L’auteur de cette biographie de Mac Orlan, parue chez Pardès, est Bernard Baritaud, spécialiste reconnu de l'écrivain. Il préside la Société des lecteurs de Mac Orlan.
L’enfance de Mac Orlan
Pierre Dumarchey, qui prendra plus tard le pseudonyme de Pierre Mac Orlan, naît le 22 février 1882 à Péronne, ville de garnison du Nord de la France. Son père s'était battu en 1870 parmi les zouaves pontificaux et poursuivra une carrière militaire assez terne jusqu'au grade de capitaine. Le premier souvenir que conserve l'enfant de son père est celui d'un officier « vêtu d'un pantalon rouge à bandes noires et d'un dolman noir à brandebourgs ». De la mère, qui était la fille d'un employé des Chemins de fer, on ne sait rien. Est-elle prématurément décédée ? Cela expliquerait que Pierre et son frère Jean, un rebelle dans l'âme, aient été élevés par un oncle, agrégé d'histoire. Les études de Pierre sont peu concluantes. Il en retiendra cependant un goût pour les poètes latins et une passion pour le rugby ! Il envoie quelques poèmes à Aristide Bruant qui lui répond fort aimablement. Il va avoir bientôt dix-sept ans. Débute une période de misère qui durera près de dix ans.
La misère
Pierre Dumarchey était persuadé d'avoir trouvé sa voie : il sera peintre. Il arrive, avec un petit pécule, à Paris dans les derniers mois de 1899 et s'installe, comme il se doit, à Montmartre. Il s'inspire de Toulouse-Lautrec, qu'il admire mais ne parvient à vendre aucune de ses œuvres. Pour, subsister, il fait quelques petits travaux. Il tapisse une villa, il est terrassier, et dort dans des hôtels meublés. Il fréquente les bars à matelots et y rencontre une foule d'originaux dont il s'inspirera dans ses livres. Il rencontre sur la butte les rédacteurs du Libertaire hebdomadaire, une feuille anarchiste où il publie un article parfaitement médiocre fustigeant la bourgeoisie. Il vit une existence inquiète, minée par la hantise d'assurer la survie quotidienne. Il a souvent faim. Le thème de la faim sera d'ailleurs récurrent dans l'œuvre du romancier.
Un personnage de Montmartre : naissance de Mac Orlan
Il va très vite prendre ses habitudes au Lapin agile, un cabaret de Montmartre, propriété de Bruant. Il courtise la fille du patron, Marguerite, qui deviendra plus tard, en 1913, son épouse pour la vie. On imagine que cette relation l'aide sans doute quelque peu à survivre. Toujours est-il qu'il va y connaître de "vrais" écrivains qui deviendront ses amis Apollinaire, Carco, Salmon, qui exerceront sur lui une réelle influence littéraire. Il est apprécié, pas tant pour ses écrits qui sont encore peu nombreux, que pour sa personnalité, haute en couleur, coiffé d'une casquette ronde, flanqué d'un basset d'Artois, il entonne volontiers des chansons de marins ou de légionnaires. On l'appelle « le patron », ce qui signifie, en fait, qu'il fréquente la fille de la femme de Frédé, le vrai patron, qui est, lui aussi un personnage pittoresque, avec sa longue barbe, sa toque de fourrure et sa guitare. C'est en 1905 que naît Mac Orlan. C'est avec ce pseudonyme qu'il commence à signer ses dessins. Pour vivre, il écrit aussi des textes de chansons, que d'autres signent le plus souvent et qui sont interprétés par des chanteurs des rues. Il réussira même à vendre quelques dessins à la presse humoristique.
Le voici écrivain
On en attribue le mérite au directeur artistique du journal Le Rire, Gus Bofa, qui est un ami de Pierre. Celui-ci apprécie davantage les légendes que les dessins que lui soumet Mac Orlan. Du coup, il l'encourage à développer les légendes et à les transformer en contes. Mac Orlan, qui donnera plus de soixante contes dans les journaux humoristiques en 1913, entre ainsi de plain-pied en littérature. Il ne renoncera cependant pas tout à fait à dessiner. On lui doit des « bandes dessinées » avant la lettre, où le texte est intégré à l'image, sous forme de bulle. Sa collaboration à la presse va, dès lors, assurer sa sécurité matérielle. Son premier roman, La Maison du retour écœurant, paraît en 1912. Il doit beaucoup aux expériences antérieures de l'auteur, et se caractérise par un ton cocasse mais grinçant, où affleure l'amertume. Un deuxième roman, Le Rire jaune, est publié en feuilleton en 1913. Il décrit les ravages d'une épidémie burlesque, venue de Chine. L'épidémie fait mourir de rire, au sens propre. Du coup, la foule fanatisée massacre ceux qui font rire, les clowns, les humoristes... Les paysans, quant à eux, profitant de l'anarchie, vont piller les villes. C'est dans ce livre que l'on trouve cette formule « Je ne crains qu'une chose dans un bois et la nuit... c'est l'homme ». Le pessimisme de Mac Orlan est total le rire jaune est la folie que tout groupe humain porte en soi et qui peut entraîner, lorsqu'elle est libérée par les circonstances, un bouleversement radical de la société. Après ce livre, Mac Orlan est devenu un écrivain plein de promesses, reconnu par ses pairs.
