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Aurélien Bernier : « Les classes populaires se sentent profondément trahies par la gauche »

Aurélien Bernier est un essayiste et militant politique proche de la gauche radicale. Ancien membre du conseil d’administration d’Attac et du M’Pep, sa réflexion s’articule principalement autour de l’écologie — dont la décroissance —, le souverainisme et l’internationalisme. Il est notamment l’auteur de « Désobéissons à l’Union européenne ! » (éditions Mille et une nuits), « Comment la mondialisation a tué l’écologie » (idem) et « La gauche radicale et ses tabous : pourquoi le Front de gauche échoue face au Front national » (édition Seuil). Nous avons souhaité discuter avec lui de plusieurs sujets au cœur du débat politique : l’Union européenne, la souveraineté, l’écologie et la décroissance.

À l’heure actuelle, un système de protection sociale à la française est-il envisageable à une échelle européenne ? Ce type de système de solidarité peut-il dépasser les frontières ?

Aurélien Bernier : Les systèmes de protection sociale en Europe ont été mis en place par les États. Les choix faits en France sont le produit d’un compromis entre une partie de la droite et de la gauche : celui du Conseil national de la Résistance. Même s’il n’est pas parfait, il s’agit d’un édifice à abattre pour les libéraux, comme l’a avoué en son temps Denis Kessler, dirigeant du Medef. Or, dans cette entreprise de destruction, l’Union européenne joue un rôle essentiel de coordination et de justification. Non seulement le droit européen, totalement voué à la concurrence et à la dérégulation, pousse à la casse sociale, mais « l’Europe » est l’argument ultime pour faire accepter ces reculs. Comme Nicolas Sarkozy avant lui, François Hollande se défausse sur la « contrainte de Bruxelles ». Mais il n’en reste pas moins que le droit européen s’impose aux États. La droite et les sociaux-démocrates jouent ce double-jeu depuis des décennies. Comme le disent Antoine Schwartz et François Denord, « l’Europe sociale n’aura pas lieu » dans le cadre de l’Union européenne.

L’Union européenne a-t-elle été un frein ou une aide cruciale dans le progrès des mesures écologistes ?

Dans le milieu écologiste français, une vieille légende se transmet de génération en génération : la construction européenne serait bénéfique pour l’environnement, car elle forcerait les États récalcitrants à prendre des mesures. On cite souvent la qualité de l’eau, la chasse ou même la réduction des gaz à effet de serre. Mais c’est une véritable imposture. D’une part, les lobbies sont tout aussi actifs et puissants à Bruxelles qu’au niveau national, et les conflits d’intérêt entre commissaires européens et entreprises sont innombrables. D’autre part, quand l’Union européenne adopte une malheureuse directive nitrate, elle soutien en parallèle de manière honteuse l’agriculture intensive. Les politiques générales de l’Union européenne sont un véritable désastre pour l’environnement. Je me demande comment font certains écologistes pour ne pas s’en rendre compte.

On vante souvent le rôle de l’Union européenne en matière d’agriculture, avec notamment la Politique agricole commune (PAC). Quel est votre point de vue sur ce sujet ?

La Politique agricole commune a été, à une époque, un outil de régulation. Il était loin d’être parfait, puisque nous étions déjà dans une logique de libre-échange, mais en cercle fermé : celui des membres de la Communauté européenne. Mais aujourd’hui, la PAC ne vise que la compétitivité internationale de l’agriculture européenne. C’est un désastre pour les paysans, pour l’environnement et pour l’aménagement du territoire.

Pensez-vous que la gauche de la gauche soit encore en état de proposer un projet souverainiste, décroissant et anticapitaliste ou est-ce que le salut viendra de mouvements citoyens et populaires ?

Le rôle d’un parti politique est de porter un programme électoral devant les électeurs. Je crois que la gauche radicale peut et doit construire un programme de démondialisation, de décroissance et de solidarité internationale. Mais si les partis ne sont pas poussés par des mouvements citoyens non partisans, ils vont d’élection en élection, de calcul électoral en stratégies d’alliance. Ce n’est pas insultant que de dire ça, c’est un état de fait. Le succès d’Attac (dont j’ai fait partie au début des années 2000) a été de produire des idées et des mobilisations en dehors d’un calendrier électoral. Il n’y avait pas de considération tactique autre que celle de faire progresser ces idées. Aujourd’hui, des intellectuels comme Frédéric Lordon, Jacques Sapir, Emmanuel Todd ou d’autres jouent un rôle crucial en poussant la gauche radicale à la cohérence. Le « salut » dont vous parlez viendra le jour où la gauche radicale sera obligée d’être cohérente parce que les intellectuels et les mouvements citoyens l’auront mise au pied du mur.

Certains auteurs, comme Frédéric Lordon, distinguent la « souveraineté populaire » de la « souveraineté nationale ». En faites-vous autant ?

Bien sûr. La souveraineté nationale peut très bien être obtenue par la dictature. Ce n’est donc pas une fin en soi, car la démocratie, c’est garantir la souveraineté du peuple. En revanche, la souveraineté nationale est la condition de la souveraineté populaire. La stratégie des ultralibéraux vise à démanteler les souverainetés nationales, car ce qu’ils craignent plus que tout, c’est l’arrivée au pouvoir d’une gauche qui rejouerait le Conseil national de la Résistance en développant des mesures sociales, en nationalisant, en régulant… Le moyen qu’ils ont utilisé pour rendre ce cauchemar impossible, c’est la supranationalité ou la soumission à des institutions internationales : l’Union européenne, l’euro, l’Organisation mondiale du commerce… Comme ces institutions sont impossibles à réformer, il faudra rompre au niveau national pour se redonner la possibilité de mener des politiques de gauche [....]

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http://www.actionfrancaise.net/craf/?Aurelien-Bernier-Les-classes

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