PARIS (NOVOpress) - À l’occasion des fêtes de fin d’année, les rédacteurs de Novopress vous proposent de découvrir une sélection de livres à travers des extraits choisis. Aujourd’hui, nous vous proposons un extrait d’un livre de Garry Leech, Le capitalisme, un génocide structurel, ou les mécanismes meurtriers de la mondialisation néolibérale. Puisant dans l’histoire bouleversante des paysans dépossédés de leurs terres au Mexique et en Inde, dans celle des Africains qui meurent par millions chaque année faute de soins, Garry Leech démonte méthodiquement les mécanismes meurtriers de la mondialisation néolibérale et livre un réquisitoire implacable sur la nature génocidaire du capitalisme.
Chaque année, des millions de personnes dans le monde meurent de faim, périssent à la naissance ou succombent du sida ou d’autre maladies qui peuvent être évitées ou soignées. Ces tragédies sont-elles l’œuvre de Dieu, perpétrées pour des raisons dépassant l’entendement humain ? Sont-elles simplement le résultat des caprices de la nature ? Ou, comme cela a été mentionné auparavant, sont-elles les tragédies malheureuses de la marche inévitable du progrès ?
Nous, les peuples du Nord, sommes régulièrement bombardés de sollicitations de la part d’ONG telles que CARE, Oxfam et World Vision pour faire des donations en vue de soulager le fléau, à première vue sans fin, des affamés, des malades et des sans-abris du Sud. On nous dit qu’ils sont moins chanceux que nous et que nous avons par conséquent, l’obligation de les aider. Mais on nous parle rarement des causes de leur souffrance, au-delà du « hasard » des interventions naturelles comme les sécheresses ou les ouragans qui dévastent l’existence de ces personnes.
Ainsi, bien qu’une telle souffrance humaine massive soit tragique, il n’y aurait donc aucun coupable. Et si quelqu’un est à blâmer, alors ce sont généralement les victimes elles mêmes. Après tout leur souffrance n’est elle pas en grande partie le résultat de leur échec à atteindre le même niveau de « développement » que celui dont bénéficient la plupart des populations du Nord ? Si seulement nous pouvions les aider à se développer, à se moderniser, alors il est sûr qu’une grande partie de cette souffrance humaine pourrait être évitée. Mais est-ce vrai ? Ou bien cette souffrance tragique qu’endurent les peuples du Sud est directement liée à notre existence matérielle relativement confortable au Nord ? Plus important encore, cette misère et tous ces morts causés par les actes de violence sont-elles la conséquence d’actions humaines ? Mais comment cela se pourrait-il lorsqu’il n’y a aucune preuve de la moindre agression physique directe perpétrée contre les victimes ? Selon Johan Galtung, nombre de ces personnes sont effectivement victimes de violences, et cette violence est structurelle.
Galtung soutient que la violence est « l’altération évitable des besoins humains fondamentaux ou, pour le dire de façon plus générale, l’altération de l’existence humaine, qui abaisse le niveau réel de satisfaction des besoins au dessous de ce qui est potentiellement réalisable ». Il étend ainsi la définition de la violence au delà des actes physiques directs pour inclure la souffrance humaine causée par les structure sociales qui bénéficient de manière disproportionnée à quelques personnes tout en réduisant la capacité des autres à satisfaire leur besoins fondamentaux. En tant que telle, soutient David Roberts, « la violence (…) pourrait être commise directement et délibérément, mais elle pourrait aussi être orchestrée indirectement et en grande partie de façon non-intentionnelle par des structures peuplées d’être humains ». De façon similaire, l’anthropologue Paul Farmer suggère que « la violence structurelle est la violence exercée de façon systémique- c’est à dire indirectement- par tous ceux qui appartiennent à un certain ordre social (…) En bref, le concept de violence structurelle vise à éclairer l’étude du mécanisme social de l’oppression ».
Selon Galtung, l’injustice sociale se trouve au cœur de la violence structurelle car elle se manifeste par l’inégalité, tant dans la répartition des richesses que celle du pouvoir. En tant que telle, fait remarquer Galtung, la violence structurelle est marquée par La différence entre le potentiel et le réel, entre ce qui aurait pu être et ce qui est. (…) Ainsi, lorsqu’une personne mourrait de la tuberculose au XVIIIe siècle, il était difficile de concevoir qu’il s’agissait de violence puisque cela était probablement inévitable, mais si cette même personne meure de cette maladie aujourd’hui, malgré les ressources médicales de notre monde, alors la violence est présente selon notre définition.
Autrement dit, à notre époque, les morts de la tuberculose ne sont pas une conséquence d’une connaissance médicale insuffisante, mais plutôt le résultat d’un manque d’accès à ce savoir en raison des structures sociales. C’est pourquoi en tant qu’anthropologue, Paul Farmer explique que « La violence structurelle est infligée à tous ceux dont le statut social leur dénie l’accès aux fruits du progrès scientifique et social ».
La violence se manifeste de nombreuses façons mais son thème commun est la privation pour certaines personnes de leurs besoins fondamentaux en raison de structures sociales existantes. Ces besoins fondamentaux comprennent l’alimentation, les soins médicaux et les autres ressources indispensables à la réalisation d’une existence saine et au développement humain le plus complet. Une telle inégalité est ancrée dans l’oppression infligée à un groupe par un autre. Et, ainsi que Paulo Freire le formule, ces structures qui ont pour résultat l’oppression créent une violence structurelle :
Toute situation dans laquelle « A » exploite froidement « B » et qui fait obstacle à sa recherche de l’affirmation d’elle ou de lui même en tant que personne responsable est une situation d’oppression. Une telle situation génère en elle même de la violence, même si celle ci est atténuée par une fausse générosité, parce qu’elle interfère avec la vocation ontologique et historique individuelle à être pleinement humain. Avec l’instauration d’une relation d’oppression, la violence a déjà commencé.
Même si la violence structurelle affecte des millions de personnes dans le monde, elle n’est pas aussi visible que la violence directe. En fait, elle semble souvent anonyme, au point que les gens n’ont même pas conscience de son auteur. (…)
Au bout du compte, si un système sociale crée l’inégalité et la maintient, à la fois dans le pouvoir et dans les richesses qui bénéficient à certains groupes sociaux tout en empêchant d’autre groupes de satisfaire leurs besoins fondamentaux, même si ce n’est pas intentionnel , alors la violence structurelle existe. Et si une telle inégalité est inhérente à un système social, alors la violence structurelle l’est aussi.
Garry Leech, Le capitalisme, un génocide structurel, ou les mécanismes meurtriers de la mondialisation néolibérale. Éditions Le retour aux sources (octobre 2012). Acheter sur Amazon.