Et puis, arrive la guerre
Il sera engagé en Lorraine, en Artois et à Verdun et évoquera dans ses écrits un « travail meurtrier désespérément quotidien ». N'étant pas officier, donc sans solde, il collabore à La Baïonnette afin de subvenir aux besoins de son épouse. Mais l'agent de liaison Pierre Dumarchey va être touché par des éclats d'obus, le 14 septembre 1916, devant sa ville natale. Décoré de la croix de guerre, il sera réformé le 8 décembre 1917. Il écrira dans Verdun, une vingtaine d'années plus tard : « A Verdun commença réellement la fin d'un monde et ceux qui vécurent là, en février 1916, purent constater que la guerre était la plus terrifiante de toutes les maladies de l'intelligence humaine ». Les personnages de Mac Orlan portent la guerre au plus profond d'eux-mêmes « comme une maladie secrète », dira l'un d'eux. La guerre fut pour lui un traumatisme. Vingt ans plus tard, il raconte dans Chroniques de la fin du monde (1940) que, à la tombée de la nuit, en Seine-et-Marne, il crut entendre un jour, venant de l'Est, le bruit d'une petite troupe de cavalerie en mouvement. Il écrira « C'est précisément de là, c'est-à-dire du seuil de ma porte au sommet arrondi, que j'ai entendu venir un soir les quatre cavaliers de l'Apocalypse ». Parmi eux, la Guerre et la Mort, dont il n'avait cessé de redouter le retour...
1918-1939 : une activité débordante
Ces années correspondent à la maturité de l'écrivain. Son activité est débordante. Il est éditeur et découvre notamment Joseph Delteil. Il édite de magnifiques ouvrages pour bibliophiles. Il est critique, publie un feuilleton littéraire où il traite de l'actualité comme des rééditions importantes. Il effectue des reportages pour le compte de journaux qui font appel, en ces années-là, à dès écrivains de renom. Il se rend en Allemagne nationale-socialiste, en Italie où il interviewe Mussolini, en Angleterre, en Espagne, en Afrique du Nord. Il "couvre" des procès retentissants, et, précurseur d'Antoine Blondin, suit pour Le Figaro, quelques étapes du Tour de France. Mais ce n'est pas tout. Il tient une chronique "Disques" dans Le Crapouillot à partir de 1927 et écrit aussi sur les œuvres de photographes connus. Et puis, il écrit le scénario du film de Marcel Lherbier, L'Inhumaine, qui fut certes un échec commercial, mais qui reste une référence pour les cinéphiles. Et enfin, il fera les adaptations au cinéma de ses romans, La Bandera réalisé par Julien Duvivier, en 1935, et le célèbre Quai des brumes de Marcel Carné, en 1938. Mais revenons à ses romans. Il avait écrit un grand roman d'aventures maritimes, Le Chant de l’équipage, en 1918 qui sera suivi de A bord de l’Etoile Matutine. Beaucoup de ses livres respirent le goût de l'aventure. Il y a, selon lui, deux sortes d'aventuriers : l'aventurier actif qui court le monde et finit mal, et l'aventurier passif (dans lequel il se reconnaît puisque écrivain), qui se contente d'imaginer l'aventure. Et puis, il y a aussi l'aventure de la pègre, l'aventure militaire et coloniale qui fascineront Mac Orlan. On les retrouve dans La Bandera (1931) et Le Camp Domineau (1937). Quant au roman le plus connu, Le Quai des brumes (1927), il fait largement appel aux souvenirs des années de misère à Montmartre. Mac Orlan avait aussi abordé le fantastique sur un ton qui n'est certes pas tout à fait celui de Hoffmann, de Jean Ray, de Seignolle ou de Lovecraft. Dans Malice (1923), ruiné, arrivé au bout du désespoir, le personnage principal du livre n'a d'autre ressource que de vendre son âme... pour la corde lui permettant de se pendre. On ne lui en offre pas davantage. Cet usage burlesque de la damnation nous donne une idée du pessimisme radical de l'écrivain. Mais Mac Orlan s'intéressera aussi aux phénomènes sociaux. Il écrit sur le sport, la mode, l'automobile, la publicité... Il évoque le Vel d'Hiv, les music-halls et les grands magasins, où ses contemporains se prosternent devant la modernité et la consommation gloutonne. Pierre Mac Orlan est un pessimiste. L'univers obsessionnel de ses livres les errances stériles et la marginalisation du héros, la mauvaise chance qui le poursuit, la conviction que l'aventure vécue est néfaste, et puis, tous les hommes sont dangereux, le monde est rempli de pièges mortels destinés à nous perdre.
