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La démonstration

Les hommes ont toujours voulu convaincre les autres avec leurs idées. Pour cela, il y a plusieurs moyens.
1/ L'aphorisme : On énonce une assertion. Sa compréhension vient de la maturité de ou des interlocuteurs pour qui cette phrase peut être un dévoilement ou une intuition qui vous cisaille. Il faut pour cela un vécu qui court-circuite tout développement.
2/ Une histoire, une parabole comme le fit Jésus ou une fable comme en écrivit La Fontaine. Dans « le Loup et l'Agneau », on veut « prouver » que la raison du plus fort est toujours la meilleure.
Ceci peut même prendre la forme d'une œuvre littéraire où par exemple Balzac dans « la Comédie Humaine » veut montrer les hommes mus par l'ambition.
3/ L'expérience : cette forme de conviction a ses limites si l'on en croit Goethe qui la définit ainsi : « l'expérience est une lanterne qui n'éclaire que celui qui la porte ».
4/ La foi ou l'argument d'autorité : On a foi en celui qui émet une opinion sans remettre en question ce jugement ou cette assertion.
5/ La doxa : On s'en remet à l'opinion commune. Comme le soulignait Heidegger, il existe la dictature du « on ». On répète ce que tout le monde dit. Ceci peut prendre la forme de la tradition. Comme pour la foi ou l'autorité, on ne remet pas en question les idées reçues.
6/ La répétition : Un argument ou une assertion répétés à l'infini finissent par apparaître comme des vérités. C'est le principe de la rumeur mais des idées générales par un rapport de forces sociétal finissent par s'imposer de cette façon. Le combat politique utilise cette forme de conviction, la répétition s'appelant slogan.
La mise en condition intellectuelle ou idéologique d'une société fonctionne avec tous les moyens énumérés ci-dessus. Il existe pourtant un moyen plus rare que nous allons étudier réservé aux « clercs » qui est celui de la démonstration qui s'oppose essentiellement à la doxa et se veut de l'ordre de l'épistémè, tout au-moins dans la rigueur du développement de l'argumentation.
Descartes
Dans la démonstration, il y a l'objectif d'établir la certitude. Comment parvenir à des vérités certaines ?
Pour Descartes, on peut partir des évidences premières pour arriver de façon ordonnée par de longues chaînes de raison aux vérités.
Descartes ne s'appuie pas sur la logique. Il y a dans le « Discours de la méthode » quatre principes pour bien raisonner. Le philosophe fait appel à l'évidence qu'on peut appeler aussi intuition intellectuelle.
Les quatre principes sont :
1/ « la première étant de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, que je ne la connaisse évidemment être telle... » Ce principe s'oppose à la tradition et à l'argument d'autorité.
2/ « Le second de diviser chacune des difficultés que j'examinerais en autant de parcelles qu'il se pourrait et qu'il serait requis pour mieux les résoudre ».
3/ « conduire par ordre nos pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusqu'à la connaissance des plus composés,... ».
4/ « faire partout des dénombrements si entiers, et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre »
Leibnitz à la différence de Descartes, fera confiance à la logique. Il se méfie de l'évidence. L'histoire des mathématiques se fera plus selon la vision de Leibnitz que selon celle de Descartes. L'intuition n'existe pas dans l'idée de démonstration.
Pascal
Le mathématicien-philosophe a vu les limites de la démonstration qui repose sur des propositions premières qui sont indémontrables.
« Certainement cette méthode serait belle, mais elle est absolument impossible car il est évident que les premiers termes qu'on voudrait définir en supposeraient des précédents pour servir à leur explication, et que de même les premières propositions qu'on voudrait prouver en supposeraient d'autres que les précédents, et ainsi il est clair qu'on n'arriverait jamais aux premières... ».
Pour Hume, nos raisonnements n'ont aucune certitude logique et ne viennent que de l'habitude qui vient de l'expérience.
Se pose la question alors, comment établir des vérités ?
On a là la problématique de la science. Pour Russell, la connaissance scientifique est basée sur l'induction.
Le principe d'induction est basé ainsi.
1/ Si on a découvert qu'une certaine chose A est associée avec une autre chose B, et si on ne l'a jamais trouvée en l'absence de B, plus grand est le nombre de cas où A et B ont été associés, plus grande est la probabilité qu'ils soient à nouveau associés dans une situation où l'on sait que l'un des deux est présent.
2/ Sous les mêmes conditions, un nombre suffisant de cas d'associations fera que la probabilité d'une nouvelle association tende vers la certitude, et s'en approchera au-delà de tout limite assignable.
Un philosophe des sciences comme Karl Popper critiquera l'idée d'induction par son critère de falsifiabilité.
(voir le texte : la Philosophie des Sciences sur internet)
Logique et mathématique   
La logique a été un modèle pour la pensée, les mathématiques pour la science. Pourtant, Wittgenstein disait que les vérités mathématiques ne sont que des tautologies. Elles ne disent rien et n'apprennent rien sur le monde. Les mathématiques sont devenues le langage de la science et un modèle selon Descartes et Kant pour la connaissance.
« Par là, on voit clairement pourquoi l'arithmétique et la géométrie sont beaucoup plus certaines que les autres sciences : c'est que seules, elles traitent d'un objet assez pur et simple pour n'admettre absolument rien que l'expérience ait rendu incertain et qu'elles consistent tout entières en une suite de conséquences déduites par raisonnements... » (Règles pour la direction de l'esprit, Descartes)
Ce modèle pour la connaissance ne semble pourtant guère judicieux si l'on prend des domaines comme la sociologie, la psychologie ou l'Histoire et même d'autres domaines.
Les vérités mathématiques ne disent rien puisqu'elles ne sont qu'hypothético-déductives. Elles ne dépendent que des hypothèses. Les mathématiques ont évolué vers un pur formalisme. Les hypothèses ne font plus appel à l'intuition comme cela se trouve par exemple dans les géométries non euclidiennes. La logique qui est pour certains le fondement de ce formalisme a pourtant été mise à mal par Gôdel qui a démontré qu'il était impossible de démontrer la non-contradiction d'un système mathématique.
Donc même dans son domaine qui servait de modèle, les mathématiques, l'idée de démonstration a ses limites.
Conclusion
L'idée de démonstration est la continuité d'un vieux mythe de l'homme où l'on pourrait tout démontrer et établir. La logique elle-même a montré ses limites. La connaissance humaine même si elle le nie, contient une grande part de métaphysique. On connaît par induction, par intuition, par dévoilement, par expérience... même lorsqu'on utilise la démonstration, il y a toujours des présupposés comme par exemple en économie où l'on suppose souvent la rationalité des agents économiques. Le « savoir » restera toujours quelque chose de partiel et d'approximatif. Le savoir absolu tel que le voulait Hegel n'existe pas.
Patrice GROS-SUAUDEAU

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