent émus au nom de la patrie et de la gloire, mais pour lui il resta froid. a J’eus beau tâter toutes les fibres , parcourir toutes les cordes ; ce fut en vain, je le trouvai constamment insensible à tout ce que je lui disais. Georges ne parut alors à mes yeux que froidement avide du pouvoir, il en demeurait toujours a à vouloir commander les Vendéens. Ce fut après avoir épuisé tout moyen de conciliation que je pris le langage du premier magistrat. Je le congédiai en lui recommandant surtout d’aller vivre chez lui, tranquille et soumis, de ne pas se méprendre sur la nature de la démarche que j’avais faite vis-à-vis de lui, de ne pas attribuer à faiblesse ce qui n’était que le résultat de ma modération et de ma a force : Dites-vous bien, ajoutai-je, et répétez à tous les vôtres que, tant que j’aurai les rênes de l’autorité, il n’y aura ni chance ni salut pour quiconque oserait conspirer. Je le congédiai alors, et la suite a prouvé si j’avais raison de lui recommander de se tenir tranquille. Réal m’a dit que quand Moreau et lui s’étaient trouvés en a présence avec Pichegru, ils n’avaient pu s’entendre, parce que Georges ne voulait pas agir autrement que pour les Bourbons. Eh bien, il avait un plan, mais Moreau n’en avait aucun : il voulait renverser mon pouvoir sans savoir ce qu’il mettrait à ma place. Cela n’avait pas le sens commun. »
Napoléon Ier, cité par Louis Antoine Fauvelet de Bourrienne, Mémoires.
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