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Manuel Valls contre Michel Onfray : une injonction à la pensée binaire et simpliste

Dans une interview accordée au "Point", Michel Onfray a déclaré qu’il préférait "une analyse juste" de droite "qu'une analyse injuste" de gauche. Des propos critiqués par Manuel Valls sur Europe 1. Michel Onfray a alors répliqué sur cette même radio, qualifiant le Premier ministre de "crétin". Pour Agrippine, professeur d’histoire et de géographie, le positionnement de Manuel Valls peut inquiéter. 
Michel Onfray est en colère (ce qui lui arrive souvent) : Manuel Valls lui a reproché de brouiller les repères de la gauche. Le Premier ministre, qui s’exprimait sur Europe 1 dimanche 8 mars, a déclaré : "Quand un philosophe connu, apprécié par beaucoup de Français, Michel Onfray, explique qu’Alain de Benoist – qui était le philosophe de la Nouvelle droite dans les années 70 et 80, qui d’une certaine manière a façonné la matrice idéologique du Front national, avec le Club de l’Horloge, le Grèce – […] vaut mieux que Bernard-Henri Lévy, ça veut dire qu’on perd les repères." 
Le positionnement de Manuel Valls interroge 
Si Onfray s’agace, c’est que le Premier ministre semble n’avoir pas vraiment lu l’interview de Michel Onfray qui y déclarait "préfére(r) une analyse juste d’Alain de Benoist à une analyse injuste de Minc, Attali ou BHL. Les Papous vont hurler ! Mais ils ne me feront pas dire que je préfère une analyse injuste de BHL sous prétexte qu’il est dit qu’il est de gauche". 
Onfray ne décolère pas depuis lors, se moquant ouvertement sur Europe 1 des"petits gominés trentenaires", qui écrivent des fiches pour Manuel Valls, ce "crétin" (mais attention, "ce n’est pas insultant, c’est familier", qu’on se rassure). 
Au-delà de cette passe d’armes, et quoi que l’on pense par ailleurs de l’œuvre de Michel Onfray ou de son omniprésence médiatique, le positionnement de Manuel Valls interroge, intrigue et peut inquiéter. 
Être d’accord avec Valls pour se dire "de gauche" 
Si l’on comprend bien la position du Premier ministre, chacun est sommé de choisir son camp et de ne jamais en changer, de ne pas aller voir les idées, les propositions de l’autre bord sous peine de franchir un Rubicon idéologique. Même s’il a tort, BHL vaut toujours mieux qu’Alain de Benoist. 
C’est pour le moins maladroit de la part de Manuel Valls de citer BHL pour l’occasion : BHL pourrait en effet concourir pour le prix du philosophe qui s’est le plus trompé dans ses analysés (géo)politiques. 
Faut-il à chaque fois être d’accord avec lui pour pouvoir se dire "de gauche" ? 
Comme le recommande l’adage (fondé sur une citation tronquée de Jean Daniel), doit-on à toute force préférer avoir tort avec Sartre que raison avec Aron ou plutôt, dans notre cas, tort avec BHL que raison avec le sieur de Benoist ? 
De Benoist s’amuse de cette polémique 
Alain de Benoist, le gentil grand-père barbu, l’ancien militant d’extrême droite et idéologue de la "Nouvelle Droite", ne se prive pas, pour sa part, d’inviter dans les colonnes de sa revue "Krisis" des intervenants de "gauche". 
Il en fait même une marque de fabrique, l’éclectisme et parfois la provocation ne le gênent nullement. Son but est de faire bouger les lignes, d’ouvrir sa réflexion en opposant parfois les extrêmes (sur son site, dans les anciens numéros de "Krisis", on tombe sur une interview croisée de Christine Boutin et Jean-Jacques Pauvert : il fallait y penser). 
De Benoist, interrogé par "Le Point" lundi 9 mars, s’amuse de cette polémique. Il considère que le Premier ministre a "complètement pété les plombs" et déclare : 
"Je vais vous faire une confidence, je me sens beaucoup plus à gauche que Manuel Valls !". 
Cet éclectisme procède parfois d’une stratégie idéologique pour certains néo-fascistes : que l’on songe à Casapound en Italie, qui prétend dépasser un clivage périmé en prenant un peu de Che Guevara, un peu de Mussolini et un peu de Chavez… Un mélange qui engendre une mixture peu évidente à digérer. 
Une pensée qui empêche les questionnements 
Lorsque l’on est de gauche et que l’on écoute Manuel Valls, on est donc en droit de ressentir un certain malaise. Comme si l’on était revenu à une pensée binaire, simpliste, douillette, celle qui empêche les questionnements et les doutes, considérés comme autant de dangereux glissements, de périlleux voyages. 
Dans le même temps, l’autocensure ne s’est jamais aussi bien portée : l’éditorial de Gérard Biard publié dans le "Charlie Hebdo" du 4 mars, fustige avec vigueur ces "reculs en rase campagne" que constituent les annulations ou déprogrammations de pièces, d’expositions ou de films pour cause de "contexte" défavorable. Il est impitoyable, mais comment ne pas souscrire à ces phrases assassines : 
"On a le droit d’avoir peur des tueurs. Mais on n’a pas le droit de leur laisser croire, de quelque façon que ce soit, qu’ils ont raison de tuer, que leur stratégie fonctionne". 
L'esprit du 11 janvier semble bel et bien s’être volatilisé 
La réponse du gouvernement semble être la cécité volontaire (face à ce climat d’autocensure) et l’injonction à une forme de "bien-pensance" officielle que l’on croyait révolue (BHL plutôt que de Benoist). La complexité, le débat vigoureux, mais fécond, n’ont alors plus droit de cité. 
Un professeur de philosophie de Poitiers peut être poursuivi pour avoir organisé un débat ouvert avec ses élèves après les attentats : le voilà suspendu quatre mois, menacé de poursuites pénales pour "apologie du terrorisme", affaire qui se dégonfle quelques jours plus tard. Des alcooliques patentés, des psychotiques sont envoyés en prison pour "apologie du terrorisme", gage certain de fermeté. 
En réalité, il semble bien que ce soit la peur qui règne en maître dans le débat public : peur du débat, peur du Front national, peur des réalités, peur de ce qui, peut-être, pourrait un jour se produire. 
Face à tant de supposée "fermeté" d’un côté et tant de couardise de l’autre, l'"esprit du 11 janvier", s’il a jamais existé, semble bel et bien s’être volatilisé dans les limbes.

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