L'hommage de Joël Prieur lu dans Minute :
"C'est cette radicalité de Jean Madiran (ce qui fait son génie propre) que je voudrais – en un ultime hommage à sa personne – tenter de définir ici : comment la fréquentation de son oeuvre peut-elle nous enraciner dans une vérité aperçue sur notre temps ?
La force de Jean Madiran tient d’abord au fait qu’il fut un maître d’attitudes, se tenant obstinément entre deux exigences de l’esprit : ni compromis ni compromission d’une part, et d’autre part jamais d’idéologie.
Il faut suivre les principes que l’on a mis au jour, mais pas anticiper sur leur application, en la rendant systématique et universelle ; ne pas avoir peur de la pensée et de ce qu’elle peut livrer comme jugement définitif, et en même temps garder la certitude que le réel est plus grand que toutes nos analyses et qu’il les corrige à chaque instant ; saisir l’idée lorsqu’elle se présente dans son évidence native, mais ne pas chercher à trop vérifier la théorie en la mettant partout.
Un pourfendeur de la société technicienne
Jean Madiran a fait ses classes de maître penseur pendant et surtout après la Deuxième Guerre mondiale, période qui fut particulièrement difficile – entre autres pour la pensée, il faut le dire, y compris la sienne.
Dans un livre qu’il publia en 1947, sous le nom de Jean-Louis Lagor, Le Temps de l’imposture et du refus, il se présente déjà tel qu’en lui-même. Il ne s’agissait pas seulement pour lui de « dénoncer » l’imposture politique de la Libération, cette épuration véritablement révolutionnaire, mais de la « refuser ». De toutes ses fibres. En ne prenant aucune part à la chasse aux sorcières et aux lynchages collectifs qui fleurissaient en ce temps-là, quitte à paraître défendre certains collaborateurs.
Il me semble à cet égard que sa manière, à cette époque, de défendre Robert Brasillach (auquel il consacrera un ouvrage important) contre Maurras lui-même, participe de ce noble souci : devant le spectacle de la haine qui s’étalait partout chez les Gaulois à l’époque, ne pas céder un pouce de terrain à l’emballement collectif ; être capable de refuser toute compromission, même seulement apparente, avec « l’imposture », sans pour au tant partager l’idéologie collaborationniste – sa ferveur nationale et maurrassienne le tenait éloigné de telles extrémités.
Ce qui lui permet de tenir cette ligne de crête imprenable – sur laquelle ils devaient se compter et se trouver bien peu nombreux à l’époque –, c’est la gravité de la situation, qui ne tolère aucune lâcheté. Je cite son introduction au Temps de l’imposture, oeuvre de jeunesse. Notre auteur a 27 ans : « Notre gouvernement ose associer la France à la hideur de ce qui se fait dans le monde, il l’associe à l’oppression d’une partie de l’Europe par une domination de fer et de sang, mécanique exactement montée et fonctionnant exactement, qui supprime le Ciel et courbe les hommes sur leurs machines, sur leurs outils et sur leur misère comme jamais esclaves n’ont été courbés, leur enlevant tout espoir et toute indépendance, les anéantissant dans la masse et dans la matière – ignoble mécanique qui se gonfle comme une tumeur, progresse et se propage comme une suppuration mécanique infernale. »
Dans son dernier livre, Dialogues du Pavillon bleu (2011), le diagnostic s’est affiné mais la pensée est la même et le même Jean Madiran, ayant dépassé les 90 ans, conclut ces Dialogues par ces mots : « Nous vivons quelque chose de beaucoup plus profond qu’une crise politique, intellectuelle ou morale ; de plus profond qu’une crise de civilisation. Nous vivons ce que Péguy voyait naître et qu’il nommait une “décréation“. Dans l’évolution actuelle du monde, on aperçoit la domination à de mi-souterraine d’une haine atroce et générale, une haine de la nation, une haine de la famille, une haine du mariage, une haine de l’homme racheté, une haine de la nature créée… »
Un prophétisme pragmatique hérité de Charles Maurras
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