Non loin de Dreux, il y a une petite ville, Houdan, dans laquelle j'aime parfois me retirer quelques heures, en particulier pour lire en face de cette église qui, en fait, est sans doute ma préférée en Yvelines. Sa façade extérieure porte une inscription républicaine des années de la Terreur, éminemment robespierriste : « Le peuple français reconnoit l'existence de l'être suprême et de l'immortalité de l'âme », tandis que l'intérieur est d'une grande beauté, toute couverte des poussières du temps, et baignée d'une lumière dans lesquelles elles semblent flotter comme le souvenir des âmes envolées. J'y ai passé, et j'y passe encore, des heures à méditer, à prier bien sûr, mais aussi à lire, saluant les rares visiteurs ou paroissiens (ou pèlerins !) qui s'aventurent dans ce lieu où souffle doucement et silencieusement l'esprit...
Ce matin, en arrivant à Houdan, j'ai constaté avec dépit que la librairie du lieu était « définitivement fermée » : ainsi, pour acheter son journal, faudra-t-il aller jusqu'à Dreux ou Anet, ou se rendre dans une grande surface pour se fournir en littérature quotidienne... En fait, cette situation est celle de nombreux villages, bourgs et petites villes de France d'aujourd'hui, et c'est bien dommage ! On évoque souvent la disparition des services publics dans le monde rural, et les bureaux de poste se font rares dans nos campagnes. Mais les poissonneries, boucheries artisanales et autres épiceries, elles aussi, ont souvent baissé définitivement le rideau, et les cafés, parfois derniers points de convivialité, sont aussi en voie d’extinction : les communes rurales (ou rurbaines) ressemblent de plus en plus à des villages-dortoirs, et il m'est arrivé de traverser des territoires de Normandie ou des alentours de Chartres sans voir âme qui vive, même si, derrière les volets clos, j'apercevais la lueur des téléviseurs en fonctionnement... Une tristesse profonde, mêlée à une rage parfois à peine contenue, m'envahit lorsque je parcours ces déserts sociaux apparents, souvent cernés de lotissements qui se ressemblent tous, de la Bretagne à l'Île de France, et qui débouchent sur des zones commerciales froides et bétonnées dans lesquelles se pressent des consommateurs oublieux de toute mémoire et soucieux de ne pas entendre les autres ni de leur parler... Où est l'âme de nos campagnes ? Où est la convivialité ?
Se lamenter sur ce qui disparaît ne le fait pas forcément réapparaître : c'est maintenant qu'il faut agir et réagir, avant qu'il ne soit trop tard pour ceux qui restent, comme ce café dans lequel j'écris cette note ! En période de vacances, prenons le temps, pour ceux qui se plaignent de ne pas en avoir assez d'ordinaire, de fréquenter les villages, les bourgs et les petits centres-villes, d'y acheter nos victuailles, d'y prendre le journal, d'y savourer un café (à 1,20 à Houdan, et guère plus cher, voire encore moins, à Lancieux ou en Mayenne...) en discutant avec quelques inconnus ou avec le cafetier. Désertons (pour ceux qui les fréquenteraient, parmi les lecteurs...) les centres commerciaux, les « hypers » et les chaînes de restauration rapide ! Abandonnons les sites marchands sur la toile, et prenons le temps de pousser la porte des librairies, de fouiller dans les boîtes des antiquaires, de traîner dans les vide-greniers villageois, etc. Tout cela peut sembler dérisoire et, pourtant, cela ne l'est pas, loin de là ! Cette petite « révolution des attitudes et des habitudes », que certains font déjà toute l'année, est réalisable par tous...
D’ailleurs, je vous écris de ce petit restaurant qui propose des plats « faits maison » à la fois simples et variés, et qui prouve aisément que la qualité peut être conciliée à la quantité, avec la passion du travail bien fait et du service des autres... Et ce qui est vrai à Houdan l'est aussi à Versailles, comme à Rennes ou à Lancieux, et bien ailleurs !
Face à moi, à cette heure, tandis que le café refroidit dans la tasse, cette formule robespierriste que j'évoquais plus haut, « L'immortalité de l'âme » : c'est aussi, au-delà de toute théologie, un appel à préserver celle de nos villages, de nos campagnes, de notre pays, « l'âme de notre France »...
Post-scriptum : je rassure mes lecteurs habituels : je ne suis pas devenu robespierriste ! Mais je reste ce royaliste qui n'hésite pas à citer et à revendiquer ce qui peut, même de l'autre côté de la barricade, servir la compréhension et l'action de la France. Cette formule de Robespierre ne me fait pas peur, et, d'ailleurs, je la trouve, au moins pour son passage sur l'âme, éminemment « contre-révolutionnaire »...