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L'essence spirituelle de la Révolution

« Révolution, raison, fraternité, justice furent autant de mots magiques, autant de charmes contre la misère, de formules contre l’inégalité, que le peuple se prit à réciter avec une sombre ferveur ; il crut à une seconde bonne nouvelle comme il avait cru, dix-huit siècles auparavant, à la première… La Révolution était éternelle et invincible comme Dieu dont elle avait pris la place. »
Émile MONTÉGUT
Coup d’oeil sur la Révolution française, La Revue des Deux Mondes (août 1871)
Émile Montégut (1825-1895) fut à partir de 1857 le critique littéraire de la Revue des Deux Mondes où il publia aussi quelques essais de réflexion politique. Dans la première partie de Coup d’oeil sur la Révolution française dont nous venons de citer un extrait, il analyse l’essence de la Révolution qui est une religion. On n’avait jamais parlé ainsi depuis Joseph de Maistre qui voyait dans la Révolution une inspiration “satanique”. Mais l’analyse de Montégut ne se situe pas sur le plan de la théologie, elle se place sur celui de la constatation.
Les vertus chrétiennes devenues folles forment la mystique révolutionnaire, comme la Charité devenue Fraternité ; d’autre part, les principes qui soutiennent la société révolutionnaire sont les qualités des sociétés traditionnelles devenues folles :
« Examinez les pires erreurs, écrivait Montégut : dans toutes vous trouverez l’esprit de l’antique monarchie et de l’antique Église, mais leur esprit dépouillé de tout ce qui l’ennoblissait… » Le peuple est dressé à mépriser l’autorité, mais il adore la force qui n’en est qu’un élément apparent, et aveugle quand il est livré à lui-même. Il rejette toutes les hiérarchies naturelles, mais il accepte la tyrannie, que ce soit celle de l’homme providentiel ou celle, anonyme, des administrations. « Il refuse sa croyance à l’Église, écrit encore Montégut, mais il n’a pas abdiqué pour cela son aptitude à la foi aveugle, et il ne refuse rien de sa raison au plus infime prédicateur de club. Il pense sur l’individualité humaine et la liberté comme pensait l’Église : l’Église s’en méfiait comme d’éléments d’orgueil et de révolte : il les redoute et les hait comme germes possibles d’autocratie et comme éléments d’usurpation. Tout lui porte ombrage : il regrette le pouvoir qu’il est obligé de déléguer et, à peine l’a-t-il délégué, qu’il croit l’avoir perdu et qu’il lui semble s’être donné des maîtres… »
Exaltation mystique
Ainsi, en vertu de cette méfiance envers toute délégation du pouvoir, en toute organisation qui lui paraît un affadissement de son idéal, la Révolution ne cesse d’attaquer la société démocratique qui pourtant sort d’elle, qui s’est mise en place grâce à elle. Pourquoi ? À cause d’une sorte d’exaltation mystique qui la pousse vers une perfection impossible à réaliser puisque la Révolution est irréaliste. Une vie intérieure sérieuse pousse le chrétien vers la sainteté qu’il ne connaîtra, s’il la mérite, quelques âmes d’élite mises à part, que dans sa patrie céleste. Mais la Révolution ne possède pas de patrie céleste. Alors, que faire ? Il faut continuer à se battre contre les contingences pour faire progresser la Révolution : la Révolution ou la Mort. Au bout de la logique révolutionnaire se trouve en fait le Néant, ce que découvrit un peu tard le Girondin Vergniaud. « La Révolution est comme Saturne, dit-il devant le tribunal révolutionnaire, elle dévore ses enfants ».
Que la Révolution soit une mystique, Jaurès le reconnaît : « Il ne peut y avoir révolution que là où il y a conscience. » Et Alain, qui était tout sauf sot, et aurait pu, sans le poison idéologique, devenir autre chose que le philosophe du radicalisme, met en lumière la religion individualiste qui empêche l’esprit révolutionnaire de jamais organiser une société : « Les nations étant inévitablement plus bêtes que les individus, toute pensée a le devoir de se sentir en révolte. »
Le conservateur
Le conservateur ignore tout cela. Il est persuadé que la Révolution était nécessaire en son temps, qu’elle a fait son travail, qu’elle est terminée et qu’il va en gérer les acquits. C’est le bourgeois louis-philippard, c’est le bonapartiste, c’est le modéré sous la IIIe République, c’est le démocrate-chrétien, c’est le gaulliste de l’UNR.
Ces conservateurs sont des croyants qui ne pratiquent plus et qui ont oublié certains dogmes de leur religion révolutionnaire au point que des esprits superficiels les prendraient pour des hommes de droite, ce qu’ils ne sont point. Mais l’homme de gauche, dévot scrupuleux, pratiquant impavide, saura toujours bousculer ces « révolutionnaires du porche » toujours un peu honteux d’être de peu de foi.
Gérard Baudin L’Action Française 2000 du 1 er au 14 novembre 2007

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