Les services de Mme Filippetti, ont donc annoncé pour 2014 la célébration nationale du cinquantenaire de la mort de Maurice Thorez, en octobre 1964. Merveilleuse occasion de revenir ici pendant plusieurs mois sur un passé que l’on cherche à enfouir. Quand on consulte, en effet, les vieilles collections de L'Humanité on y découvre pas mal de choses. La Mémoire sélective, médiatique et cybernétique tend à les effacer. Plus exactement, le processus ordinaire consiste à les enfoncer sous plusieurs couches de bulles journalistiques insignifiantes : ces derniers jours nous en ont encore donné un stupéfiant florilège.
Dans L’Huma, comme partout, l'année commence par des vœux. Ils apparaissent en première page de l'organe central du parti communiste français. Leur caractère formel n'échappe pas à la règle…
En ce début d’année 1964, Maurice Thorez porte encore le titre de secrétaire général. En réalité, il passe de longs mois sur la Côte d’Azur ou en Union Soviétique. C’est au cours de son dernier voyage vers le grand frère qu’il disparaîtra. Il ne sera nommé président du parti qu’en mai. Le XVIIe congrès qui avalisera cette décision votera de nouveaux statuts qui, pas plus que les précédents, ne prévoient même pas l’utilisation d’un tel titre, essentiellement "bourgeois".
En première page de L’Huma datée du premier jour de l’année publie les vœux que le chef du PCF adresse au parti frère : c'est au parti est-allemand qu'il les adresse en la personne de Walter Ullbricht.
Waldeck Rochet, secrétaire général adjoint, – en attente que ce titre soit confirmé par le XVIIe Congrès qu’il organise en compagnie de Georges Marchais – adresse les siens à Fidel Castro :
Titre du journal : "La révolution cubaine a cinq ans."
Un télégramme du Parti Communiste Français à Fidel Castro
À l'occasion de l'anniversaire de la révolution cubaine, Waldeck Rochet secrétaire général adjoint du Parti Communiste Français a adressé à Fiel Castro le télégramme suivant…
Au camarade Fidel Castro secrétaire général du Parti Uni de la Révolution Socialiste de Cuba
(…) Très fraternellement
En page 3 le même numéro de L’Humanité a inséré un article. Il est intitulé : "La première révolution authentique de l'Amérique Latine. Pas gentil pour les [nombreux] libertadores et autres caudillos du sous-continent, ce qualificatif, cependant, dit bien ce qu’il veut dire en termes marxistes. On y lit en effet que Castro aurait réalisé "une réforme agraire véritable". Par conséquent tous les hommes de gauche se sentent "solidaires de la révolution cubaine". (1)⇓
L’année précédente, le dictateur cubain avait prononcé, le 23 mai 1963, un important discours au cours d’un meeting d'amitié soviéto-cubain. Les révolutionnaires latino-américains devaient à travers lui se sentir : "reconnaissants à l'Union soviétique d'avoir su défendre avec fermeté et sagesse la révolution cubaine au moment de la grave crise de l'automne 1962… L'histoire ne connaît pas d'exemple de solidarité semblable… C'est ce qu'on appelle l'internationalisme…"
À l’époque, aucun détail n’étant jamais laissé au hasard dans la presse stalinienne, le PCF se réfère donc à deux pays communistes : l’Allemagne de l’Est et Cuba. Le premier ne s’effondrera qu’en 1989. Le second tient malheureusement toujours.
La photo que nous avons mis, pour les nostalgiques, en illustration de cette chronique nous montre Fidel Castro en URSS, aux côtés de Nikita Serguéïevitch Khrouchtchev, quelques jours plus tard..
Le 1er janvier 1965, on ne met plus en première page l’Allemagne de l’est, ni aucun autre pays, sauf Cuba. "Notre" Waldeck Rochet, devenu secrétaire général, adresse à nouveau les siens à Fidel Castro. Le journal les publie sous le titre : "La révolution cubaine a six ans." (2)⇓
Mais dans L'Huma, à l'époque, il n’y a guère que la date qui change. Qu'écrit-on alors au Dealer Maximo ? Citons à nouveau :
Un message du Parti Communiste Français au Parti Uni de la Révolution Socialiste
Au camarade Fidel Castro
Secrétaire général du Parti Uni de la Révolution Socialiste
Cuba
À l'occasion du VIe anniversaire de la victoire de la Révolution cubaine, le Parti Communiste Français vous adresse le témoignage de sa solidarité fraternelle et les vœux de la classe ouvrière et du peuple français pour que votre pays remporte de nouveaux succès dans la voie socialiste qu'il a choisie.
Soyez assuré que les travailleurs français, qui luttent pour l’instauration d'une démocratie réelle dans leur pays comme étape vers le socialisme, entendent renforcer leur vigilance à l'égard des entreprises agressives de l'impérialisme américain et leur solidarité envers la Révolution cubaine. Ils saluent chacune de vos victoires, chacun de vos progrès économiques, sociaux et culturels.
Notre Parti agit pour que soient développées les relations commerciales, culturelles et scientifiques entre nos deux pays et l'amitié et la solidarité entre nos deux peuples.
Pour vous-même, camarade Fidel Castro, pour votre parti, pour le peuple cubain, recevez donc nos vœux fraternels et l'assurance de notre indéfectible solidarité.
Waldeck Rochet
Secrétaire général du Parti Communiste Français
Aujourd’hui certes "Fidel Castro", ne semble plus apparaître que "tel un vampire à la pleine lune". L’excellente chronique des événements courants à laquelle j’emprunte cette formule illustre cependant son article non pas du pathétique cliché du jour publié par The Guardian (3)⇓ le 9 janvier, mais, tourné vers l'avenir, de la photo des dirigeants futurs qu’a déjà désignés Raul Castro. (4)⇓
Posons donc ici une simple question : si en 1964-1965, il y a donc 50 ans, la gauche française se disait prête à saluer les progrès de l’île communiste, quand a-t-elle seulement pris acte des désastres difficilement réparables que le tropical-socialisme a infligé à un pays qui, avant 1959, était un des plus brillants du Nouveau Monde ?
JG MalliarakisApostilles
1) cf. L'Humanité du 1er janvier 1964 ⇑
2) cf. L'Humanité du 1er janvier 1965 ⇑
3) cf. The Guardian du 9 janvier ⇑
4) cf. Blog Actu de l’Institut d’Histoire sociale le 10 janvier ⇑