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L’’autorité naturelle et le fondement du politique

« Puisque aucun homme n'’a une autorité naturelle sur son semblable, et puisque la force ne produit aucun droit, restent donc les conventions pour base de toute autorité légitime parmi les hommes. »
Jean-Jacques ROUSSEAU Le Contrat social, chapitre IV

Dans cette phrase, Rousseau opère la transition décisive entre l’’idée, fallacieuse à ses yeux, et qu’’il dénonce, que la société serait fondée en nature, et la théorie dite “contractualiste”.
Nous avons eu l’’occasion de voir précédemment (AF 2000 n° 2695 du 16 février 2006) que Hobbes, lui aussi, pensait que la société procédait d’’un artifice de la raison : pour que l’’individu garantisse sa survie dans un état de nature mortifère, il fallait qu’il remît, en même temps que tous les autres hommes, sa puissance d’’agression et de défense à un Souverain qui, seul, le protégera et le vengera efficacement. Mais pour Hobbes, l’’individu, de soi, n’’est pas sociable.
Autorité et légitimité
La perspective de Rousseau est différente et intéresse plus directement peut-être la pensée royaliste puisqu’’elle porte sur l’’« autorité légitime »– deux notions : l’’autorité et la légitimité – que, pour ainsi dire, nous affectionnons parce que nous y voyons le fondement de la société bien ordonnée et heureuse. Seulement il ne les place pas où nous les mettons.
Premièrement, Rousseau conteste dans le chapitre second du Contrat social l’’idée qu’’il existe des autorités naturelles fondatrices ; à (première) preuve (que nous considérerons seule ici) : la prétendue autorité paternelle, qui ne saurait être que temporaire et s’’abolit dans une première convention : « La plus ancienne de toutes les sociétés et la seule naturelle est celle de la famille. Encore les enfants ne restent-ils liés au père qu’’aussi longtemps qu’’ils ont besoin de lui pour se conserver. Sitôt que ce besoin cesse, le lien naturel se dissout. Les enfants, exempts de l’’obéissance qu’’ils devaient au père, le père exempt des soins qu’’il devait aux enfants, rentrent tous également dans l’’indépendance. S’’ils continuent de rester unis ce n’’est pas plus naturellement, c’’est volontairement, et la famille elle-même ne se maintient que par convention. »
Ce texte, si net, se passe de commentaire. Avouons qu’’il y a de quoi faire frémir ! La seule chose qui pourrait, à défaut de le justifier, l’’expliquer quelque peu, serait l’’hypothèse que Rousseau avait en vue l’’abus d’autorité de la part d’’un père ou d’’une mère qui voudraient imposer, leur vie durant, des choix à leurs enfants, comme il a pu se voir en effet (cf. les fils jadis envoyés au monastère sans vocation, les filles mariées contre toute inclination, etc.) et comme il se voit encore aujourd’’hui, quoique bien que plus rarement.
En tout état de cause, le fait que celui qui énonce le principe qu’’un père « doit » des « soins » à ses enfants soit celui-là même qui a abandonné ses cinq enfants ne manque pas de saveur… On ne s’’étonnera pas qu’’une âme si dénaturée ait la nature en aversion ! Pourtant, le sophisme ne saurait annuler le fait que chacun expérimente en lui-même un respect naturel pour ses parents et accepte spontanément le joug le plus souvent bienfaisant de leur autorité.
La force et le droit
Passons maintenant à l’’idée que la force ne fonde aucun droit (chapitre troisième). Le passage est célèbre, et à juste titre ; son ironie mordante est des plus efficace et témoigne du génie de son auteur – un génie hélas le plus souvent malfaisant : « Supposons un moment ce prétendu droit. Je dis qu’’il n’’en résulte qu’un galimatias inexplicable. Car sitôt que c’’est la force qui fait le droit, l’’effet change avec la cause ; toute force qui surmonte la première succède à son droit. Sitôt qu’’on peut désobéir impunément on le peut légitimement, et puisque le plus fort a toujours raison, il ne peut s’’agir que de faire en sorte qu’’on soit le plus fort. Or qu’est-ce qu’’un droit qui périt quand la force cesse ? S’’il faut obéir par la force on n’’a pas besoin d’’obéir par devoir, et si l’’on n’’est plus forcé d’’obéir on n’’y est plus obligé. On voit donc que ce mot de droit n’’ajoute rien à la force ; il ne signifie ici rien du tout. »
La dialectique est admirable – mais elle est aussi un peu vaine. Car quelle force a jamais revendiqué d’’être nullement un droit si ce n’’est, peut-être, dans les cours de récréation ? En réalité, toute force énonce non son droit de force mais un droit : celui des valeurs de l’’homme fort. Par exemple, le droit de la force brute du nazisme – qui ne se résume pas à elle –, c’’est l’’idéologie nazie. Et cela quand bien même cette dernière valoriserait la virilité ; en effet, la virilité, qui est une vertu, diffère de la force qui, de soi, relève de la pure et simple factualité.
Revenons à l’’énoncé de Rousseau. Il apparait que s’’il est vrai que des conventions volontaires peuvent en effet fonder à l’’occasion une « autorité légitime » (celle d’’un président d’une société commerciale par exemple), toute autorité légitime ne se fonde pas sur ces dernières : les hiérarchies naturelles, tempérées par une raison modératrice, et la force, pourvu qu’’elle se mette au service de la justice et du bien, s’’imposent à toute âme bien née, c’est-à-dire non révoltée, comme autant d’’autorités légitimes, commodément reconnaissables et salutaires, ainsi qu’’y a insisté Maurras dans sa Politique naturelle.
Francis VENANT L’’Action Française 2000 du 18 au 31 mai 2006

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