Le présent ouvrage est l'édition française de Earthforce, An Earth Warrior's Guide to Strategy, paru en 1993 dans la langue de Shakespeare. Il s'agit d'un ouvrage clef de la bibliographie du Capitaine Paul Watson, activiste écologiste canadien qui serait un des fondateurs de Greenpeace en 1971, mais surtout le fondateur de la Sea Shepherd Conservation Society (SSCS) en 1977 suite à des désaccords avec les dirigeants de Greenpeace. Il a également participé comme personnel soignant à la défense de Wounded Knee, dans le Dakota du sud en 1975 avec l'American Indian Movement, contre les forces etats-uniennes.
Engagé dès son plus jeune âge, Paul Watson est un homme d'expérience, souvent dépeint comme « le dernier pirate ». Il est une source d'inspiration, comme ce fut le cas pour Alice Ferney qui préface le manuel. C'est tout naturellement à Lamya Essemlali, présidente de la branche française de Sea Shepherd, qu'il est revenu de rédiger l'avant-propos de la présente édition. C'est grâce à elle que la SSCS a connu un fort développement en France sur les dernières années.
Paul Watson présente tout d'abord ses quatre sources d'inspiration : Sun Tzu, général et stratège chinois du VIe siècle av. JC, Miyamoto Musashi, bushi et philosophe japonais du XVIIe siècle, Marshall McLuhan, théoricien de la communication décédé en 1980, et enfin Paul Watson lui-même. L'édition française débute par une autre source d'inspiration : Napoléon. L'objectif de Paul Watson est d'utiliser le savoir stratégique, tactique, médiatique et opérationnel de ses différentes sources d'inspiration pour les appliquer à l'écologie profonde. Il enrichit son propos de nombreuses citations de personnages plus ou moins célèbres et de nombreuses locutions latines. Le livre se termine d'ailleurs par les trente-six stratégies de Miyamoto Musashi actualisées et appliquées à l'écologie, comme par exemple l'art de l'invisibilité, la stratégie du grand frère ou même la stratégie du charme féminin...
Trois autres parties d'inégale longueur constituent le manuel, les fondamentaux, le fondement spirituel de l'eco-guerrier et le continuum ; cette dernière partie peut elle-même être divisée entre une introduction plus philosophique et un développement en 13 points centré sur les aspects purement stratégiques. Les réflexions philosophiques ne sont pas dénuées d'intérêt dans ces différentes parties car elles permettent d'en apprendre plus sur ce qui motive Paul Watson et les siens, en particulier dans la partie intitulée « le Continuum ».
La base même de sa philosophie, et donc de son engagement, est l'opposition entre la pensée biocentrique et la pensée anthropocentrique. Dans la pensée biocentrique, l'homme est une partie du vivant et il ne doit pas agir seulement pour son intérêt propre, mais pour l'ensemble du vivant. Cette pensée s'accompagne d'un respect des ancêtres, et de la conscience que nous ne faisons qu'emprunter notre planète à nos enfants. Nous sommes connectés entre générations mais également avec les êtres non-humains. La Terre y est « sacrée ». Nous pouvons voir ici l'influence chez Watson de la pensée amérindienne, d'autant qu'il fait également référence dans son ouvrage au rôle du chaman.
La pensée anthropocentrique, à l'inverse, consiste à placer l'homme au centre de nos préoccupations et à faire passer l'humanité avant le reste du vivant. Paul Watson est donc plutôt critique envers le christianisme qui est, selon lui, une religion totalement anthropocentrique, ce qui rejoint d'ailleurs une partie de la pensée dite « néo-païenne » en Europe. Pour Paul Watson, les sociétés anthropocentriques accordent par exemple plus d'importance à la quantité de vie qu'à la qualité de vie, ce qui conduit à des périls mortels. Il défend au préalable l'avortement et considère que « […] vous êtes obligés, au sein du Continuum, d'assumer la responsabilité de la protection, de l'alimentation, du soutien et de l'éducation de l'enfant ». Il critique également le fait que les Etats-nations cherchent à accroître leur population par des politiques natalistes et par l'immigration dans le seul but de produire (industrie, agriculture) et de faire la guerre. On décèle dans l'ensemble une pensée malthusienne, anti-productiviste et anti-technicienne. Vous serez peut-être heurtés par certaines de ces considérations, l'auteur allant jusqu'à critiquer l'agriculture et à considérer qu'il ne faut pas accorder trop d'importance aux différentes créations humaines.
Quant à l'aspect stratégique, qui est l'essentiel de l'ouvrage, il saura être utile quelque soit la cause qu'on défend. Il définit tout d'abord six stratégies (la stratégie du guérisseur, la stratégie du communicateur, la stratégie de l’artiste, la stratégie de l'agent infiltré, la stratégie de l'instigateur et la stratégie du chaman) qui correspondent surtout à des « profils militants ».
Il consacre également de nombreuses pages au commandement et aux chefs dans la sous-partie 1, intitulée « Les préparatifs », et il détermine neuf sortes de chef (les chefs humanistes, les chefs dévoués, les chefs courtois, les chefs intelligents, les saints, les chefs de terrain, les chefs de première ligne, les chefs charismatiques et les grands chefs). On comprend assez vite que là aussi, tout est une question de profil et qu'il est assez absurde de déterminer des « chefs de tout » qui deviennent rapidement « les hommes orchestres » dont parlait Dominique Venner. Surtout, il insiste sur l'importance de la METHODE et de la DISCIPLINE [NDR : les mots sont en lettres capitales dans l'ouvrage]. Les 12 autres sous-parties sont également très intéressantes : « La duperie . L'art et l'usage de la duperie stratégique », « L'art de se battre sans se battre » (dont une page est consacrée à « Combattre vos alliés »), ou encore « L'utilisation des agents de renseignements » (agents locaux, agents infiltrés, agents doubles ou convertis, agents pions et agents survivants). On y sent la forte influence de Sun Tzu. Bien sûr, P. Watson explique également l'importance de contrôler son image, de connaître le monde des medias, de travailler sa communication et recommande la lecture de MacLuhan.
Au final, cet ouvrage me paraît incontournable sur le plan de la réflexion, mais surtout de la stratégie pour quiconque désire agir avec sérieux et crédibilité. C'est une synthèse intéressante de diverses influences sur le sujet. Les principes qui animent P. Watson ne sont pas tellement différents de ceux de la droite radicale des années 70 (selon la terminologie alors en vigueur) : joindre l'action à la pensée, importance de la discipline, de la stratégie, de la tactique, de bien définir ses objectifs et l'importance d'accepter l'idée de la mort. En conséquence, je ne me suis pas senti vraiment en terres inconnues à la lecture de cet ouvrage, qui pourrait aisément être enrichi par une pensée plus « européo-centré » : je pense en particulier à la ruse incarnée par Ulysse dans l'Iliade et l'Odyssée, qui ne diffère pas tellement de la duperie dans la stratégie chinoise, à la pensée de Machiavel ou encore l'importance accordée à la nature dans les mythologies européennes.
Jean / C.N.C.