• Analyse : Claus WOLFSCHLAG, Hitlers rechte Gegner : Gedanken zum nationalistischen Widerstand, Arun Verlag, Engerda, 1995, 215 p.
Claus Wolfschlag, collaborateur de l'hebdomadaire Junge Freiheit, analyse plusieurs figures de l'opposition nationaliste au nazisme, qu'il range dans quatre catégories : les nationaux-révolutionnaires, les conservateurs, les folcistes (Völkische) et les liguistes (Bündische). Wolfschlag énumère dans sa préface les raisons méthodologiques de procéder à de telles approches différenciantes de l'histoire des idées politiques. Pour le discours dominant et médiatique, ultra-simplificateur, il y a eu le nazisme, émanation du "mal" et l'anti-nazisme, émanation du "bien". Montrer que ce "mal" ou ce "bien" étaient beaucoup plus complexes se heurte à l'incompréhension de nos contemporains.
Dans les deux Allemagnes d'après-guerre, l'historiographie communiste de l'Est ne voyait de résistance que chez les militants communistes et jetait le doute sur la sincérité des résistants conservateurs, y compris les conjurés du 20 juillet 1944. À l'Ouest, surtout pendant l'ère Adenauer, on a assisté à une survalorisation des conjurés du 20 juillet, au détriment des communistes, coupables de partager avec les nazis le goût des sociétés totalitaires. Dans les années 60, après la mort d'Adenauer, les idées des conjurés du 20 juillet sont jugées "passéistes" et droitières par la nouvelle historiographie teintée de gauchisme non communiste. Dans les années 80, explique Wolfschlag, le concept de résistance au nazisme subit une phase d'inflation ; une myriade de travaux se penche sur des modes de résistance moins généraux, plus sectoriels, permettant à certaines catégories sociales ouest-allemandes de se donner à leur tour un passé résistant et, éventuellement, de toucher à ce titre des subsides. Néanmoins, le schéma communiste orthodoxe continue à prévaloir : la droite est assimilée globalement au nazisme, de même que les nationalismes de gauche, en dépit des faits. Les rapports du SD (police politique inféodée au parti nazi) sont pourtant éloquents : les personnalités classées à droite ne ménagent pas leurs critiques et passent souvent à l'action. Alors que reste-t-il du schéma conventionnel ? En dépit de son titre, le livre de Wolfschlag relativise le terme "droite". En traitant d'Erich et de Mathilde Ludendorff, il montre que leur opposition à Hitler est dictée par un anti-cléricalisme généralement ancré à gauche. Quant à Strasser, son nationalisme est bien considéré comme de "gauche" par l'historien français Moreau, spécialiste de la question. La droite est multiple dans ses expressions, tout comme la gauche et le nazisme lui-même, où l'exaltation de la glèbe voisinait avec les désirs d'expansion impérialiste, où le culte passéiste des traditions se juxtaposait au technocratisme non idéologique d'un Heydrich ou d'un Speer. Enfin, Wolfschlag rappelle que dans la garde prétorienne du régime elle-même, des complots contre Hitler ont été fomentés, notamment chez les SS Ohlendorf, Best, Hildebrandt, Franke-Grieksch, voire dans le parti ou le gouvernement (Franz Seldte). Par conséquent, il est temps de développer une historiographie nouvelle et différenciante, en évitant les stigmatisations globales. Le livre idéal serait celui qui aborderait sans discrimination toutes les formes d'opposition et à la partitocratie déficiente de Weimar et aux rigueurs du nazisme. Wolfschlag ouvre la voie.
Robert Steuckers, Vouloir n°134/136, 1996.
http://robertsteuckers.blogspot.fr/2013/11/conservateurs-revolutionnaires-et.html