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Construire l'Empire

Pourquoi l'Union européenne engendre-t-elle tant de problèmes pour les pays membres ? Parce qu'elle représente historiquement une sortie précoce de la démocratie dans un espace de 27 pays, livrés à une technocratie que l'on peut nommer impériale faute de mieux...

La construction européenne ne peut s'expliquer qu'avec des métaphores guerrières. Il s'agit moins de bâtir un édifice commun autour d'un bien commun que d'annexer des territoires indépendants, avec deux séries d'arguments : la première peut se résumer à "Il n'y a pas d'autre choix possible", la seconde à "C'est pour votre bien" La première série renvoie à la longue liste des justifications d'une puissance économique qu'aucune nation européenne ne saurait avoir seule, la seconde aux avantages (évidents. ..) d'un espace sans contraintes.

Au nom de la prétendue puissance économique conditionnée par une taille minimale, tout est fait pour qu'appartenir à l'Europe soit un processus irréversible : aucun des multiples traités, accords, dispositifs et autres règlements ne prévoit une quelconque sortie de l'Europe ou de l'euro, ou en des termes si chinois et assortie de conditions si complexes que la chose est pratiquement impossible ; le minimal est expansionniste... Même les pays qui, comme la Norvège, ne sont pas dans l'Union européenne mais lui sont liés par des traités auraient les pires difficultés à s'en affranchir. Au nom du bien indiscutable et dogmatique, chaque transfert de souveraineté aux instances européennes est salué comme une victoire du bon sens et une promesse de prospérité matérielle et de progrès moral. On jurerait les armées de Napoléon "libérant" l'Italie ou l'Espagne du joug odieux de la tyrannie à grands coups d'exécutions de masse. On peut aussi songer, plus proche de nous dans le temps, à la construction d'un empire européen destiné à assurer un bonheur sans fin au nom de nécessités vitales.

La difficulté est que les promesses européistes ont révélé leur vanité la prospérité promise n'est pas là puisque qu'une monnaie trop forte a conduit à appauvrir les citoyens de tous les pays, puisque les capitaux sont libres d'aller ailleurs et puisque les membres de l'UE, Irlande et Luxembourg en tête, ont complaisamment organisé l'évasion fiscale des grandes entreprises ; l'emploi promis n'est pas là puisque les politiques agricoles ont encouragé la concentration du secteur primaire, pendant que la mondialisation détruisaient hier les emplois secondaires et aujourd'hui le secteur tertiaire ; il est à peine besoin de parler de sécurité. La série des avantages européens est impossible à prouver - et les contraintes se sont multipliées, rendant caduque la seconde série d'arguments, désormais métamorphosée en un "Autrement ce serait pire" d'autant plus fervent qu'il est indémontrable.

Voici donc l'Union européenne réduite à une seule incantation : il est interdit de vouloir autre chose. Admirable et court trajet des promesses à la menace. L'UE a bâti - avec la complicité permanente des parlements nationaux - une muraille législative impressionnante et sans cesse augmentée pour empêcher toute émancipation et ne prend désormais plus la peine de dissimuler son impérialisme. Elle refuse à chaque nation de décider ce que serait son bien (renoncer à une monnaie qui ruine, fermer ses frontières, soutenir son industrie) mais en plus n'apporte aucune aide pour résoudre les difficultés : conquérant cohérent, l'UE considère que les problèmes ne sont que le fait des conquis puisqu'ils n'expriment qu'une difficulté locale.

Dans ce cadre, il est hors de question que la construction européenne soit freinée par les habitants : si des années 70 aux années 90 la construction avançait comme un processus inéluctable (et mobilisant de moins en moins les foules), hormis les cas anglais et danois, les référendums du XXIe siècle (France en 2005, Irlande en 2005 et 2008, Ecosse en 2014, Grèce en 2015), divers dans leurs buts, sont tous traités de la même façon : ils contredisent dans l'esprit la construction et n'ont donc pas à être respectés. Ces consultations doivent être dénoncées, sur un mode catastrophiste (ruine et famine étant censées s'abattre sur les partisans de la moindre Europe) et leurs résultats doivent être contournés : l'Irlande devra revoter en 2008, Sarkozy piétinera en 2008 la volonté des Français exprimées en 2005, et la Grèce se voit écrasée - les parlements nationaux étant sommés d'approuver la mesure.

L'Union européenne est à elle-même sa propre justification, la marche vers le fédéralisme se passera de l'assentiment des populations. Certains n'ont-ils pas salué l'instauration du Mécanisme européen de stabilité (MES, né avec la crise grecque, en 2010) comme étant l'embryon d'un budget européen - échappant bien sûr aux validations nationales ? L'UE se révèle donc comme une impasse démocratique... ou comme un projet politique conscient qui veut échapper à l'adhésion populaire et n'entend tirer sa légitimité que de lui-même. La voie est de plus en plus étroite et le commandement toujours plus impérieux : quelle sera la prochaine mutation impérialiste des autorités européennes ? Et ce qui reste de nation saura-t-il y résister ? L'épisode grec aura eu le mérite de dissiper les derniers doutes quant à la nature du pouvoir européen. Il reste à (res)susciter "les alternatives impossibles ».

Hubert Champrun monde&vie  3 septembre 2015 

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