Paul Lafargue est un auteur socialiste marxiste plutôt méconnu qui n’est rien de moins que le gendre de Karl Marx. Il est membre de la 1ere Internationale à partir de 1866 et participe également à la Commune de Paris en 1871. Co-fondateur du Parti Ouvrier en 1880 avec Jules Guesde, il est incarcéré en 1883. C’est à cette période qu’il rédige son plus célèbre pamphlet Le Droit à la Paresse. Il deviendra par la suite député du Nord de 1891 et 1893.
L’ouvrage est réédité en 2009 par Gérard Filoche qui anime une revue nommée « Démocratie & Socialisme », mensuel de la gauche du PS. Celui-ci adjoint des considérations personnelles dénuées d’intérêts en préambule de l’ouvrage où il bat en brèche les conceptions de Christine Lagarde et du gouvernement de Nicolas Sarkozy sur le travail. En revanche l’article de Jean Zin, philosophe et militant écologiste sur le travail à la fin de l’ouvrage donne quelques pistes intéressantes. Ce qui n’est pas étonnant pour un homme visiblement inspiré par Jacques Ellul.
Revenons à nos moutons.
Paul Lafargue cherche dans son ouvrage à démontrer l’absurdité de la « valeur travail ». Le propos est dynamique et bien mené. L’auteur puise autant dans le passé, en s‘appuyant sur le mépris du travail des anciens Grecs et Romains, que dans son analyse de la démence capitaliste du XIXe siècle. Il brocarde toutes les catégories de la population, le prolétariat, qui est responsable d’après lui de son propre malheur, les économistes et autres zélateurs du capitalisme, l’armée qui n’a pour fonction que de réprimer les révoltes dans le sang, l’Église qui par sa morale encourage au travail car l’homme doit souffrir sur Terre, les usuriers (très explicitement reliés à une certaine communauté) qui font de l’argent sur le dos des patrons emprunteurs et des salariés qui triment. Il s’insurge sur le travail des enfants et sur le fait que le travail dans la société capitaliste ait contribué à faire dégénérer le peuple, jadis vigoureux.
« Nous avons aujourd’hui les filles et les femmes de fabrique, chétives, fleurs aux pâles couleurs, au sang sans rutilance, à l’estomac délabré, aux membres alanguis ! » pp. 38-39
Paul Lafargue pointe la fuite en avant du capitalisme, obligé de conquérir des marchés partout dans le monde ou encore de dégrader la qualité des produits pour contraindre à la consommation (ce qu’on appelle aujourd’hui l’obsolescence programmée). Il se fait aussi très critique à l’égard de la « religion du progrès » et des « Droit de l’homme » qui sont pour lui liés au capitalisme et à la bourgeoisie (ce en quoi je suis totalement d’accord). Il s‘interroge aussi sur la technique, qu’on perçoit à la fois source de problèmes, quand elle devient la matrice de la production industrielle capitaliste mais aussi possible solution pour permettre aux ouvriers de ne travailler que 3h par jour et de faire « bombance » le reste du temps. La société communiste utopiste de Paul Lafargue est une société où l’on travaille peu, où l’on produit ce qui est nécessaire et où les hommes peuvent profiter de la vie (selon une expression consacrée). On pourrait tout à fait envisager une société où les robots auraient la même fonction que les esclaves de l’antiquité et permettraient à une majorité de la population de se dégager du travail. Encore faut-il se dégager du mirage de la surconsommation…
Ce pamphlet s’appuie aussi sur des considérations d’auteurs et démontre que même la réduction du travail a été une volonté des capitalistes…
Il est assez court (une cinquantaine de pages) est très intéressant autant du point de vue de la critique du capitalisme (certaines intuitions et remarques de Paul Lafargue sont toujours d’actualités), que pour plonger dans l’histoire des idées et des sociétés de l’Europe de la fin du XIXeme siècle.