Toute vie humaine rencontre le risque du nihilisme. Comment le surmonter ? Par une foi partagée par d’autres hommes ou par une éthique individuelle ? Michel d’Urance et l’abbé Guillaume de Tanoüarn en ont parlé. Et ont confronté leurs positions. L’un est rédacteur en chef de Nouvelle École, et ancien patron d’Éléments, l’autre est abbé traditionaliste, de quelque vingt ans son aîné, écrivain, longtemps directeur de la revue Certitudes, et animateur actuel du Centre Saint-Paul.
Pour Michel d’Urance, la réponse au nihilisme est une éthique particulière pour chacun. Pour l’abbé, la réponse est une morale. Non pas une morale qui se réduise aux mœurs, mais une certaine idée du Bien qui puisse à la fois irriguer la vie de chacun et les rapports de tous entre tous dans une société donnée (car la morale n’est pas relativiste mais relative à une société particulière).
Michel d’Urance refuse, tout comme Alain Badiou, ce qui serait une éthique pour tous, qui se rapprocherait alors d’une morale. À l’inverse, il plaide pour une éthique de la singularité, dans une veine nietzschéenne. De son côté, l’abbé assume totalement que le christianisme catholique soit, comme son nom l’indique, porteur d’universel, au-delà de l’Europe qui a accueilli cette religion, et au-delà du foyer originel oriental du christianisme.
L’universalité du christianisme dépasse, selon l’abbé de Tanoüarn, les identités sans les nier. Elle les englobe sans les tuer (n’est-ce pas ce que fait l’idée d’Empire ?). Pour l’abbé, il n’y a d’éthique que provisoire, a fortiori si l’éthique est particulière à chacun, et c’est pourquoi il critique cette notion. « Donnez-moi un point fixe et je soulèverai le monde » aurait dit Archimède (cité par Pappus d’Alexandrie). L’abbé plaide pour ce point fixe – et on pourrait ajouter : pour ce levier collectif qu’est la morale.
Pour Michel d’Urance au contraire il appartient à chacun de se créer et de construire ses propres repères. Il récuse toute morale universelle et soutient, se référant à Peter Sloterdijk, le projet de « sphères humaines fortement distinctes ».
Le face-à-face a donc lieu entre deux positions irréconciliables, mais donne une conversation d’une rare richesse.
Pierre Le Vigan http://www.europemaxima.com/
• Guillaume de Tanoüarn et Michel d’Urance, Dieu ou l’éthique. Dialogue sur l’essentiel, L’Harmattan, 2013, 270 p., 28 €.