Les décès au début des années 2000 du germaniste français Louis Dupeux et de l’historien suisse Armin Mohler[1] nous donne l’occasion de revenir sur la « Révolution Conservatrice » allemande dont ils s’étaient faits les spécialistes et qui reste mal connue. Pourtant, Louis Dupeux anima à ce sujet durant une vingtaine d’années, au sein de l’université de Strasbourg, le Groupe d’étude de la « Révolution Conservatrice » allemande dont les travaux furent publiés dans la Revue d’Allemagne. Le précurseur de ces études fut Edmond Vermeil qui, en 1938, publia les Doctrinaires de la révolution allemande 1918-1938[2]. En France, la « Révolution Conservatrice » fut surtout étudiée, à partir de la fin des années 1960 par les milieux nationalistes-révolutionnaires[3] et puis dans les années 1980 par la Nouvelle Droite et, en particulier, par Alain de Benoist[4].
En effet, les membres de celle-ci ont publié un grand nombre de monographies, articles, études, etc. sur ce sujet. La Nouvelle Droite découvre (ou redécouvre) à cette époque la « Révolution Conservatrice », qui deviendra l’une de ses références importantes. Cette filiation est d’ailleurs ouvertement revendiquée à travers le recours à Ernst Jünger, Oswald Spengler, Carl Schmitt.
Les origines de la Révolution Conservatrice
La « Révolution Conservatrice » est un courant de pensée, avant tout culturel, qui s’est développé en Allemagne après 1918 en opposition à la République de Weimar et qui se caractérisait par un refus de la démocratie et du parlementarisme. Leur Weltanschauung, leur « vision du monde », révolutionnaire-conservatrice se réclamait de l’idéalisme, du spiritualisme voire du vitalisme, et se proposait de reconstituer une société sur la base de communautés naturelles structurées et hiérarchisées, menées par une nouvelle aristocratie du mérite et de l’action.
Les auteurs de ce courant de pensée ont médité sur les grandes questions qui agitaient leur temps : la technique, l’État, la ville, l’identité, la guerre, la crise religieuse, le marxisme et le libéralisme, la justice sociale, la question nationale et l’édification européenne, etc. Mouvement intellectuel, la Révolution Conservatrice renvoyait l’image d’une « droite » n’étant ni libérale, ni nazie et très modérément chrétienne. En effet, la Révolution Conservatrice fut aussi une expérience existentielle d’une grande richesse avec ses mouvements de jeunesse, ses organisations paysannes, ses “sociétés d’hommes” et ses cercles religieux.
Les racines de la Révolution Conservatrice plongent dans le romantisme, en réaction contre le processus de « modernisation » déclenché par les Lumières et la révolution industrielle. Le romantisme politique qui en découle se caractérisait, sommairement, à la fin du XIXe siècle, par le refus du rationalisme, de l’industrialisation, de l’urbanisation, du libéralisme ainsi que des valeurs conservatrices traditionnelles, dont le christianisme, au profit d’une vision mythifiée d’une société organique.
Leur Weltanschauung se fondait sur une vision pessimiste et cyclique de l’Histoire, influencé par la philosophie de Nietzsche. Elle se caractérisait aussi par un pessimisme culturel (le Kulturpessimismus). Le plus connu des précurseurs de ce pessimisme culturel fut Paul de Lagarde (Paul Anton Bötticher 1827-1891) qui contribua à « créer l’idéalisme de l’anti-modernité »[5]. Pour Lagarde, la modernité était le facteur de la décadence de l’Allemagne. Les idéaux de Paul de Lagarde furent vulgarisés par la revue Hammer publiée depuis 1902 par le vieux théoricien raciste Theodor Fritsch (1852-1933)[6], grand admirateur du premier[7].