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« Démaquiller l’histoire : chiche ! »

L'enseignement de l'histoire est en passe de devenir le serpent de mer d'une Education rebaptisée par antiphrase "nationale". Les média, qui n'ont eux-mêmes, pour la vérité historique, qu'un respect fragmentaire, accordent au sujet une place de choix et il est arrivé qu'au-delà des contingences scolaires, le problème soit transcendé : l'histoire - même correctement enseignée et assimilée - sert-elle à quelque chose ou freine-t-elle, au contraire, les initiatives ? Tel fut dans les années 25 - mais qui s'en souvient ? - le thème d'une controverse entre le poète Paul Valéry (procureur) et le ministre Anatole de Monzie (avocat) - celui-ci refusant à celui-là dans « Pétition pour l'histoire », le droit de tenir cette discipline pour le produit le plus nocif que la chimie de l'intellect ait jamais élaboré : « Nous entrons dans l'avenir à reculons », avait déploré Valéry. Le débat auquel nous assistons est d'ordre moins philosophique : l'utilité de l'histoire n'est pas mise en cause, mais seulement la manière de l'enseigner. Le centre d'intérêt, vous le saviez, est le rapport que M. Alain Savary avait demandé, en juillet 1982, à M. René Girault, professeur à l'Université de Paris X-Nanterre. On en connaît la principale conclusion - au demeurant fort attendue : l'enseignement de l'histoire est sérieusement malade (celui de la géographie, idem), et sa maladie est si ancienne et si profonde qu'un traitement de dix ans au moins sera nécessaire pour l'en guérir...
C'est un véritable cri d'alarme que lance le rapporteur, et il a éveillé nombre d'échos favorables, à l'intérieur de l'Université comme au dehors. On voit mal, d'ailleurs, comment on pourrait s'inscrire en faux contre des observations d'évidence, sur lesquelles se sont retrouvées d'accord des personnalités aussi différentes que M. André Castelot, historien traditionaliste, et M. François Mitterrand, leader de la Gauche unie. Ce dernier - « scandalisé » et « angoissé » - aurait même pris son bœuf, s'écriant que cela ne pouvait plus durer ainsi, qu'il fallait rappeler les nouvelles générations au respect de la mémoire collective sans laquelle il ne saurait y avoir ni sentiment national, ni nation tout court. Nul Français digne de ce nom ne saurait émettre la moindre réserve sur les impératifs ainsi formulés par François Mitterrand : s'il est un programme dont la mise en œuvre requiert la notion - si galvaudée - de "consensus" c'est bien celui-là... Pourquoi faut-il que, nonobstant cette impulsion de l'esprit et du cœur, un certain doute nous assaille ? Nous ne pouvons oublier, en effet, que l’Élyséen redresseur d'Histoire et mainteneur de la Patrie appartient à la Nomenklatura des hommes publics qui ont contribué avec le plus d'acharnement à falsifier les données historiques, à pratiquer ajouts et suppressions dont leur « image de marque » tire avantage et à fabuler chaque fois que la réalité pouvait être gênante ou compromettante pour eux. Ces gens-là ont bâti toute leur carrière sur l'imposture et le mensonge. Une histoire dûment conditionnée sert de support à la défense et illustration de leur personne, de leur clan, de leur cinéma idéologique. Et c'est sur eux qu'il faudrait compter aujourd'hui pour prendre, au plus haut niveau, toutes dispositions idoines et adéquates afin que les générations montantes reçoivent un enseignement exclusif de tout esprit partisan ? Nous n'y croirons que le jour où ces bons apôtres, puisqu'ils entendent diriger la manœuvre, auront procédé à un certain nombre de rectifications rigoureusement indispensables au rétablissement de la vérité. Pour nous en tenir à la période contemporaine, en voici quelques exemples. Quelques-uns seulement... Avoir l'élémentaire probité de reconnaître qu'en 1939, la France, à la remorque de la Grande-Bretagne, a glissé dans la guerre - une guerre perdue d'avance - sans que la Chambre ni le Sénat ne se soient prononcés. Le Parlement avait simplement voté une augmentation des crédits militaires et c'est par un abus de pouvoir (justiciable - ô combien ! - de la Haute-Cour) que les présidents Herriot et Jeanneney, "bonzes" du clan belliciste, permirent à Daladier, l'homme du 6-Février, le roseau peint en fer, de déclarer la guerre au IIIe Reich... après avoir refusé de donner la parole aux orateurs résolus à dénoncer la forfaiture du gouvernement : Pierre Laval au Sénat, Gaston Bergery à la Chambre. Admettre cette évidence de fait que l'armistice de 1940 était matériellement inévitable, et que le repli sur une Afrique du Nord privée (notamment) des ressources économiques indispensables à la poursuite de la guerre, aussi bien que l'aménagement d'un réduit breton relevaient d'une fantaisie de mauvais goût. En terminer, une fois pour toutes, avec la fable ridicule (et odieuse) du vainqueur de Verdun