À l'approche du cinquième centenaire de l'assassinat d'Henri IV, le 10 mai 1610, rééditions et nouveautés vont abonder en librairie. Toutes tendent à comprendre un paradoxe : comment le roi le plus populaire de l'histoire de France a-t-il pu être victime d'un "tyrannicide" ?
La monumentale biographie que Jean-Pierre Babelon consacra au Béarnais en 1982 reparaît avec un appareil critique remis à jour tant est considérable la somme des études inspirées par l'homme et le règne. Elle n'a rien perdu de son importance ni de son intérêt. Une question la domine : eu égard à l'art de la communication du roi et de son entourage, l'image transmise à la postérité, et tellement familière, est-elle un reflet exact de la réalité, ou une savante fabrication destinée à influencer l'opinion, d'abord en sa faveur, puis dans le bien de la dynastie qu'il a fondée ? Le premier propos de Babelon est donc de faire le tri entre mythes et faits avérés, même si, très vite, la sympathie et l'admiration qu'il éprouve envers le Prince ne se cachent plus.
Un prétendu sauvageon
Une certitude s'impose : Jeanne d'Albret a tôt envisagé l'éventualité d'asseoir son fils sur le trône de France et l'image gracieuse de l'héritier de Navarre élevé en liberté parmi les paysans du Sud-Ouest, si elle n'est pas fausse et explique une part du caractère de Henri, ne doit pas occulter une autre facette de son personnage : tant par son père, Antoine de Bourbon, premier prince du sang, que par sa grand-mère maternelle, Marguerite d'Angoulême, soeur de François Ier, le prétendu sauvageon est un authentique Capétien qui sait rappeler combien il cousine de près avec les brillants Valois. Cependant, une partie de l'opinion, protestante, se rassure de savoir l'héritier potentiel étranger aux moeurs, supposées dissolues, de la Cour, et à l'influence de Catherine de Médicis, accusée d'avoir perverti la famille royale. Jeux de miroirs alternés en fonction des besoins du moment, de l'interlocuteur à séduire, des volontés de ses proches tant que Henri ne pourra s'en émanciper, des périls à éviter.
Catholiques et huguenots ont également reproché au Prince ses palinodies religieuses, ses apostasies successives, ses fidélités variables, sans comprendre que le jeune homme, au demeurant profondément croyant, peinait à entrer dans la querelle à laquelle, en son for intérieur, il n'attachait pas une grande importance. En quoi il différait non seulement de sa redoutable mère, mais aussi de ses contemporains des deux bords. Ce que certains ne lui pardonnèrent pas, quoique ce soit son trait de caractère le plus royal, celui, précisément, qui, le hissant au dessus des factions, fit de lui le pacificateur et le réconciliateur magistral que la France, exsangue, attendait. Ce refus d'encourager les haines civiles, de trancher, de donner tort ou raison aux uns plutôt qu'aux autres ne pouvait qu'engendrer des rancoeurs plus ou moins ouvertes. Celles qui, année après année, armèrent le bras de plusieurs régicides manqués, avant de mettre un couteau dans la main de Ravaillac.
Babelon ne laisse de côté aucun aspect de la personnalité royale ; surtout, il la resitue dans un contexte, un univers, dont Henri IV fut le produit, avant de s'en libérer, puis de le modeler à son image. Admirablement documenté, bien écrit, enthousiaste, son livre constitue une référence, agréable à lire de surcroît.
Mauvais calcul amoureux
Pourtant, à compter du printemps 1609, l'image du roi tend à se fissurer. La faute à la énième foucade d'un homme qui, jamais, ne sut réfréner ses instincts amoureux, au risque de ruiner ses meilleurs efforts politiques. À cinquante-sept ans, âge avancé pour l'époque, Henri s'éprend de Charlotte de Montmorency, tendron de quatorze ans. Les convenances exigeant, pour avoir Charlotte, de la marier d'abord, le roi rompt les fiançailles de la jeune fille avec son ami Bassompierre, qu'il ne veut pas cocufier, et lui fait épouser son neveu Condé ; homosexuel notoire, celui-ci ne sera pas un rival.
Mauvais calcul... Condé, s'il n'est pas porté sur les femmes, ne veut pas jouer les maris complaisants. Il enlève son épouse et fuit avec elle à Bruxelles, chez l'archiduc Albert, frère de l'empereur d'Autriche, et l'archiduchesse Claire-Eugénie, fille du roi d'Espagne. Autrement dit, chez l'ennemi. Le vaudeville tourne à l'incident diplomatique. Pour récupérer Charlotte, sous prétexte d'intervenir dans la succession de Clèves, disputée entre principicules catholiques et protestants, Henri IV est prêt à envahir les Pays-Bas espagnols et à déclencher une guerre mal engagée. Folie mise en branle si un dément venu d'Angoulême n'avait, la veille du départ pour la frontière, frappé rue de La Ferronnerie...
