Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Ukraine : les milliards envolés des oligarques russes

Ils sont la partie visible de la richesse de la Russie. Les oligarques sont aussi victimes de la crise ouverte entre Vladimir Poutine et les Etats-Unis. La chute de la Bourse russe leur a fait perdre des milliards.

Plus de 20 milliards de dollars… C’est, depuis le début de l’année, le lourd tribut payé par les milliardaires russes à la crise géopolitique et économique. Les 16 plus riches d’entre eux ont vu leur fortune fondre de 23,5 milliards de dollars (8.284 milliards de roubles, selon l’indice Bloomberg des milliardaires). Un véritable krach pour les nouveaux riches les plus en vue de la planète depuis l’effondrement de l’URSS. Sur les 18 Européens dont la fortune a chuté de plus de 1 milliard de dollars depuis le début de l’année, 10 sont russes !


L’année 2013 n’avait déjà pas été très bonne pour ces milliardaires amateurs de football (Rybolovlev à Monaco, Abramovich à Chelsea, Ousmanov à Arsenal…), de yachts et de vacances fastueuses sur la Côte d’Azur ou à Courchevel.

Le retournement du marché des matières premières, qui a fait une partie de leur fortune, leur a coûté cher. L’an dernier, le magnat ukrainien Rinat Akhmetov a perdu 5,1 milliards de dollars. Le patron de Rusal, Oleg Deripaska, a, lui, vu sa fortune fondre de 3,8 milliards et celle d’Alexeï Mordashov, patron de Severstal, de 2,3 milliards.

13 milliards perdus en un jour

Ils espéraient sans doute profiter de la reprise économique aux Etats-Unis ou en Europe pour se refaire une santé financière. Mais c’était compter sans le psychodrame ukrainien.

Le 3 mars dernier, la tension est à son comble entre la Russie et l’Ukraine, soutenue par les Etats-Unis et l’Europe. « Bruits de bottes », « guerre froide », « escalade », peut-on lire dans la presse. La Bourse de Moscou panique. L’indice Micex, qui regroupe les plus grosses sociétés cotées comme Rosneft, Uralkali, Sberbank ou encore Loukoïl, s’effondre de plus de 10 %.

Ce jour-là, la fortune des milliardaires russes s’est allégée de près de 13 milliards de dollars, selon Bloomberg. Le « son du canon » a fait fuir les investisseurs.

On estime que la fuite des capitaux de la Russie éternelle pourrait atteindre 100 milliards de dollars sur le seul premier trimestre. Une saignée historique.

Car la crise en Crimée intervient presque au plus mauvais moment pour l’économie russe. En trois ans, son taux de croissance est passé de 4,3 % à 1,3 %… Et le pire est à venir. Selon la Banque mondiale, l’économie russe pourrait se contracter de 1,8 % cette année, si la crise autour de l’Ukraine s’aggrave et si la fuite des capitaux se prolonge.

« Alors que l’absence de réformes structurelles de fond avait déjà mené à une érosion de la confiance des investisseurs et à un ralentissement progressif de la croissance, les récents événements autour de la Crimée ont transformé ce problème persistant en véritable crise de confiance », selon la banque internationale, qui conclut : « Cela a montré plus clairement la faiblesse du modèle de croissance économique de la Russie. »

A Moscou, la banque centrale ne table déjà plus que sur une croissance inférieure à 1 % cette année, loin des 2,5 % de croissance du PIB espérés en début d’année. Mais certains, localement, ont déjà franchi la ligne rouge.

Le magnat de l’acier Vladimir Lissine s’en tire le plus mal

Les milliardaires sont donc touchés au portefeuille alors que les cours de Bourse de leurs entreprises s’effondrent. Six d’entre eux ont déjà perdu près de 15 milliards de dollars depuis le début de l’année. Vladimir Lissine est celui qui, pour l’instant, s’en tire le plus mal : 3,9 milliards de dollars évaporés depuis le début de l’année (au 2 avril). Il avait déjà perdu en 2012 son titre d’homme le plus riche de Russie.