complotant pour prendre le pouvoir à la faveur d'une défaite voulue par la Droite, afin d'instituer une « Europe fasciste »... et de prendre ainsi une éclatante revanche sur le Front populaire et ses « conquêtes sociales ». Substituer au cliché scandaleux de Vichy prosterné devant l'Occupant - et capitulant chaque fois qu'une exigence nouvelle était formulée - un historique (avec chiffres à l'appui) des discussions serrées et souvent orageuses entre le gouvernement de l'État français et les autorités d'occupation. Reconnaître (c'est bien le moins) que cette forme de "résistance" présentait plus de difficultés et plus de dangers que celle d'exilés volontaires entrés en dissidence et pris en compte par l'étranger. Rompre la scandaleuse conspiration du silence qui a étouffé une révélation de portée historique comme celle que fit le colonel Branthôme dans notre n° 1529 du 12 juin 80 par son témoignage à la fois rigoureux et pathétique : cet officier supérieur de l'Armée de l'Air, ancien polytechnicien, chef, en 1939, de la mission de liaison entre les Ailes françaises et la Royal Air Force, racontait, sans omettre un détail, comment, au lendemain de son célébrissime « message du 18 juin », De Gaulle, se trouvant pratiquement seul à Londres et non encore adopté à cent pour cent par les Anglais, avait décidé de regagner la France pour se remettre à la disposition du gouvernement légal et légitime de son pays. N'évoquant que des faits dont il avait été témoin ou acteur, le colonel Branthôme expliquait ensuite dans quelles conditions le « général Micro » avait dû renoncer à son projet : Churchill eût préféré, certes, accueillir à Londres un personnage politique connu et représentatif, mais on sait fort bien que, faute de grives, on ne dédaigne pas les merles. Le Premier anglais n'allait pas lâcher ce qu'il tenait. Eh bien, aucun - nous disons bien : aucun - organe de la presse du régime n'osa, ni reproduire partiellement, ni même citer cette information sensationnelle (cet adjectif galvaudé recouvre ici toute sa valeur). Pourtant, au moment où RIVAROL les diffusait en ce jour de juin, anniversaire du "message", nos chers confrères publiaient des pages entières à la gloire du "Libérateur". Aucun d'eux n'eut le courage - ni la simple conscience professionnelle - de faire état d'une révélation qui flanquait par terre tout le « mythe gaulliste ». De leur côté, les organismes, les mouvements ayant pour mission de - chanter le los du Guide immortel et génial observèrent de Conrart le silence prudent (... et complice). Cesser de tympaniser les Jeunes générations avec le mythe de Munich. Pour les fiers-à-bras qui triturent à plaisir les données historiques afin de les plier aux exigences de leur propre sectarisme, Munich est le symbole de la capitulation des démocraties devant l'hydre totalitaire... avant-hier nazie, aujourd'hui soviétique, car nos analystes de bazar se complaisent dans une terminologie imbécile où le fascisme (le fascisme seul) reste le mal absolu. Or la vérité est que la France était encore moins prête en 1938 qu'elle ne devait l'être en 1939 (ce qui n'est pas peu dire) : il suffit de se reporter aux réponses que firent à Daladier, lorsque se posa la question suprême, les responsables de l'armée de Terre et de l'armée de l'Air. La France n'était assurément pas en état de résister. Seule, la Marine aurait pu soutenir le choc. Mais les fanatiques de l'anti-munichisme se soucient fort peu des contingences matérielles. Ils ne veulent connaître que « l'esprit », comme si un chef d’État avait le pouvoir d'imposer aux faits le diktat de sa volonté - ou de sa fantaisie. C'est tellement plus simple pour écrire l'histoire ! On entend répéter en toute occasion : pour résister Paris et Londres disposaient d'un atout considérable : le soutien de l'Union soviétique ! Est-il permis d'être aussi culotté (car les menteurs savent tout de même à quoi s'en tenir) ? Comment, pour Moscou, porter secours à la Tchécoslovaquie, sans traverser, soit le territoire polonais, soit le territoire roumain ou le territoire hongrois ? Car ni Varsovie, ni Bucarest, ni Budapest n'avaient accordé à l'Armée rouge ce droit de franchissement. On les comprend ! Non, ce qu'il faut retenir des accords de Munich, c'est qu'ils représentaient, pour les Européens, la dernière tentative pour régler leurs affaires sans que l'on intervienne dans les conversations. En outre, ce que nos maniaques oublient de dire, c'est que Munich ne devait pas être une fin mais bien un commencement ; la faute, l'impardonnable faute fut de perdre, après la signature, nombre de mois, plus que précieux : l'inaction, l'apathie ne pouvaient conduire qu'à la catastrophe. Cela, oui, doit être porté lourdement au passif des négociations de septembre 38.
Maurice GAÏT (1909-1983). Rivarol du 18 novembre 1983

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