Une nation, un peuple peuvent avoir des institutions étatiques déficientes tout en continuant de produire une grande civilisation créatrice. L’exemple de la France – entre autres – est tout à fait parlant. Dans maintes périodes de son histoire, ce pays a connu une organisation politico-étatique instable, inadaptée et en crise endémique. Pourtant, la société continuait de fonctionner et de créer, dans tous les domaines, malgré la crise permanente de l’État. Parce que la Société était le corps fécond d’un peuple vivace, jamais découragé.
Prenons le cas de la période 1815-1848 (Restauration et Monarchie de Juillet) et celui de la Troisième République (1875-1940. Les institutions étatiques (les « constitutions » selon le vocabulaire de Tocqueville) étaient particulièrement fragiles, mal étayées, contestées et en crise permanente. Mais en même temps, dans les arts, les sciences, l’industrie, la qualité de l’éducation, le rayonnement économique et culturel, etc. le pays se montrait créatif et performant. Comment expliquer ce paradoxe ?
Tout d’abord, la pérennité et le génie d’une nation dépendent de l’articulation entre un principe mâle et organisateur, l’État, et un principe féminin vitaliste et accoucheur de formes, la Société. Sans État, la Société devient stérile, puisqu’un peuple sans État sombre dans le folklore et l’anémie. Et sans Société structurée et homogène, un État (même très bien organisé) devient inutile et impuissant : c’est ce qui se produit aujourd’hui, j’y reviendrai plus loin.
Deuxièmement, par le passé, lors des innombrables crises de l’État et de ses institutions, la France possédait toujours un État, aussi imparfait fût-il. Les crises de ”régime” était superficielles, superstructurelles, mais il existait toujours une infrastructure étatique et politique qui encadrait et aidait la créativité de la société. [1]
Troisièmement, en comparant approximativement l’État au cerveau et la Société au corps organique, comme chez un individu, si le premier connaît des maux de tête mais si la seconde reste parfaitement saine, l’ensemble global de la Nation peut continuer d’être performant. En revanche, si la Société se délite dans son fondement organique même, le meilleur des États ne pourra ni gouverner ni sauver la Nation. Les crises étatiques sont beaucoup moins graves que les crises sociétales. De même, un individu qui possède un excellent cerveau mais dont la santé du corps s’effondre se retrouvera paralysé et impuissant.
Le « capital historique » d’une Nation, c’est-à-dire sa production créatrice (culturelle et matérielle) accumulée dépend de l’interaction entre son État et sa Société, mais aussi de sa prise de conscience qu’elle constitue une unité ethno-historique. [2]
Maintenant passons aux choses qui choquent. Actuellement, on ne peut pas dire que l’appareil étatique français fonctionne mal par rapport à tout ce qu’on a connu dans le passé. Le problème, c’est la Société française, la force organique et productive de la Nation, qui se désagrège lentement. La responsabilité en revient en partie – mais en partie seulement – à l’État, qui a laissé faire et n’a pas corrigé. Mais la maladie de la Société précède celle de l’État puisque ce dernier provient, comme production biologique, du corps organique de la Société ; de même que le mâle naît de la femelle. D’un point de vue holistique et interactif, la Société produit l’État qui, à son tour, l’encadre, la dirige et la protège.
Aujourd’hui, l’ensemble de la Nation France (comme bien d’autres en Europe) présente des pathologies extrêmement graves qui mettent sa survie à moyen terme en question, et qui n’ont rien à voir avec les ”institutions”. Énumérons : le vieillissement de la population autochtone et son déclin démographique, l’invasion migratoire massive par le bas (provoquée ou acceptée avec fatalisme ou hostilité mais nullement imposée par la force de l’extérieur), la domestication psycho-comportementale source d’égotisme, de refus de l’effort (anémie), de sentimentalisme culpabilisé, de dévirilisation, d’hédonisme passif, d’indifférence envers les ancêtres et la lignée (le germen), etc.
Ces pathologies, qui ont atteint non pas tout le monde mais une proportion trop importante, expliquent la plupart des effets du déclin de la France et de bien d’autres pays européens. L’État , en tant que substance produite, n’en est pas la cause ; c’est la Société, en tant qu’essence productive, qui l’est.
L’explication que certains avancent s’appuie sur des raisons exogènes, de nature politique ou idéologique : l’influence à long terme de la morale chrétienne, de la franc-maçonnerie, de ”l’ esprit juif”, de l’américanisme, du consumérisme, etc. L’explication endogène, qui a la faveur de la sociobiologie, est que les peuples, ensembles biologiques, vieillissent, tout comme les individus, et perdent leur énergie vitale et leur volonté collective. Ils finiraient à long terme par moins bien résister à l’environnement, idéologique ou autre. Les premières raisons sont sources d’irresponsabilité, les secondes de fatalisme.
Personne ne pourra jamais trancher. Mais il ne faut pas être déterministe, il faut toujours agir comme si la fatalité était surmontable et comme si le désespoir tranquille était stupide.
Continuons par l’énoncé de quatre principes (ou conditions) qui déterminent la santé et la créativité d’une Société :
1) L’homogénéité ethnique au sens large du terme, avec une parenté anthropologique forte.
2) Des valeurs, une culture, une conscience historique partagées, sans communautarismes intérieurs – c’est-à-dire l’unité de la Société et de l’État.
3) Une solidarité intérieure au dessus des clivages de classes économiques, avec un sentiment d’appartenance charnelle plus qu’intellectuelle.
4) Un génie propre, c’est-à-dire des qualités intrinsèques, innées de créativité chez une large proportion des sociétaires. Ce qui n’est pas l’apanage de tous les peuples.
Le rôle politique de l’État est alors d’organiser cet ensemble et de le projeter dans l’avenir, c’est-à-dire dans l’histoire. Mais l’idéologie républicaine française (reprise par le communisme soviétique) s’imagine, depuis Robespierre jusqu’aux gauchistes hallucinés de Terra nova qui inspirent le PS, que l’État, muni de son idéalisme (« faire France ! ») peut harmonieusement organiser une Société composée de n’importe qui, venu de partout. Utopie qui torpille tout bon sens. Aristote expliquait que le corps d’une Cité (c’est-à-dire la Société) ne peut être fondé sur le hasard. L’État a besoin d’une Société choisie comme le sculpteur d’un marbre de qualité. La Société et l’État doivent se ressembler et se rassembler et le plus faible de l’équation est l’État.
Pourquoi ? [3]
Conclusion : si le délitement, le chaos ethnique de la Société française se poursuit, l’État, qui n’en est que la projection à terme, s’effondrera à son tour. La France disparaîtra. Mais le soleil continuera à briller.
Notes
[1] Montaigne estimait que si la tête de l’appareil étatique disparaissait, le pays continuerait de fonctionner normalement. Autrement dit, la Société possède sa propre autonomie.
[2] Le concept, très original, de ”capital historique” a été formulé par les nationalistes bretons du mouvement Emsav et par le théoricien Yann-Ber Tillenon. Il décrit l’interaction d’une Société et d’un État pour construire, dans la durée, l’héritage à la fois matériel et spirituel d’une Nation.
[3] Parce que c’est la Société qui finance l’État. Même la force physique de l’État (contrainte de force publique) dépend du consentement financier de la Société. Donc le rapport de force est complexe. L’effondrement d’une Nation provient toujours de la rupture du pacte Société/État. Et la Société génère toujours un nouvel État alors que l’État ne peut pas créer une Société
Guillaume Faye, sur VoxNR.
http://la-dissidence.org/2014/01/23/guillaume-faye-etat-et-societe/