Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Chronique de livre: Charles Robin "La gauche du capital"

Charles Robin, La gauche du capital, libéralisme culturel et idéologie du marché

Krisis, 2014

Dernièrement, on a beaucoup entendu parler de Charles Robin dans nos sphères, que ce soit dans Eléments ou lors de la récente et passionnante émission deMéridien Zéro (émission 214 du 26 décembre 2014 ; voir ici) qui était consacrée au présent essai et m’a convaincu de l’acheter et de le lire. Charles Robin est un jeune enseignant de l’Université Paul Valéry de Montpellier dont les travaux s’inspirent et complètent ceux de Jean-Claude Michéa sur le libéralisme en tant que « double pensée ». L’auteur démontre dans La gauche du capital que le libéralisme est loin de n’être qu’un projet économique mais constitue, au contraire, un « programme philosophique global », ce qui n’est jamais mentionné par l’extrême-gauche qui, par ses positionnements idéologiques, se fait le complice numéro un de la domination capitaliste qu’elle pense combattre.

Pour comprendre le libéralisme et son emprise sur nos sociétés, l’auteur nous convie à décortiquer ses origines philosophiques qui sont avant tout politiques et s’enracinent dans les Lumières du XVIIIème siècle. Les idées d’alors font de plus en plus de place à l’individu et à ses aspirations personnelles (dont le bonheur et la liberté). L’homme doit devenir libre de vivre selon ses valeurs et ses conceptions du vrai, du beau, du bien sans devoir rendre de compte à l’Etat sur ses choix de vie. L’Etat n’a plus à montrer l’exemple ni à imposer ses normes, il doit respecter les conceptions de tous les individus. Il devient « axiologiquement neutre ». S’il s’avise de vouloir décider à la place de son sujet, il nie celui-ci et porte atteinte à sa liberté, qui est fondamentale et lui sert à s’affranchir de toute dépendance et de « l’état de tutelle » pour reprendre Kant. On le constate ici : la philosophie libérale place la liberté individuelle au-dessus de toutes les formes de conventions sociales, de toutes les formes de « grands signifiants » (morale, religion, identité, valeurs…). De cette liberté personnelle et politique découle logiquement la liberté économique, bien souvent considérée à tort comme le seul apanage du capitalisme…  La philosophie libérale du XVIIIème siècle considère logiquement l’intérêt individuel comme clé de voute de son système de valeurs. Chaque homme est, selon elle, foncièrement égoïste et recherche son intérêt et la satisfaction de ses désirs avant tout. Cela ne devrait pas vraiment faciliter les choses de base mais, miracle !, les libéraux, à l’instar d’Adam Smith ou plus tard de John Stuart Mill, estiment que la recherche par chacun de son intérêt particulier concourt à l’intérêt général et donc au bonheur du plus grand nombre ! Il est donc évident pour ce courant de pensée d’avoir le marché le plus ouvert possible car chacun pourra y poursuivre son intérêt propre et satisfaire ses désirs. Le commerce mènerait ainsi à la paix et « aux mœurs douces », en conséquence à un monde idéal de joie, de bonheur personnel et de prospérité. Les entraves et les barrières au marché, à la croissance doivent donc être écartées pour atteindre cet idéal étranger à la limite et à la frontière. Et ces barrières au commerce sont ? Les sociétés enracinées et traditionnelles, les Etats forts et indépendants, les systèmes de valeurs, les religions, l’autorité familiale…  On comprend donc aisément que libéralisme politique et libéralisme social et économique travaillent de concert et se nourrissent l’un l’autre et permettent la domination capitaliste totale que nous connaissons. Michéa résume d’ailleurs la situation avec une grande clarté : « il apparaît évident que l’accumulation du capital (ou « croissance ») ne pourrait se poursuivre très longtemps si elle devait s’accommoder en permanence de l’austérité religieuse, du culte des valeurs familiales, de l’indifférence à la mode ou de l’idéal patriotique ». On suivra donc allégrement Charles Robin dans son analyse de la doctrine libérale comme source des plus profondes mutations que connaît notre époque.

L’auteur s’attache à retrouver les conséquences de cette philosophie libérale dans le monde moderne et, en premier lieu, dans le discours d’extrême gauche qui avalise, comme on le sait, toutes les « avancées » sociales et sociétales possibles, ne comprenant pas qu’elles sont une condition incontournable pour l’extension infinie du système libéral (qui serait, selon elle, caractérisé uniquement par la liberté économique et le marché ouvert). Cette extrême-gauche moderne milite en effet, sous l’égide de la sacro-sainte liberté, pour l’abrogation de toutes les barrières idéologiques (religion, autorité, structure familiale, identités…) et soutient toutes les transgressions possibles et imaginables (sexuelles notamment) en vertu du combat pour les droits individuels de chacun (homosexuels, féministes et immigrés en tête !). Olivier Besancenot ne dit d’ailleurs pas autre chose, en témoigne cette citation psychédélique : « les révolutionnaires se sont toujours battus pour l’épanouissement individuel »... C’est d’ailleurs pour cela que Mai 68 est, pour eux, un élément phare de leur mythologie. Beuglant qu’il fallait « jouir sans entraves », ils se faisaient les alliés de poids d’un changement sociétal total guidé par l’édification des valeurs du capitalisme moderne. L’individu devant se soustraire de toute norme culturelle ou morale, il devient prêt à répondre à ses envies et à ses pulsions, celles-ci étant de plus en plus guidées par l’idée de transgression à tous niveaux… Transgressions dont le marché offre toujours une version « consommable ». Il suffit de regarder autour de nous pour vérifier toute la véracité de la chose ou d’aller voir ce que dit Charles Robin à propos de la manière dont on considère le sex-toy au NPA de Besancenot ! Désormais, tous les désirs de l’individu sont dirigés vers le marché, celui-ci n’existe que par ce qu’il consomme. Il est l’homo œconomicus parfait, sans attache, nomade (comme le veut Attali !), seul au milieu de tous, affranchi de toute communauté qui aurait brimé ses désirs. Il peut même jouer le provocateur ou le révolutionnaires comme la plupart des militants d’extrême-gauche qui se trouvent bien résumés dans leur pseudo-combat par cette phrase de Michel Clouscard : « Consommer, c’est s’émanciper ; transgresser, c’est être libre ; jouir, c’est être révolutionnaire ». L’extrême-gauche a comme idéologie première la recherche de l’intérêt individuel et participe ainsi activement à la domination du capital. La situation est d’ailleurs bien représentée par la couverture de l’ouvrage où les deux personnages, le capitaliste et le gauchiste, l’air satisfait, se partagent quasiment tout l’espace disponible (en noir) et ne laissent que peu de marge de manœuvre (le blanc) à ceux qui les combattent et qui devront, pour être efficaces, apporter une réponse globale et radicale à l’idéologie libérale. Cet essai fondamental de Charles Robin devrait les y aider de par sa richesse et l’étendue de la réflexion qui y est proposée et que je n’ai fait ici que survoler.

Rüdiger / C.N.C.

http://cerclenonconforme.hautetfort.com/archive/2015/05/09/chronique-de-livre-charles-robin-la-gauche-du-capital-5619062.html

Les commentaires sont fermés.