L'affaire est restée discrète. Le 21 octobre, une communication de la Commission européenne au Parlement européen lui demandait de voter rapidement une rallonge de 2,7 milliards d'euros pour éviter la cessation de paiement. Demande accordée le 24 octobre au motif que « les revenus issus des droits à l'importation perçus aux frontières extérieures de VUE sont beaucoup plus bas que les prévisions ». Le défaut de paiement est-il une menace sérieuse pour l'Union européenne? Mise en perspective.
En procédure accélérée, le Parlement européen a adopté l'augmentation de la contribution des États membres au budget communautaire pour un montant de 2,7 milliards d'euros, sans lequel la Commission européenne aurait eu quelques difficultés à honorer ses factures à compter du mois de novembre. Alors que les États-Unis venaient de s'illustrer avec la fermeture des administrations fédérales dans l'attente d'un accord sur le plafond de la dette publique, l'affaire pourrait faire sourire, surtout quand elle implique une institution qui prêche la rigueur budgétaire. En tout cas, elle n'aura pas fait rire tout le monde puisqu'en évoquant l'éventualité que la Commission pourrait avoir « découvert vendredi après-midi qu'elle n'avait plus d'argent », Cohn-Bendit aurait (vertement) lancé : « Quelqu'un se fout de notre gueule dans cette histoire. » On n'aurait pas dit mieux...
Des États qui se font tirer l'oreille
Les arguments techniques et politiques ne manquent pas pour justifier cet ajustement, au demeurant mineur au regard des masses enjeu dans le budget pluriannuel de l'UE (976,4 milliards d'euros pour 2007-2013). Pas d'augmentation des dépenses mais simple compensation de moindres ressources, assure déjà le président de la commission des budgets au Parlement européen, Alain Lamassoure. Cette fois-ci, les droits de douane et cotisations dans le secteur du sucre (14,1 % des ressources prévues sur le budget 2013) auront déçu les attentes. Par ailleurs, ces rallonges budgétaires ne sont pas exceptionnelles puisque neuf autres budgets rectificatifs ont été votés cette année ; une souplesse souhaitable qui existe également dans les droits budgétaires nationaux.
Politiquement, les difficultés macroéconomiques actuelles en Europe et leurs effets sur les finances publiques nationales étant ce qu'ils sont, les négociations budgétaires entre les différentes institutions communautaires sont particulièrement tendues et le Conseil de l'Union européenne (représentant les États membres dans l'ordre communautaire) est accusé depuis une dizaine d'années de sous-estimer ses propositions de budget, tirant à la baisse les ressources prévisionnelles dans le compromis budgétaire final.
Un malentendu doit tout de suite être dissipé : l'Union européenne n'est pas endettée, et d'éventuelles difficultés pour régler des factures n'entraîneront aucune conséquence majeure sur l'économie mondiale, contrairement à la situation américaine.
Le recours à la dette, largement utilisé pour financer les budgets déséquilibrés des États, n'est pas possible pour l'Union. Mais les tensions que ce vote révèle ne sont pas anodines si on les replace dans la perspective du débat en cours entre les États membres et le Parlement sur les perspectives budgétaires pluriannuelles 2014-2020.
Auparavant réglé dans le cadre d'arrangements interinstitutionnels entre le Parlement, la Commission et le Conseil, le budget européen est désormais adopté par règlement, un texte au contenu juridique fort, loin des petits arrangements. Et c'est là que le bât blesse puisque les choses deviennent relativement sérieuses dans ce nouveau paradigme. Et les parties prenantes au niveau communautaire l'ont bien compris puisque l'accord qui aurait dû être trouvé sur le prochain budget pluriannuel depuis fin 2012 rentre à peine en phase de finalisation.
Budget en baisse
Deux faits surnagent dans la paperasse budgétaire bruxelloise. D'abord, la baisse quasiment certaine du budget total d'environ 3 %, à 960 milliards d'euros sur 7 ans, alors même que la Commission proposait encore de relever le plafond des crédits d'engagements (1033 milliards d'euros). Pour lès européistes qui se voileraient encore la face, le poids de la France ressemble à un fantasme : la priorité à la croissance que François Hollande croyait incarner à Bruxelles (« moi Président ») n'a probablement existé que dans la tête un peu fiévreuse d'un candidat au mieux mégalomane, au pire complètement à côté de la plaque européenne. Pour oublier que Cameron et Merkel ne se rangeraient certainement pas à l'expansionnisme budgétaire, pour des raisons différentes.
Au demeurant, la défaite française est actée depuis février, date de l'accord au sein du Conseil sur un budget d'austérité, avec l’aval de la France donc.
Mais si l'ensemble des lignes budgétaires sont en baisse, tout le monde n'est pas logé à la même enseigne puisque la fonction Administration voit ses moyens progresser de 8 % en termes réels. Il est permis de s'interroger sur la nécessité d'étendre encore les moyens des fonctionnaires européens, censés administrer des budgets en baisse...
Le porte-parole de la Commission précise que l'objet du scandale ne pèse en définitive que 1 % du total. Toujours est-il qu'à l'heure où la plupart des pays contributeurs gèlent (comme la France) ou réduisent parfois drastiquement (entre 5 et 15 % pour l'Irlande) les salaires de leurs fonctionnaires, cette prodigalité reste le signe avant-coureur d'une faillite bien réelle celle-là, celle de la décence.
Antoine Michel monde & vie 12 novembre 2013