Disons-le d'emblée. Ceux que l'on appelle communément les Illuminati constituent visiblement un groupe mal défini, voire indéfini et indéfinissable. D'ailleurs, ces comploteurs à la réputation hyperbolique nous font immanquablement penser à la mouvance fantasmagorique starisée par le média tout puissant, celle d'Al-Qaïda ; étrange spectre politique et terroriste qui fut et est toujours infiniment plus utile pour le Système et pour les hommes du Pouvoir que pour lesdits Islamistes. Les Illuminati, engeance floue à souhait, font utilement de l'ombre à la véritable Engeance, facilement et presque physiquement reconnaissable.
Leurres, fausses pistes et mythes au service des véritables mondiocrates
Qu'il est difficile aujourd'hui de disposer d'une grille de lecture politique cohérente et surtout apte à synthétiser utilement la réalité et non à la fantasmer, à la distordre, à la fausser pour le plus grand profit des maîtres de ce monde. Le fait, le but, nécessaire, de posséder les éléments cognitifs d'une clairvoyance politique objective est d'autant plus difficile à atteindre aujourd'hui que l'idéosphère est saturée de fausses informations, de jugements de valeur déguisés en vérités morales. Et si le gros média propagandiste s'échine à cacher la vérité politique et à démoniser les voies politiques salvatrices, la plateforme Internet, gorgée d'opinions portant sur tout et sur rien, déboussole littéralement les personnes de bonne volonté qui recherchent sincèrement les voies de la vraie révolution politique bienfaitrice mais qui se trouvent embourbés, ici dans un marais paradigmatique douteux, là dans une fange d'opinions hérétiques et impropres à la réalisation du bon, du bien et du beau. Parfois, certains acteurs désignent les bons coupables en leur reprochant des pacotilles, des bagatelles, ou simplement des dérives liées à leur spécificité culturelle. Quand les ennemis des peuples et des nations sont épingles, c'est souvent pour critiquer une attitude, des excès, une insolence ; rien de très précis et d'organisé en somme. D'autres fois, ce sont bel et bien les phénomènes sociologiques morbides qui sont nettement désignés par certains littérateurs. C'est la mécanique d'un vrai complot qui est précisément décrite par certains conspirationnistes. Le mal est bel et bien entouré, souligné, désigné. Les analystes de cet acabit font souvent mouche auprès d'un lectorat convaincu d'avoir saisi les rouages du grand complot, les techniques de sabordage national afin d'amener les peuples dilués (de plus en plus métissés) à l'acceptation d'un gouvernement mondial qui atomiserait une bonne fois pour toutes les particularités identitaires et les sas nationaux garantis par les résidus de souverainetés nationales encore observables aujourd'hui ici ou là.
En l'occurrence, souvent, trop souvent, ces "entomologistes" du complot désignent des acteurs incongrus, ou indéterminés comme les responsables de la grande conspiration planétarienne. Il s'agit selon eux, quelquefois, des Aliens, des petits gris, des extraterrestres verts, jaunes, petits ou édentés. Il existe en effet un public pour cela. Le petit malin, écrivaillon bankable grâce à un public d'importance mais limité sur le plan intellectuel (clientèle à croissance exponentielle aux États-Unis notamment), l'ancien joueur professionnel de football, le britannique David Icke pour le citer est devenu le spécialiste de la science fiction politique maquillée en conspirationnisme sincère. Lorsque nous avons lu pour la première fois des textes de David Icke, sans connaître ses théories farfelues et ses conclusions folles, nous avions été marqués par une caractéristique de sa rhétorique. Après avoir présenté avec un relatif sérieux de vrais phénomènes étranges ne pouvant être expliqués par la seule rationalité des acteurs sociaux, après avoir été en quelque sorte peu ou prou absorbé par la lecture de longues phrases décrivant quelques mystères indéniablement réels, Icke se cabre ou bombe le torse, ou « pète un câble » et balance à ses lecteurs que derrière tous ces mystères et ces injustices se cachent les Reptiliens, extraterrestres terriblement intelligents qui se planqueraient à Buckingham Palace. L'effet cognitif est radical... Les théories conspirationnistes explosent en plein vol ! Le ridicule tue et Icke est l'un des plus puissants vecteurs de cette fumisterie assassine ! Comment pourrait-on prendre au sérieux un scénario dans lequel l'analyste incorpore des Martiens déguisés en Reine d'Angleterre ou en Rothschild ? À qui sert le crime ?
