Exclusivité du Salon Beige: la diffusion des différents articles du dossier dePolitique Magazine consacré à l'indispensable réforme nationale. Ajourd'hui, Christian Tarente.
Pour en finir avec la décentralisation, il n’y a qu’une méthode : la faire. à condition qu’elle ne soit ni un faux-semblant cachant mal un jacobinisme rhabillé pour la circonstance, ni un délitement de la France sous couvert d’européanisation. Osons quelques propositions.
Jacobins ou Girondins ? Si l’on veut être à la fois les deux, mieux vaut n’être ni l’un ni l’autre. Comme dans le faux dilemme du protectionnisme et du libre-échange, fondamentalement, il n’y a qu’une règle, c’est le respect de la mesure, et politiquement, la seule mesure qui vaille, c’est celle de la France. Dans sa dynamique historique profonde, la France a d’abord été et demeure une affaire de territoire. Ou, plus précisément, de territoires qui, reconnaissant leurs intérêts communs, tout en assumant leurs spécificités, ont peu à peu constitué un territoire unique et divers. C’est ce mouvement historique dont il faut réactiver la force agissante, l’énergie vitale, la puissance unificatrice et non uniformisatrice.
PRIORITÉ AUX LIBERTÉS LOCALES
Les jeux de la démocratie moderne ont livré au plus absurde des hasards un discours politique apparent, guidé par le seul opportunisme du moment. Pendant ce temps, une classe oligarchique, conduite par une idéologie du tout économique, se fraie son chemin dans la plus profonde indifférence au bien commun et une hostilité déclarée à l’égard de tout ordre politique juste. Or notre diversité et nos libertés ne peuvent tenir qu’adossées à un État fort et indépendant.
On ne rétablira chez nous une autorité permanente, un pouvoir central durable, responsable et fort, qu'au moyen de libertés locales très étendues : c’était vrai hier, ce l’est plus encore aujourd’hui où la démocratie a rencontré le totalitarisme et s’est reconnue en lui. Les libertés locales sont le fondement nécessaire de toute réforme régionale qui tienne. Si nous voulons faire resurgir un esprit public aujourd’hui anesthésié, mais dont le printemps 2013 a prouvé qu’il ne demandait qu’a resurgir, il faut restituer aux institutions locales le moyen d’exister, de vivre leur propre vie et d’agir. Rendre la parole au peuple peut n’être qu’une formule de bateleur de meeting ou de démagogue médiatique : elle retrouvera tout son sens si l’on permet à l’expression populaire de se manifester dans son espace naturel. C’est-à-dire là où elle est à la fois réellement informée des problèmes qui la concernent, et fondée à être entendue.
Pour réformer nos collectivités locales et régionales, appliquons donc deux principes simples : permettre aux Français de formuler leurs préoccupations réelles au niveau où ils peuvent le faire efficacement ; et faire en sorte que, des communes aux régions, s’épanouissent librement leurs communautés naturelles.
L’expérience impose un troisième principe : brider ou briser l’influence des partis politiques dont le caractère excessif et nuisible est particulièrement manifeste à ce niveau.
LA COMMUNE, PREMIÈRE COLLECTIVITÉ « AFFECTIVE »
Les collectivités les plus proches de la vie quotidienne sont les communes. C’est elles qui doivent être l’objet de tous les soins, car c’est d’abord à leur niveau que s’expriment les solidarités familiales, sociales, professionnelles.
Il faut qu’elles aient les moyens d’assurer leurs fonctions libérées des insupportables interventions étatiques qui entravent inutilement leur liberté d’action. Une liberté qui comprend la possibilité de créer des structures intercommunales quand les nécessités de la vie contemporaine l’imposent. En s’adaptant au milieu urbain ou rural qui est le leur, tout en conservant leur personnalité : socialement, elles sont le premier lien affectif des foyers, des familles, des habitants d’un lieu-dit ou d’un immeuble entre eux. Et le premier lieu où leurs représentants peuvent exprimer leurs problèmes réels. Les conseils municipaux doivent rester des sanctuaires d’où sont bannies les querelles et propagandes partisanes déconnectées des réalités de terrain.
Le niveau immédiatement supérieur est l’arrondissement : parmi les collectivités locales existantes, c’est l’une des plus réelles physiquement, sociologiquement et économiquement. C’est d’ailleurs la plus approchante de nos « pays » traditionnels – contrairement au canton, entité tout à fait artificielle et dont on peut sans regret prévoir la disparition. Une assemblée de représentants des communes de l’arrondissement aurait vocation à traiter de tous les questions qui appellent un traitement collectif à ce niveau.
Le cas du département est un peu différent. Créé artificiellement par la Révolution pour casser les provinces héritées de la géographie et de l’histoire, il ne répond à aucune fonction indispensable. Cependant, si aujourd’hui M. Valls veut le supprimer, c’est pour une mauvaise raison : promouvoir un échelon régional artificiellement conçu comme « européen », en phase avec le pastiche europoïdal de Bruxelles.
Cette circonstance ne nous fera pas, pour autant, sauver le département tant il y a de bonnes raisons d’en souhaiter la disparition. Sans manquer de noter, cependant, que les habitudes prises au fil du temps ont pu créer certains attachements, par exemple dans le domaine de la culture ou du tourisme : il appartiendra à l’initiative privée de répondre à ces demandes.
DES RÉGIONS ANCRÉES DANS LEUR CULTURE PROPRE
Le troisième échelon est la région. Rejetons d’emblée le mimétisme halluciné que suscitent chez certains les Länder allemands : si nous tentions d’en importer le modèle, nous aurions les plus grandes chances d’aboutir plutôt à un hybride des modèles italien et espagnol, en en cumulant les difficultés. Ignorons aussi tout projet de découpage en entités régionales dictées par une supposée rationalité économique : nous sommes payés – si on ose dire – pour savoir quels dégâts provoque le tout-économique. Ce n’est pas de cette manière qu’il faut penser les régions. Enfin, oublions les calculs électoraux à courte vue, en l’espèce particulièrement misérables. Ils sont l’une des pires conséquences de l’influence des partis politiques et de la nature délétère des préoccupations de carrière qu’ils génèrent.
À l’écart de tout modèle artificiel, de toute idée d’une norme prétendument idéale, les régions doivent d’abord être fondées quelle que soient leur taille, sur leur réalité géographique, leurs racines historiques et tout ce qui fait leur personnalité propre. Ce n’est que de cette manière que, droites dans leur bottes, elles peuvent refléter les besoins réels de leur population et agir dans le seul sens de son intérêt. Car ce qui doit inspirer le fond d’une réforme des collectivités locales et régionales, c’est le principe qu’avant toute idée d’organisation administrative, leur rôle est d’abord d’assurer une représentation réelle de tous les Français et, chacune à son niveau, de gérer leur bien commun.
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