Le magnat de l’acier, propriétaire du groupe Novolipetsk, est un homme discret. Cet ancien ouvrier sidérurgiste, amateur de cigares cubains, ne serait pas vraiment un proche du Kremlin, selon le magazine russe « Finans » et il se tiendrait aussi éloigné que possible du monde politique. Ce qui n’a pas empêché cet amateur d’armes à feu d’accéder en 2011 au poste de vice-président du Comité Olympique russe.

Vladimir Yevtushenkov a, lui, perdu 2,7 milliards depuis le début de l’année, presque un tiers de sa richesse. Le roi des télécoms, numéro un du mobile en Russie (MTS), a fondé Sistema en 1993. Cotée à la Bourse de Londres, l’action du groupe, présent aussi en Ukraine, a perdu plus du quart de sa valeur depuis le début de l’année. Vladimir Yevtushenkov fut, un temps, proche de l’ancien maire de Moscou Iouri Loujkov, démis de ses fonctions par Dimitri Medvedev en 2010.

Cet amateur de dominos, lui aussi discret, a investi dans le cinéma. Il possède les studios Russian World à Saint-Pétersbourg, qui ont travaillé avec Woody Allen sur le film « Match Point ».

Vient ensuite l’un des milliardaires russes les plus connus, Alicher Ousmanov, le fondateur de Metalloinvest, numéro un mondial du minerai de fer. Le Russe le plus riche de 2013 a vu sa fortune fondre de 2,5 milliards de dollars. Mais il lui reste suffisamment d’argent, plus de 17 milliards, pour gérer ses hobbies et ses envies.

Propriétaire de 30 % du capital d’Arsenal, ce fan d’escrime (il a lu et relu « Les Trois Mousquetaires » dans sa jeunesse) s’est offert en 2012 un Airbus A340 (prix catalogue 350 millions de dollars), qu’il a entièrement customisé. Homme de médias (propriétaire du quotidien économique « Kommersant » et de plusieurs chaînes de télé), il est aussi connu pour ses investissements fructueux dans Facebook (1,4 milliard de dollars de bénéfices).

Gros investisseur en Amérique, il fait partie du sérail et entretient de bonnes relations avec Vladimir Poutine. Fin 2011, il n’avait pas hésité à limoger le rédacteur en chef de « Kommersant », accusé d’avoir été injurieux avec le président dans le cadre d’un article sur des fraudes électorales.

Andrey Melnichenko (12,8 milliards de dollars) a aussi perdu gros avec la crise, autour de 1,9 milliard. Le roi de la potasse (il est propriétaire d’EuroChem) n’était déjà pas épargné par la baisse des prix des engrais imposée par la Chine et par l’Inde.

Melnichenko est un proche de Poutine, qui était au premier rang lors de son mariage avec un mannequin. C’était en 2005 à la Villa Altaïr au cap d’Antibes. Un mariage à 30 millions de dollars, avec aux fourneaux Alain Ducasse, et derrière le micro pour pousser la chansonnette Christina Aguilera, Julio Iglesias et Whitney Houston.

Roman Abramovich, le propriétaire du club de Chelsea sur la pente descendante

D’autres milliardaires ont aussi connu un mois de mars difficile, tel Sergeï Galitsky, propriétaire du numéro un de la distribution Magnit (– 1,9 milliard), Alexeï Mordashov (1,5 milliards de dollars), le patron de Severstal et actionnaire de Rossia, l’une des banques visées par les sanctions américaines ou encore Vagit Alekperov, le président de Loukoïl, qui a perdu 1,2 milliard.

La liste est longue, mais certains ont échappé à la sanction des marchés, comme Roman Abramovich, dont la fortune n’a reculé que de 178 millions de dollars depuis le 1er janvier. Mais le propriétaire du club de Chelsea est sur la pente descendante. L’an dernier, le groupe minier Evraz, dont il est actionnaire, a plongé de 56 %.

Quinzième fortune mondiale en 2008 avec plus de 21 milliards de dollars en 2008, Roman Abramovich n’est plus que le 146e homme le plus riche du monde aujourd’hui.

