C'est l'avis de Guillaume Bernard :
"Numériquement, les catholiques pratiquants (ceux qui vont au moins une fois par mois à la messe) ne représentent qu’environ 6,5 millions d’électeurs (sur 45 millions) soit au mieux 15 % du corps électoral (les « messalisants », c’est-à-dire les cathos pratiquants chaque dimanche, n’étant que 4 %). Il s’agit donc d’une minorité. Celle-ci est indispensable à la constitution d’une majorité pour un candidat de droite (puisqu’ils votent à près de 80 % pour les diverses tendances de droite), mais elle ne lui garantit pas la victoire. Ces électeurs ne comptent que pour un quart des voix obtenues par Sarkozy tant au premier qu’au second tour de 2012.
Penser que l’UMP pourrait être doctrinalement influencée de l’intérieur relève de la naïveté. Mais surtout, la faiblesse politique des cathos vient de ce que leur vote est extrêmement prévisible : parmi les facteurs expliquant le vote, l’enracinement culturel et l’attachement à des valeurs morales sont l’un des plus prégnants. Les partis politiques ne les craignent donc pas.
Pour la droite, ils sont un électorat acquis envers lequel il n’est nul besoin de tenir des promesses pour obtenir ses suffrages. Les catholiques ne peuvent espérer peser sur la politique qu’à la condition de devenir un électorat flottant, c’est-à-dire changeant son bulletin en fonction des enjeux et de l’offre.
En fait, le risque est moins pour l’UMP que pour La Manif pour tous. Va-t-elle, par exemple, garder son indépendance ? Ce qui a fait sa force, c’est qu’elle a su rassembler des personnes aux appartenances partisanes diverses qui ont mis leurs différences de côté pour, ensemble, défendre une cause et agir sur l’ensemble de la classe politique. Sa force politique (outre sa capacité à réunir des foules) ne se réalisera concrètement que si elle refuse tout compromis avec l’ensemble des partis politiques. Elle ne doit se rallier à aucun d’eux car elle aurait tort de croire qu’elle peut attendre autre chose d’un parti qu’une volonté de canaliser électoralement ses sympathisants (par exemple, en offrant des postes à ses « anciens » cadres).
Croire qu’elle pourra faire de l’entrisme, obtenir la reconnaissance de ses revendications en « plaçant » certains de ses membres dans un parti, c’est ne pas connaître le fonctionnement (cynique) de la vie politique. Hormis le cas de personnalités (nationales ou locales), un candidat a besoin, pour être élu, d’une étiquette. Des cadres de La Manif pour tous l’obtiendront sans grandes difficultés, en particulier s’il s’agit d’un scrutin de liste (chaque parti devant avoir des représentants des différents créneaux électoraux). Le « piège » se refermera alors sur eux. Car, pour être réélus, il leur faudra l’investiture du parti qu’ils n’obtiendront, cette fois, qu’en acceptant de mettre leurs idées trop « clivantes » dans leur poche.
Pour faire grandir son influence, La Manif pour tous devra se transformer en un authentique lobby n’ayant strictement aucun état d’âme partisan : elle doit prendre tous les partis sans exclusive comme des interlocuteurs, mais aussi comme des cibles. Elle trouvera, toujours, sans qu’elle ait besoin de compromis, des parlementaires (convaincus ou en mal de notoriété) prêts à reprendre une proposition de loi fournie, discrètement, clef en main.
Puisqu’elle a mis en place une charte pro-famille à destination des candidats aux élections, La Manif pour tous pourrait, par exemple, se focaliser sur la mise en place d’un réseau ayant pour but de contribuer à faire élire ceux qui l’ont signée, et battre ceux qui l’ont refusée et ce, quels que soient les partis concernés. En politique, il n’y a pas de pire ennemi que les faux amis…"