« Le “révisionniste” de nos jours, dans l’imaginaire collectif, est associé mécaniquement à l’antisémitisme et à l’apologie du nazisme ».
♦ Disparue depuis Napoléon III, la censure préalable a été rétablie contre un spectacle de Dieudonné, au nom de la lutte contre le « révisionnisme » rebaptisé en novlangue « négationnisme ». Le site de réinformation de l’écrivain et essayiste Denis Robert a décidé de consacrer la chronique encyclopédique de son internet « l’Audible » au mot révisionnisme. Il nous a paru intéressant de le porter à la connaissance de nos lecteurs.
Polémia.
Polémia qui fait sienne la formule d’Albert Camus : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde »
Origine du mot
Le mot « révisionnisme » est un dérivé du verbe « réviser », issu du latin « revisere », signifiant « revenir voir, examiner à nouveau ». Attesté à partir du XIIIe siècle, ce verbe est d’abord employé dans le sens de « considérer, examiner» ; au XVIe siècle il prend le sens de « soumettre une chose à un nouvel examen », puis, au XVIIIe celui de « revoir un ouvrage ». Ces deux derniers sens perdurent encore et cohabitent aujourd’hui. Le mot « révisionnisme » apparaît en France à la fin du XIXe siècle, à l’occasion de l’affaire Boulanger, et s’impose à l’occasion de l’affaire Dreyfus.
L’Affaire Dreyfus
En 1894, le capitaine Alfred Dreyfus, Alsacien d’origine juive, est accusé d’avoir livré des documents sensibles à l’Allemagne. Au terme de son jugement il est condamné à la prison à perpétuité et déporté au bagne guyanais.
Rapidement toutefois, certains se rendent compte que l’enquête et le procès ont été entachés d’irrégularités, et mènent une campagne pour la « révision » du procès. L’affaire Dreyfus passionne et divise profondément les Français pendant plus de dix ans, les « antidreyfusards » ou « antirévisionnistes » croyant fermement à la culpabilité du capitaine, les « dreyfusards » ou « révisionnistes » remettant en cause la régularité du procès et demandant la réhabilitation de l’homme. C’est donc dans un contexte juridique que le terme entre de plain-pied dans la langue française. Peut être qualifiée de « révisionniste » toute personne qui remet en cause une décision de justice.
Les communistes révisionnistes des années cinquante
L’usage du mot se perd par la suite, pour resurgir dans les années cinquante. En 1948 le maréchal Tito critique le centralisme soviétique et revendique pour son pays, la Yougoslavie, une « voie spécifique ». Cette vague révisionniste de l’héritage de l’URSS en général et de Staline en particulier va prendre de l’ampleur avec la divulgation du rapport Khrouchtchev en 1956 qui dénonce certains aspects de la période stalinienne, comme le culte de la personnalité et des crimes injustifiés. Mao Zedong et le PC chinois sont vent debout contre ce mouvement et nombreux sont les communistes qui, dans le contexte de la Guerre froide, voient dans ces critiques internes une démarche propre à saper l’unité et la confiance du camp communiste. Les stalino-critiques sont qualifiés par les pro-staliniens de « révisionnistes, avec une nouvelle connotation très négative puisque le terme, dans l’esprit de ceux qui l’utilisent, est un quasi-synonyme de « traître ».
C’est donc dans le contexte d’une controverse historique que le terme apparaît une seconde fois. Peut-être considéré comme « révisionniste » toute personne qui estime qu’un événement historique ou une séquence d’événements historiques, tout ou partie, doit être reconsidérée et réécrite.
Les historiens révisionnistes de la Seconde Guerre mondiale
Les deux sens du mot révisionnisme (judiciaire et historique) vont se retrouver dans la troisième incarnation du mot. Dans les années quatre-vingt, un nombre croissant d’historiens, réexaminant certaines séquences du procès de Nuremberg (nov. 1945/oct. 1946), au cours duquel furent jugés des dignitaires nazis pour crimes de guerre, relèvent ce qu’ils identifient comme des irrégularités et des incohérences, et demandent la révision d’un certain nombre de points, touchant notamment à la réalité et aux modalités du génocide des juifs et des tziganes.
Comme ils remettent en question certains éléments cruciaux, comme l’utilisation de chambres à gaz homicides, ces historiens sont également qualifiés de négationnistes par leurs adversaires. Comme dans les années cinquante, le terme est très négativement connoté, mais avec des colorations différentes. Le révisionniste désormais n’est plus un traître (comme au temps de l’affaire. Dreyfus), mais un « nazi », un « antisémite », un « fasciste », et plus récemment, un « conspirationniste ».
L’accusation de « révisionnisme » est d’autant plus redoutable que les députés français ont voté, le 13 juillet 1990, la loi Gayssot, qui interdit toute révision des conclusions du rapport final du procès de Nuremberg, sous peine de lourdes sanctions pénales.
Et de nos jours…
Les termes « révisionniste », et « négationniste » ont été fréquemment employés ces dernières années dans les médias pour qualifier ceux qui remettent en cause le récit d’événements historiques polémiques plus récents, comme les attentats du 11 septembre 2001, le génocide rwandais, ou encore les récents événements de Syrie. Bien que la remise en cause de la version officielle de ces événements ne soit pas pénalement répréhensible, l’utilisation de ces qualificatifs, combinée à l’existence de la loi Gayssot, peut prêter à confusion auprès du grand public, d’autant que de nombreux journalistes n’hésitent pas à opérer cet amalgame quand il est question de ces événements.
Le révisionnisme, consubstantiel à la méthode historique
Cette dérive est d’autant plus étrange que c’est une règle universelle, en science historique, qu’il n’existe pas d’événement ou de séquence d’événements qui ne soit susceptible d’être révisés avec le temps. En effet, les documents pertinents permettant d’éclaircir un événement n’apparaissent jamais tous ensemble, et loin s’en faut qu’on puisse en réunir suffisamment pour aboutir à une version « inrévisable ». C’est d’autant plus vrai quand il s’agit d’événements historiques brûlants qui sont dépendants d’enjeux politiques susceptibles de biaiser l’approche des juges et des historiens. Un bon exemple est celui de la Révolution française, dont l’historiographie a beaucoup fluctué depuis deux siècles, de Tocqueville à Mathiez en passant par Chateaubriand, Michelet, et Furet.
C’est pourquoi la loi Gayssot peut être considérée comme une singularité judiciaire doublée d’une singularité historique. Avec la loi interdisant la remise en cause du génocide arménien votée en 2001 sur son modèle, c’est la seule loi en France qui interdise aux historiens d’opérer un travail de révision sur une séquence historique donnée. La singularité de cette loi est redoublée par le fait qu’elle est adossée aux conclusions d’un procès militaire organisé par le camp des vainqueurs, quelques mois seulement après la guerre
On peut pour finir souligner cette ironie de l’histoire dans l’évolution de la connotation du mot « révisionniste » en France. Alors que le terme désignait, il y a un siècle, les défenseurs d’un capitaine juif accusé de trahison, le « révisionniste » de nos jours, dans l’imaginaire collectif, est associé mécaniquement à l’antisémitisme et à l’apologie du nazisme.
Etonnant renversement !
François Belliot, Chronique Encyclopédique, Décembre 2013