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La justice des juges contre la jurisprudence

Le Syndicat de la Magistrature est né d'une foi dans la justice des juges et d'une partialité revendiquée des magistrats qui parce qu'ils sont de gauche seraient plus justes que toutes les jurisprudences bourgeoises. Retour sur le discours programmatique de Maître Oswald Baudot.

« Soyez partiaux. Pour maintenir la balance entre le fort et le faible, le riche et le pauvre, qui ne pèsent pas d'un même poids, il faut que vous la fassiez un peu pencher d'un côté. C'est la tradition capétienne. Examinez toujours où sont le fort et le faible, qui ne se confondent pas nécessairement avec le délinquant et sa victime. Ayez un préjugé favorable pour la femme contre le mari, pour l'enfant contre le père, pour le débiteur contre le créancier, pour l'ouvrier contre le patron, pour l'écrasé contre la compagnie d'assurances de l'écraseur, pour le malade contre la sécurité sociale, pour le voleur contre la police, pour le plaideur contre la justice. »

En 1974, dans un célèbre discours à ses pairs, les magistrats du Syndicat de la Magistrature (SM), Oswald Baudot n'y allait pas par quatre chemins. Il demandait aux membres de ce Syndicat controversé, né sur les Barricades en 1968, de ne pas se tenir dans une illusoire distance tant vis-à-vis de la chose jugée que des justiciables, mais d'être clairement et sans état d'âme du côté du faible contre le fort. Ce texte revendique explicitement une tradition qui est monarchique ; on devine aussi des références chrétiennes. D'ailleurs Oswald Baudot, en guise de péroraison, qualifie, sans fausse humilité, sa propre adresse aux magistrats de Discours sur la Montagne, non pas pour dire : Heureux les doux, comme fit le Christ, mais pour improviser un : Heureux les faibles, car le cœur du Juge membre du SM sera avec eux. Il sera de leur côté.

Les « juges rouges »

Dans l'histoire du Syndicat de la Magistrature, il y eut ainsi plusieurs « juges rouges » qui firent scandale en se mettant délibérément du côté de l'ouvrier contre le patron, du côté de la veuve et de l'orphelin. C'est un Charrette, Patrice, de la famille du célèbre Chef vendéen, au temps où il était juge d'instruction à Béthune, qui fit particulièrement scandale en inculpant le 27 septembre 1975 Jean Chapron, le patron d'une petite entreprise, pour homicide involontaire, suite à un accident de travail qui avait coûté la vie à l'un de ses employés. Il y eut beaucoup d'autres engagements de ce genre des juges rouges, les connus et les inconnus, ceux qui ont fait du bruit et ceux que l'on n'a pas retenus...

Oswald Baudot avait-il raison de vouloir rétablir l'équilibre entre le fort et le faible en avantageant le faible? C'est ce que dit Aristote, au Livre V de son Ethique à Nicomaque : le juge doit être capable, à l'intime de lui-même, de réaliser l'égalité (une égalité de condition qui n'existe pratiquement jamais) entre les deux plaignants, pour pouvoir rendre la justice sans faire acception de personne. Mais le philosophe grec note que ce travail intérieur d'égalisation des deux partis est « presque divin » et qu'il est très difficile à un homme d'y parvenir.

Au-dessus de la loi

Dans un autre extrait de son fameux discours, Oswald Baudot vend la mèche : non seulement il faut s'exercer à ne pas faire acception de personnes en avantageant le faible par rapport au fort, mais il faut aussi se passer de la loi elle-même : « Dans vos fonctions, ne faites pas un cas exagéré de la loi, ose dire Baudot, juge d'instruction, et méprisez généralement les coutumes, les circulaires, les décrets et la jurisprudence. Il vous appartient d'être plus sages que la Cour de cassation, si l'occasion s'en présente. La justice n'est pas une vérité arrêtée en 1810. C'est une création perpétuelle. Elle sera ce que vous la ferez. N'attendez pas le feu vert du ministre ou du législateur ou des réformes, toujours envisagées. Réformez vous-mêmes. » Cette fois, ce ne sont pas les références chrétiennes qui prennent le dessus, mais la contestation de l'ordre établi, qui a fleuri au joli mois de Mai, l'an de grâce 1968. Certes il ajoutera, de façon classique : « Consultez le bon sens, l'équité, l'amour du prochain plutôt que l'autorité ou la tradition. » Mais son appel à la désobéissance est bel et bien lancé.

Révolution et impunité

Il aurait dû lui coûter cher. Simple substitut du Procureur de Marseille, il subit les foudres du garde des Sceaux de l'époque, Jean Lecanuet. Le Parquet avait demandé une réprimande avec inscription au dossier. Face à la mobilisation du Syndicat de la Magistrature, le garde des Sceaux renonça à sanctionner l'impertinent. Une impunité que ressent aujourd'hui encore le SM, qui est passé à travers le scandale du Mur des cons, sans même faire la moindre excuse aux individus stigmatisés. C'est Clément Weill-Raynal, le journaliste qui a découvert l'affaire et a fait publier des photos sur le site Atlantico qui fut sanctionné par France 3 pour avoir révélé des choses qui n'auraient pas dû être médiatisées.

Le projet du Syndicat de la Magistrature, quiappelle à une autre société et à d'autres lois, estune survivance du grand élan soixante-huitard.Il peut paraître aujourd'hui passé de mode. Defait, les principaux responsables n'ont pas changé. Ils continuent, presque seuls dans la sociétéfrançaise d'aujourd'hui, à vouloir faire la révolution. Ils croient à un dépassement de l'institution judiciaire et le livre qu'ils viennent de publier pour les quarante ans du SM s'intitule,conformément à l'espérance révolutionnaire quiest la leur : Les mauvais jours finiront. Ce messianisme sans Dieu a démontré partout non seulement son inefficacité mais son pouvoir de nuisance. Les magistrats du Syndicat de la magistrature, nés de cet élan en Mai 68, continuent à le cultiver et s'apprêtent à réformer notre Justice comme si vraiment les mauvais jours allaient finir.Leur partialité affichée et revendiquée devient uninstrument de leur lutte révolutionnaire.

Joël Prieur monde & vie  9 septembre 2014 

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