Dimitri Rybolovlev a lui aussi limité les dégâts (–22 millions de dollars). La vente de sa participation dans Uralkali, en 2010, pour 6,5 milliards de dollars permet au président de l’AS Monaco de dépenser tranquillement son argent sans trop se soucier des crises.

Mais celui qui s’en sort le mieux s’appelle Oleg Deripaska (+ 126 millions de dollars depuis le 1er janvier), actionnaire de Rusal et de Norilsk Nickel. Présenté comme le « milliardaire de Poutine », celui qui a fait fortune sous Eltsine, n’a pas hésité à investir 1,8 milliard de dollars dans les Jeux de Sotchi, via notamment la construction du village Olympique.

Mais, comme Abramovich, il a perdu de son lustre au fil des années. Sa fortune est passée, selon « Forbes », de 28 milliards en 2008 à 6,5 milliards aujourd’hui.

Sur la liste noire

Mais, à côté de ces richissimes chefs d’entreprise, pénalisés par la crise, il y aussi quelques personnalités plus directement visées par les sanctions américaines et européennes.

Ils sont trois dans le viseur : Iouri Kovaltchouk, Guennadi Timtchenko et Arkadi Rotenberg. Le premier contrôle la banque Rossia. Seulement 1.168e fortune mondiale, il est considéré comme« le banquier personnel des hauts responsables en Russie ». Vieil ami de Poutine, il est membre comme lui d’une coopérative, Ozero, qui gère un ensemble de datchas dans la région de Saint-Pétersbourg, où cohabitent plusieurs milliardaires locaux.

Visés également les frères Rotenberg, Arkadi et Boris (une fortune de 5,5 milliards à eux deux), présentés comme les hommes d’affaires les plus influents de Russie. Ils ont été les « sparring-partners » de judo de Poutine. Leur entreprise SGM Group a prospéré dans le sillage du géant Gazprom. La fortune d’Arkadi a été multipliée par quatre en trois ans selon « Forbes ».

Enfin, il y a Guennadi Timtchenko, considéré comme l’homme le plus puissant de Russie, présent dans l’énergie, le transport, la construction, infrastructure via le holding Volga Group. Il est aussi actionnaire de Novatek, l’une des actions massacrées par la Bourse le 3 mars dernier (– 13 %).

Mais Timtchenko était aussi il y a peu l’un des principaux actionnaires du groupe Gunvor, numéro quatre mondial du courtage de pétrole. « Les activités de Timtchenko dans le secteur de l’énergie ont été directement liées à Poutine. Poutine a des investissements dans Gunvor et pourrait avoir accès aux fonds de Gunvor », accuse le département du Trésor américain.

Si sa fortune est passée de 2,5 à plus de 14 milliards de dollars entre 2008 et 2013, elle a fondu de 2 milliards depuis le début de l’année, selon les statistiques de Bloomberg.

Les Nets de Brooklyn à Moscou ?

Ces dernières années, les oligarques avaient tendance à sortir leur argent de Russie pour Londres ou Genève comme un signe de défiance vis-à-vis d’un pouvoir prompt à faire, mais aussi à défaire les fortunes. L’exemple de Mikhaïl Khodorkovski, ancien patron de Ioukos, emprisonné pendant près de dix ans, avait valeur d’exemple.

La crise ukrainienne pourrait-elle inverser la tendance ? Il y a quelques jours devant un parterre de grands patrons russes, Vladimir Poutine avait exhorté ces derniers au patriotisme économique. « Les entreprises russes doivent être déclarées sur le territoire de notre nation, dans notre pays, et avoir une structure capitalistique transparente. Je suis certain que ceci est également dans votre intérêt. »

Sera-t-il entendu ? Mikhaïl Prokhorov (qui pèse 10,7 milliards de dollars) a annoncé fin mars son intention de rapatrier le siège social d’une de ses entreprises les plus emblématiques : le club de basket des Nets de Brooklyn, qui jouera évidemment toujours en NBA. Une provocation de la part d’un homme qui a perdu près d’un demi-milliard de dollars avec la crise ?

Les Echos

http://fortune.fdesouche.com/335645-ukraine-les-milliards-envoles-des-oligarques-russes

Les commentaires sont fermés.