Les Illuminati, une élite sataniste interraciale qui domine le monde ?
Icke constitue en quelque sorte le premier barrage anti-conspirationniste objectif, une première ligne interdisant aux gens dégoûtés par une telle mascarade, de poursuivre leurs recherches sur le sujet d'une manière générale. Et ne parlons pas de tous ces pauvres manants de l'esprit sans courage qui craignent constamment de passer pour des êtres un peu différents s'ils lisent des textes portant sur des thématiques sulfureuses. Après l'expérience d'une lecture d'un texte de D. Icke, « on ne les y reprendra plus » ! Car le chat échaudé craint l'eau froide...
Il existe cependant une population moins nombreuse, plus cultivée, plus courageuse, peut-être plus frondeuse aussi, qui aura compris que le complot ne peut être résumé par la phraséologie de quelques fous ou de quelques escrocs exploitant un filon rémunérateur. Celle-là rencontrera assurément sur son chemin de recherche des récits sur les fameux Illuminati, super maçonnerie née au XVIIIe siècle sous l'égide d'Adam Weishaupt. Sous une avalanche de faits, de noms, de chiffres, de dates, de corrélations savantes entre telle dynastie et telle autre, le lecteur curieux ingurgitera du complot Illuminati jusqu'à plus soif ! Tout phénomène deviendra le fruit de conspirations imparables ourdies par les Illuminati. Le spécialiste de ce paradigme complotiste est le Néerlandais Robin de Ruiter, auteur devenu célèbre dans le microcosme conspiratophile depuis la parution de son fameux Livre Jaune numéro 7 : Les 13 lignées sataniques. Nous avions évoqué dans Rivarol la publication d'une nouvelle version d'un livre qui fut il y a encore quelques années tout simplement interdit de vente en France. Ce livre offrait quelques éléments, quelques informations intéressantes, mettait en exergue des étrangetés politiques, donnait des noms et des dates... Mais il existait des pudeurs incompréhensibles dans cet ouvrage, en fait des pudeurs trop lourdes pour être honnêtes. Le deuxième tome des 13 lignées sataniques vient tout juste d'être publié en France et force est de constater que cette nouvelle livraison en dit long sur le rôle systémique ou la fonction de Ruiter dans l'entreprise de désinformation concernant notre sujet. Dans Les Illuminati et les Protocoles des Sages de Sion, Robin de Ruiter prend ainsi le parti de défendre la théorie loufoque selon laquelle les fameux Protocoles des Sages de Sion auraient été commandés par un épigone de Weishaupt et toutes les élites Illuminati du moment. Une commande qui n'aurait servi qu'à une seule chose : Provoquer une énorme vague d'antisémitisme à travers toute l'Europe afin de détourner les regards de la puissance organisée des Illuminati vers les Juifs! Evidemment, pour Ruiter, non seulement les Juifs ne seraient pas les rédacteurs de ce document (ce qui est fort possible, à moins que son aspect grandiloquent et théâtral serve justement à ridiculiser, par un biais caricatural, l'antisémitisme doctrinal) mais ces victimes officiellement éternelles ne joueraient de plus aucun rôle dans le complot mondialiste en cours. Ruiter prévient le lecteur : « Ce livre dissipera une fois pour toutes ces accusations à l'encontre du peuple juif comme étant l'auteur des Protocoles. Il n'a aucun rapport avec les origines des Protocoles. Rien à voir non plus avec un complot juif ! La conspiration pour un gouvernement mondial n'est pas juive. »
Les Juifs ? Des agneaux sacrifiés sur l’autel de la gouvernance mondiale selon Ruiter !
