Analyse de Guillaume Bernard, qui indique que l'euroscepticisme ne naît pas seulement de la crise économique, mais aussi de la négation de l'identité de l'Europe et du principe de subsidiarité :
"Depuis une vingtaine d’années, les forces politiques eurosceptiques apparaissaient régulièrement à l’occasion des élections européennes mais, dans la plupart des cas, elles disparaissaient quasiment de l’espace politique lors des autres élections. Ce qui semble désormais acquis, c’est que, désormais, elles sont susceptibles d’exister et même de progresser à toutes les élections, nationales et locales. Un cas récent et significatif est celui de l’UKIP outre-manche qui concurrence les Conservateurs britanniques pourtant peu enthousiastes de la construction européenne (ceci ayant été manifesté par leur départ du groupe PPE au Parlement européen).
La crise économique qui frappe l’Europe explique sans doute la progression de l’euroscepticisme. N’avait-on pas expliqué aux citoyens des Etats qu’il fallait accepter des abandons de souveraineté pour obtenir la prospérité ? Celle-ci n’étant pas au rendez-vous, il est logique qu’il y ait une déception. Cela dit, l’euroscepticisme se développe dans tous les Etats européens, y compris ceux qui apparaissent comme étant les « gagnants » de la construction européenne (c’est le cas de l’Allemagne avec l’apparition de l’AfD). Il progresse aussi dans des Etats qui, sur certains points non négligeables, sont en marge de l’Union : alors que le Royaume-Uni n’est pas membre de la zone euro et a négocié des clauses particulières dans le cadre de Schengen, l’UKIP progresse. Il serait donc réducteur de n’attribuer l’euroscepticisme qu’à la crise économique. Il serait illusoire de croire (comme sur d’autres sujets d’ailleurs, comme l’insécurité) que le facteur économique puisse résorber tous les problèmes.
La crise qui frappe l’Union européenne est aussi institutionnelle et identitaire. Sur le premier point, il faut notamment noter l’incompréhension quasi générale de la nature juridique de l’UE et du processus interne de décision. L’UE est une organisation internationale mais dont le fonctionnement interne se rapproche de celui d’un Etat fédéral (d’un certain type d’ailleurs). Le pouvoir législatif est certes de plus en plus co-exercé par le Parlement européen, mais le principal décideur en la matière est le Conseil de l’Union, c’est-à-dire les ministres des Etats membres. Le fonctionnement démocratique de l’UE est donc difficilement palpable. A l’inverse, l’aspect technocratique de la Commission (l’exécutif de l’UE), bien réel, n’est un mystère pour personne. Tout cela ne contribue pas à donner confiance.
Sur le second point, l’identité de l’UE apparaît comme extrêmement floue. Elle est à géographie plus que variable. Tous les Etats membres de l’UE ne font pas partie de la zone euro. Des Etats participant à Schengen (la Suisse, la Norvège) ne sont pas membres de l’UE. En outre, celle-ci envisage d’intégrer un Etat, la Turquie, qui a occupé militairement, pendant plusieurs siècles, toute une partie de l’Europe historique en ne laissant pas, c’est moins que l’on puisse dire, un souvenir radieux ! [...]
[]Les peuples ne comprennent pas que l’Union puisse être, à la fois, extrêmement contraignante (harmonisation des droits que, pourtant, le fédéralisme ne nécessite nullement comme en témoignent les Etats-Unis) et sans aucune puissance diplomatique et militaire d’envergure (ne serait-ce que pour assurer la défense de son propre territoire). Il y a, là, une incohérence que les peuples pourraient ne plus supporter. L’euroscepticisme ne traduit pas une opposition à l’idée européenne, une négation de l’Europe en tant que civilisation, mais une contestation de plus en plus hostile de l’Union européenne. [...]"
Ajoutons aussi que le mépris outrancier des européistes pour les peuples qui avaient rejeté le Traité Constitutionnel Européen en 2005 n'a pu que faire croître la défiance à l'égard de la construction européenne et des institutions supranationales.