Thomas Flichy, membre du centre Roland Mousnier, CNRS - Université de Paris-IV Sorbonne, écrit :
"Malgré l’efficacité du marketing qui entoure leurs rapports de prospective, les États-Unis ont une grande difficulté à anticiper les évolutions à venir. Nous pouvons prendre pour exemple le rapport "Global trends 2015", document élaboré en l’an 2000, afin d’anticiper le monde que nous connaissons aujourd’hui.
Croissance pour tous
Malgré quelques intuitions, force est de constater que la partie centrale de l’analyse se présente comme la projection d’un fantasme, celui d’un monde pacifié par la mondialisation et incapable de se structurer face à la puissance américaine.
En l’an 2000, les plus grands experts américains estiment que l’économie mondiale aura retrouvé vers 2015, son niveau de croissance des années 1960, ou du début des années 1970. La croissance touchera non seulement les pays émergents mais également les pays industrialisés. En effet, l’amélioration des politiques macro-économiques, le maintien de taux d’inflation très bas, et surtout la création de l’Euro contribueront à la croissance économique et par conséquent à la stabilisation politique du monde.
L'apogée du capitalisme mondialisé
En Europe, "l’expansion rapide du secteur privé conjugué à la dérégulation et à la privatisation stimulera la croissance économique et générera une pression concurrentielle permettant d’utiliser plus efficacement les ressources". La révolution de l’information permettra aux entreprises du monde entier d’imiter les "meilleures pratiques des entreprises les plus efficaces" (entendre ici les pratiques du capitalisme mondialisé).
En 2015, l’Europe, continent pacifié, ayant retrouvé la prospérité des années 1960, commercera avec le monde entier. Selon le rapport américain de 2000, la prospérité retrouvée de 2015, s’accompagnera d’un progrès net de la démocratie et de la transparence. En effet, "afin de gérer une économie mondialisée, les gouvernements devront être plus transparents les uns vis à vis des autres". [...]
Les prévisions géopolitiques du National Intelligence Counciln’étaient hélas guère plus pertinentes : en 2015, la Russie devait connaître une récession spectaculaire et un amenuisement géopolitique en raison du décalage entre ses ambitions et son manque de ressources. [...] Pour la Russie, l’amenuisement imaginé était tel, qu’elle aurait été incapable de maintenir en état ses forces conventionnelles et a fortiori de les projeter. La Russie ne se reposerait plus en 2015, que sur son arsenal nucléaire vieillissant afin de terroriser ses voisins (p. 69). [...]
En ce qui concerne le Moyen-Orient, les Américains y voyaient volontiers l’émergence de "nouvelles dynamiques sociales" très éloignées de toute radicalisation de l’islam (mot qui n’apparaît que cinq fois en cent pages). Bref, pas un mot sur le réveil religieux de l’islam, dont les signes avant-coureurs étaient pourtant bien visibles dès 2000. En 2015, Israël serait en paix avec ses voisins, notamment avec l’Etat palestinien désormais reconnu…Seuls les missiles nucléaires irakiens, russes, chinois, nord-coréens et iraniens menaceraient de frapper les États-Unis (p. 11). [...]
Michel Janva http://lesalonbeige.blogs.com/my_weblog/web.html