LE BRÉSIL possède-t-il la bombe nucléaire ? En octobre 2009, le périodique américain Foreign Policy publiait le nom des pays en voie d'acquérir l'arme nucléaire. Ainsi, après l'Iran, il conviendrait de se méfier du Kazakhstan, du Bengladesh, de la Birmanie et des Emirats arabes Unis. Le Venezuela figure également dans les « pays à surveiller », car depuis 2009 l'Iran y apporte sa contribution dans le développement d'un programme nucléaire civil. En revanche, le Brésil, qui est dans ce domaine un candidat suspect, n'est nullement mentionné.
Le monde entier parle du Brésil avec considération. Son président Luiz Imicio Lula da Silva est devenu une icône de la scène politique internationale. « Il est mon homme » avait même déclaré le président américain Barack Obama. Lula peut se permettre de recevoir le président iranien Mahmoud Ahmadinejad et de le recommander sur un programme nucléaire proscrit. La prétention de Lula montre qu'également sur le plan militaire, son pays gagne les galons d'une grande puissance. Fin 2008, il a imposé sa nouvelle stratégie de défense exigeant une parfaite maîtrise du « cycle du combustible nucléaire », terme désignant les opérations nécessaires à l'alimentation des réacteurs nucléaires et à la gestion du combustible irradié.
Lula procède à l'équipement de sous-marins à propulsion nucléaire. Le Dr Hans Rühle, directeur du service de planification au ministère de la Défense allemande, souligne que « cela semble inoffensif, mais ne l'est pas ». En fait, ces sous-marins dissimuleraient un programme militaire nucléaire. Il expose : « Déjà entre 1975 et 1990, le Brésil possédait trois programmes nucléaires secrets. Chaque armée poursuivait ainsi son développement. La Marine importait des centrifugeuses à haute technicité et de l'hexafluorure d'uranium permettant la production d'uranium hautement enrichi destiné à de petits réacteurs notamment pour le fonctionnement de sous-marins. À un moment donné, ces capacités nucléaires auraient dû être validées comme le prévoit le traité relatif aux explosions nucléaires à des fins pacifiques [auquel se conformait notamment l'Inde]. Après les déclarations du précédent président de la Commission nationale pour l'énergie nucléaire, en 1990, l'armée brésilienne était en mesure de mettre au point sa première bombe nucléaire. Mais on n'alla pas si loin. Dans le cadre de la démocratisation du Brésil, les programmes nucléaires secrets furent arrêtés » (Der Spiegel du 03/05/10). Par ailleurs, si le Brésil dispose des connaissances techniques pour construire la partie nucléaire d'un sous-marin, il doit faire massivement appel à des transferts de technologie en provenance de France. Ce qui, en dehors de la politique mensongère contre le réchauffement climatique, tendrait à expliquer l'intérêt prononcé du président français pour son homologue brésilien.
En 1988, le Brésil se dota d'une constitution sur la production nucléaire. Celle-ci ne dépassa pas les objectifs de paix. En 1994, il ratifia le traité sur l'interdiction de l'arme nucléaire en Amérique latine et dans les Caraïbes. En 1998, Brasilia signa le traité de non-prolifération. Bien que de manière officielle il feint de ne plus s'intéresser à la fabrication de la bombe nucléaire, le Brésil montre cependant un tout autre visage. Quelques mois seulement après l'accession au pouvoir de Lula en 2003, on assista au retour de l'option nucléaire. La construction de sous-marins nucléaires fut alors acceptée. Pendant la campagne électorale, le nouveau président considérait le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires comme "obsolète" et "déloyal". Il ne dénonça pas le contrat, mais les conditions de travail des inspecteurs de l'Agence Internationale de l'Energie Atomique (AIEA) s'aggravèrent. En avril 2004, cette situation devint conflictuelle : on refusa à l'AlEA le contrôle illimité du nouveau site d'enrichissement de Resende, dans l'Etat de Rio de Janeiro. Le gouvernement fit savoir qu'il n'avait pas l'intention de signer de protocole complémentaire sur la non-prolifération des armes , nucléaires et qu'il envisageait d'ouvrir les centrales non déclarées (ne faisant pas l'objet d'inspections). Pierre Vandier, officier de Marine, souligne « D'une part, la frontière est de plus en plus poreuse entre technologies nucléaires civile et militaire ; d'autre part, le caractère déclaratoire du processus de contrôle (les États informent l'AIEA des installations à visiter, mais ne peuvent en dissimuler certaines) ainsi que la non-définition réelle des preuves des manquements éventuels » (1).
Lors d'un congrès du Nuclear Suppliers Group (Groupe des fournisseurs nucléaires), réunissant des États dans le but de définir une politique commune de contrôle des exportations de biens et de technologies nucléaires, le représentant du Brésil a tenté de rejeter les obligations susceptibles de rendre transparent le programme des sous-marins nucléaires. Pourquoi ces secrets ? Qu'y a-t-il à cacher sur le développement de petits réacteurs servant à la propulsion de sous-marins, tandis que depuis des décennies plusieurs nations disposent de ce système ? La réponse est aussi simple qu'inquiétante. Au sein des installations déclarées comme des lieux attachés à la construction de sous-marins nucléaires, le Brésil développerait de l'armement. Le vice-président José Alencar en donne la raison. En septembre 2009, il s'est prononcé en faveur de l'acquisition de l'arme nucléaire, argumentant que cela constitue un instrument de dissuasion pour un pays ayant 15 000 kms de frontières et bénéficiant surtout d'un important gisement de pétrole off-shore : cette découverte effectuée en mai 2008 propulserait le Brésil au rang des premiers exportateurs mondiaux. Quand il lui est reproché le non-respect de la signature du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, J. Alencar rétorque : « Comme toutes négociations, ce sont des éléments sur lesquels nous pouvons discuter » .
La construction légale de petits réacteurs pour la propulsion de sous-marins induit l'autorisation par l'AIEA de l'importation de matériel nucléaire. Etant donné que le Brésil surprotège les sites afférant à la construction des sous-marins, leurs accès sont interdits aux inspecteurs de l'AIEA. De plus, comme la majeure partie des sous-marins fonctionnera avec de l'uranium enrichi, le Brésil peut justifier sans peine la production de cette « source d'énergie ». En d'autres termes, même s'il n'existe pas d'éléments portant sur un développement du nucléaire à des fins militaires, nous pouvons penser que ce pays produit un armement nucléaire ne pouvant pas être interdit par le traité de non-prolifération. L'Amérique du Sud ne sera donc plus une zone sans nucléaire et la vision d'Obama, un monde sans arme de ce type, s'affiche déjà comme une utopie ou un mensonge.
Laurent BLANCY, RIVAROL du 28 mai 2010
(1) P. Vandier, La prolifération nucléaire en Asie menace-t-elle l'avenir du TNP ? Collège interarmées de défense, Paris, 1er octobre 2005.