La guerre à nouveau
Il approche de la soixantaine quand la guerre éclate. C'est à la campagne que lui et Marguerite vont vivre les années de l'Occupation. Ils élèvent des poules et des lapins, ce qui leur permet d'affronter les difficultés d'approvisionnement. Il se met en retrait de la vie littéraire mais collabore cependant, avec prudence, à certains journaux (certes pas Je Suis Partout !), en restant obstinément dans un registre littéraire. Il publiera cependant un grand livre, L'Ancre de miséricorde, en 1941 encore un roman d'aventures maritimes. Et puis, il interrompra au bon moment sa collaboration à une presse tout de même liée à Vichy. Il ne sera pas inquiété à la Libération... Bon, il avait certes signé la pétition du « Manifeste des intellectuels français pour la défense de l'Occident et de la paix en Europe », publiée par Le Temps du 4 octobre 1935. Ce manifeste soutenait l'invasion de l'Ethiopie par Mussolini. Mais ceci était une vieille histoire et après tout, Mac Orlan n'avait-il pas aussi signé en son temps une pétition réclamant la libération de Malraux, emprisonné au Cambodge, où il avait quelque peu été mêlé à un trafic d'oeuvres d'art ?
L’après-guerre : une nouvelle carrière
Mac Orlan va entreprendre une nouvelle carrière à la radio. Il produira, entre 1947 et 1958, une dizaine d'émissions radiophoniques. Il y égrène ses souvenirs, ses lectures, évoque ses amis et ses passions, dont le rugby, fait entendre les chansons qu'il aime. Il adapte aussi certains de ses textes et nouvelles pour des émissions qui ont beaucoup de succès. Et puis, il y aura le retour à la chanson. Il va écrire une soixantaine de textes qui seront interprétés essentiellement par des femmes Germaine Montera, Monique Morelli ou Juliette Gréco, entre autres. Ses chansons font souvent appel à des souvenirs de jeunesse. Voici un couplet de la chanson Fanny de Lanninon : il s'agit de la triste histoire d'un marin breton, depuis ses vingt ans jusqu'à sa vieillesse sans espoir. « J'ai plus rien en survivance / Et quand je bois un coup d'trop / Je sais que ma dernière chance / S'ra d'faire un trou dans l'eau ». En 1950, Mac Orlan avait été élu à l'Académie Goncourt, à l’unanimité. Il y siégera aux côtés de ses amis André Billy, Roland Dorgelès, Francis Carco, et de la présidente, Colette, qu'il admirait. Les honneurs ne l'épargnent pas. Il sera Commandeur de la Légion d'honneur, à l'initiative d'André Malraux, en 1966. Mai-68 ? Bof , il y verra une révolte des jeunes contre la civilisation des machines et des ordinateurs. On a compris que Mac Orlan n'était pas un grand penseur politique. Armand Lanoux était étonné de sa « merveilleuse qualité d'inengagement » l'instinct de conservation et la prudence érigés en règles de vie...
Les dernières années, puis la fin
Pour son quatre-vingt-deuxième anniversaire, en 1962, les éditions Gallimard, ses lecteurs et ses amis lui avaient offert un perroquet, Catulle, vite surnommé Dagobert. Mac Orlan avait indubitablement le sens de la communication. Ce perroquet sur son épaule va contribuer à donner à Mac Orlan, vêtu d'un col roulé de grosse laine, coiffé d'une casquette écossaise à pompon, le profil de l’aventurier qu'il n'a jamais été. Le 10 novembre 1963, Marguerite meurt brutalement. Il ne s'en remettra jamais. Il se flattait volontiers de n'avoir jamais divorcé, contrairement à nombre de ses confrères. Il avait consacré à son épouse, en 1952, un poème tout à fait admirable La Chanson des portes. Une puissante et ancienne affection les liait. Mac Orlan survivra encore sept ans, sept ans empreints de mélancolie. Il se retire petit à petit du monde, continuant à recevoir cependant ses visiteurs, même les plus anonymes, avec une extrême gentillesse. Une crise cardiaque l'emporte le 27 juin 1970. Il sera enterré discrètement, selon ses vœux, à Saint-Cyr-sur-Morin, aux côtés de son épouse qu'il aimait tant.
R.S. Rivarol du 23 juillet 2015
Mac Orlan de Bernard Baritaud, 127 pages, 15 euros franco de port à Pardès, 44 rue Wilson, 77880 Grez-sur-Loing.