Tout a-t-il été dit sur les circonstance du crime ? Jean-Christian Petitfils, auteur de biographies bourboniennes qui, de Louis XIII à Louis XVI en passant par le Régent, font autorité, ne le pense pas. Selon lui, la solution à une énigme qui fit couler tant d'encre dormait dans les archives, si évidente que des générations de chercheurs, obnubilés par des pistes plus excitantes, sont passées sans les voir.
Les mystères d'un crime
L'Assassinat d'Henri IV, mystères d'un crime, commence par un rappel haletant des faits, cerne Ravaillac, psychopathe en proie à des pulsions meurtrières obsédantes qui, plusieurs fois, est venu à Paris dans l'intention de tuer le roi. Il est difficile d'empêcher ces tueurs-là de passer à l'acte. Henri IV, qui a échappé à maints attentats, le sait, et s'en remet à la Providence. Mais la Providence va lui manquer... Alors que les signes prémonitoires inexplicables s'accumulent, le Roi court au devant de sa destinée, comme emporté par la fatalité.
Mais tous ces signes sont-ils inexplicables ? Qui, depuis des mois, fait courir des prophéties alarmistes sur la mort du Béarnais ? Comment se fait-il qu'à l'étranger, le crime ait été annoncé une semaine avant d'être commis ? Pourquoi Ravaillac, halluciné nourri de discours incendiaires mais absolument ignorant du fonctionnement de l'État, a-t-il attendu le sacre de la reine, qui assurait la régence, donc la continuité des institutions, pour frapper, alors qu'il n'avait plus les moyens de rester à Paris ? Peut-on supposer que, menacé de mourir sans absolution, ce dévot ait menti et couvert ceux qui l'avaient poussé à l'acte ? Qui étaient les personnages avec lesquels des témoins le virent ? Et les cavaliers qui, le crime commis, tentèrent de le tuer ?
Tyrannicide
Petitfils reprend les faits, dissèque, éclaire, réexamine les pistes : complicité de Marie de Médicis, vengeance de l'ancienne favorite, Henriette d'Entragues, et de son amant Épernon, services secrets espagnols. Prouve qu'aucune ne tient la route. Les indices, en revanche, pointent dans une même direction et désignent un coupable que tous couvrirent, afin d'éviter les retombées catastrophiques d'une accusation portée contre lui. Hypothèse étayée, convaincante, qui donne sans doute le fin mot de l'énigme. Ravaillac se plaignit qu'on l'avait persuadé que son geste serait bien reçu, quand il suscita indignation et fureur. C'est qu'Henri IV n'entrait pas, selon l'opinion, dans la catégorie des tyrans contre lesquels la vengeance publique peut sévir. Ravaillac s'inscrivit dans un courant typique de l'époque, induit par les haines religieuses. Monique Cottret publie une intéressante étude, Tuer le Tyran ? Le tyrannicide dans l'Europe moderne, qui définit, avec une maestria époustouflante et une érudition jamais prise en défaut, les enjeux d'un débat sorti de la théorie pour gagner la rue, et inciter aux passages à l'acte.
Les réticences de l'Église
Au vrai, ce n'est pas saint Thomas d'Aquin, souvent cité mais mal compris, qui justifie le crime politique, l'Église restant plus que réticente. Mieux vaut chercher du côté des penseurs protestants, prêts à tout pour détrôner Marie Tudor ou Marie Stuart, coupables d'être des femmes, tare rédhibitoire qui s'effacera curieusement quand Elizabeth règnera sur l'Angleterre, mais surtout d'être fidèles à Rome. Les Espagnols, et la papauté, riposteront sur le même ton. Guillaume d'Orange, stathouder de Hollande, sera, en 1583, avant Henri III et Henri IV, la plus emblématique victime de cette frénésie, Philippe II ne se cachant pas d'avoir encouragé le geste. Cependant, les souverains régnants ne tarderont pas à comprendre le danger de ce jeu, et l'élasticité de la notion de tyran. Dès lors, la personne du roi deviendra, un temps, intouchable, les rancunes se focalisant sur des seconds rôles, commodes boucs émissaires. À moins que le "peuple" lui-même s'arroge le droit de condamner et de tuer : Charles Ier et Louis XVI en seront victimes, parce que la notion de tyran se sera confondue avec celle de roi...
À ces crimes réels correspondent, dans l'imaginaire collectif, les défouloirs que sont théâtre, littérature, peinture. Monique Cottret explique la place tenue pendant deux siècles dans les arts par les figures emblématiques de Judith et de Brutus. Quand le trouble Lorenzaccio leur succédera sur la scène, le monde aura changé et l'idée même de tyrannicide perdu son sens.
Anne Bernet L’ACTION FRANÇAISE 2000 du 15 octobre au 4 novembre 2009
* Jean-Pierre Babelon : Henri IV ; Fayard, 1 105 p., 34 s.
* Jean-Christian Petitfils : L'Assassinat d'Henri IV ; Perrin, 330 p., 20,90 s.
* Monique Cottret : Tuer