Terme aujourd'hui galvaudé, le "volontarisme" désigne en fait une doctrine accordant la primauté à la volonté sur l'intelligence et à l'action sur la pensée intellectuelle. Un mal démocratique... Étude de ses formes métaphysique, religieuse, sociale et politique.
Après avoir rappelé qu'il est nécessaire d'obéir aux lois de l'ordre humain, Maurras pose, dans Sans la muraille des cyprès (1), une question essentielle :
« Et si l'on en sort ? Si l'on en sort, comme nous en sommes bêtement sortis, il faut nous rappeler le proverbe maritime attribué aux navigateurs portugais, mais dont nos marins de Bretagne revendiquent l'invention et qui dit fort bien ce qu'il dit, qu'il vienne d'Armorique ou de Lusitanie : le navire qui n'obéit plus au gouvernail sera bien obligé d'obéir à l'écueil. »
Volontarisme et volonté
Aller à l'écueil, c'est aller à la mort... L'oeuvre de Maurras est une lutte contre la mort : empêcher l'intelligence de mourir, empêcher la société de mourir, empêcher la civilisation de mourir, empêcher de mourir l'État, protecteur de la civilisation. Telle est la noble mission du politique dont le détourne le volontarisme, qui prétend imposer la volonté humaine en dehors de toute soumission aux lois du réel.
Dans la langue contemporaine vulgaire, usage de la rue, du journalisme ou de la classe politique au pouvoir, volontariste est couramment utilisé à la place de volontaire : « Le ministre mène une politique volontariste... »
La confusion entre les deux mots n'est peut-être pas toujours innocente. Le volontarisme est une doctrine qui accorde la primauté à la volonté sur l'intelligence et à l'action sur la pensée intellectuelle. Dans le langage courant, le volontarisme désigne l'attitude de quelqu'un qui pense modifier le cours des événements par sa volonté. Comme il convient pour comprendre un mot, faisons en le tour.
La forme métaphysique et religieuse du volontarisme est le pélagianisme, hérésie issue de la doctrine du moine Pélage qui minimisait le rôle de la grâce et exaltait la primauté de l'effort personnel dans la pratique de la vertu. Pélage soutenait que l'homme pouvait, par son seul libre-arbitre, s'abstenir du péché ; il niait la nécessité de la grâce et la puissance du péché originel. Trois conciles s'opposèrent à cette doctrine : ceux de Carthage, 415 et 417, et celui d'Antioche en 424. Le concile oecuménique d'Éphèse, en 431, condamna cette hérésie. L'anarchiste qui clame "Ni Dieu ni maître !" occupe le point extrême du volontarisme métaphysique.
Voulant savoir de quel prince il dépendait, Henri IV demandait à un gentilhomme : « À qui appartenez- vous ? » « À moi » répondit ce dernier. Et le roi de répliquer : « Vous avez là un bien sot maître. » C'est le volontarisme social. Vouloir organiser la cité sur une vue de l'esprit comme : « Tous les hommes naissent libres et égaux en droit » est du volontarisme politique. Étant volontariste dans son essence et dans sa pratique, la démocratie obéit régulièrement à l'écueil : en 1814, en 1871, en 1940, et nous n'osons parler de ce qui nous menace si la calamiteuse République perdure.
Empirisme contre pragmatisme
Le pragmatisme, que vantent les politiques qui se targuent de "réalisme", nie la vérité et ne connaît que l'action. Cette caricature de la pensée positive apparut aux États-Unis (2) et ne doit pas être confondue avec l'empirisme britannique, marqué du coin du bon sens mais un peu étriqué (3). Le pragmatisme est une doctrine selon laquelle n'est vrai que ce qui fonctionne réellement : comme nous sommes en République, nous devrions, par pragmatisme, être républicains pour "agir" au sein du système en place. Merci. Pour le pragmatisme la connaissance n'est pas contemplation mais action. Ce faux réalisme d'outre-Atlantique uni à l'idéalisme européen forme le fond du libéralisme contemporain.
L'empirisme seul est réaliste, parce qu'il se fonde sur l'expérience. Nous avons vu qu'il existe un empirisme étroit, borné, qui ne dépasse pas le petit horizon d'une personne de bon sens. L'empirisme de Maurras, l'empirisme organisateur tel qu'il le définit dans le chapitre Sainte-Beuve de Trois Idées politiques, est un instrument puissant au service de la pensée politique : « C'est en rétablissant la vérité sur le passé que l'on atteint à un clair jugement du présent et que l'on peut former des inductions raisonnables sur l'avenir. » (4)
Volontarisme est donc plus proche de caprice que de volonté. Gardons toujours à l'esprit que le respect du langage clair, propre et net aide puissamment à « penser clair et marcher droit ».
GÉRARD BAUDIN L’ACTION FRANÇAISE 2000 du 19 mars au 1er avril2009
1 - Sans la muraille des cyprès, J. Gibert, Arles, 1941.
2 - Le fondateur s'appelait Charles Sanders Peirce. Les deux autres grandes figures du pragmatisme classique (fin du XIXe siècle, début du XXe siècle) sont William James et John Dewey.
3 - Cf. l'adage britannique « les faits sont têtus » (facts are stubborn things).
4 - L'Action Française, 10 avril 1916.