Quelque 50 pages plus loin, le Néerlandais récidive sans prendre de gants. « Les auteurs spécialement assignés à cette tâche utilisèrent les Protocoles Illuminati existants (thèse très originale et alambiquée de Ruiter...), mais reçurent pour instructions de modifier certains mots (notre Hollandais ne fournit aucune référence mais semble balancer de véritables éléments fictifs dans son récit) et phrases, afin d'instiller chez les lecteurs l'impression que tout n'était qu'un plan juif pour obtenir la suprématie mondiale. Ces allégations de plans juifs furent divulguées afin qu'aucun rapprochement ne puisse plus être fait avec les Illuminati. Comme nous le verrons (mais on ne le voit jamais), l'extermination de plus de six millions de Juifs faisait partie d'un plan horrible et gigantesque, mis en place par les Illuminati ! »
La vie doit être plus douce pour lui en postulant l'innocence absolue de la communauté qui a trop souffert. Hé ! Il faut bien manger ! Et duper un lectorat conséquent pour le plus grand bien de la juiverie internationale constitue la garantie d'une tranquillité - éditoriale ! D'ailleurs pour notre Batave, il ne peut exister de question juive. Le Juif semble ne posséder aucune caractéristique, aucune spécificité propre : Pas de solidarité juive, pas de cosmopolitisme juif, pas de culture juive, pas de fantasme métis juif, pas de subjectivisme juif, pas de complot juif, pas d'arnaques, pas de délinquance, pas de base arrière en Palestine, pas d'antinationalisme rabique ! Rien ! Le Juif ? C'est juste un homme comme les autres avec un autre nom, c'est tout ! Aussi découle-t-il de ce néant sémantique arbitrairement posé une incompréhension totale (ou plutôt le semblant d'une incompréhension) quant à la genèse de l'antisémitisme contemporain. Avec Ruiter, l'antisémitisme ne devient qu'un sentiment d'origine irrationnelle qui chauffe des esprits faibles... Aussi s'avère-t-il fort utile pour les dirigeants européens, selon Ruiter qui est décidément très spéculatif, d'utiliser la passion antisémite magique pour contrôler le peuple ou pour le divertir. « Une atmosphère antisémite fut créée partout en Europe. Tout au long des années vingt, d'importants politiciens se taisaient, tandis qu'ils de trouvaient face à des montagnes de livres et d'articles qui faisaient germer chez les gens la peur d'une conspiration juive mondiale. De toute évidence, une certaine forme d'antisémitisme politique se développait. » Tous les grands antisémites de l'histoire contemporaine seraient selon Ruiter des Illuminati. C'est en tout cas ce que décrète l'auteur des 13 lignées sataniques. Henri Ford aurait donc été selon notre "artiste" un diabolique tacticien qui stigmatisait le Juif dans le seul but de fabriquer un bouc émissaire. Comme ça... Pour dominer le monde. Visiblement, Ruiter connaît très mal la biographie du grand industriel américain qui connut au contraire les pires ennuis après la publication de son fameux ouvrage, Le Juif international, livre important que Ruiter n'a jamais lu ! Un écrivaillon décidément catastrophiquement décevant qui semble méconnaître la judéité militante même de certains acteurs politiques du dix-neuvième siècle comme Isaac Adolphe Crémieux.
L’engeance peut dormir tranquille…
Non content d'embrouiller l'esprit de lecteurs ne maîtrisant que modérément l'histoire politique, Ruiter devient insultant dans sa puérilité, page 72 : « Les dirigeants, sous le joug des Illuminati, ont besoin de ces monstres comme Adolf Hitler, et d'idéologies hideuses telles que le national-socialisme, l'extrémisme de droite et l'antisémitisme, pour préparer les populations au Nouvel Ordre Mondial. »
Des mots qui témoignent de la subjectivité de l'auteur et de sa propension à fabuler !
En tout cas son livre ne risque pas d'être censuré par les Autorités... Un bouquin qui est un conte pour enfants où le nomade est un lapereau innocent et où même la haine mythifiée n'a pas de racines. Un livre dans lequel le mal est tout puissant mais indéfini quand les vrais maîtres sont déguisés en gerboises inoffensives.
François-Xavier Rochette, Écrits de Paris Janvier 2014
Les 13 Lignées sataniques, Les Illuminati et les Protocoles des Sages de Sion, Mayra Publications, 197 pages, 28 € port compris à Librairie française, ASMA, BP 80308, 75723 PARIS Cedex 15. Tel : 01-83-62-98-12.