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Une revue quelque peu limitée par Georges FELTIN-TRACOL

Le politiste Gaël Brustier a-t-il raison de définir le large mouvement de protestation contre le « mariage pour tous » comme la manifestation d’un « Mai 68 conservateur » (Éditions du Cerf, 2014) ? Quand on en observe attentivement les différentes composantes, on ne peut qu’être frappé par sa grande hétérogénéité. Si le groupe appelé Sens commun se fourvoie maintenant chez Les Républicains (l’ex-UMP) et que La Manif pour Tous se contente des seuls sujets sociétaux, d’où ce silence éloquent sur le travail dominical bientôt obligatoire et l’invasion migratoire en cours, Le Printemps français, longtemps en pointe contre le pouvoir en place, s’est volatilisé. Quant aux Veilleurs qui exprimaient leur désapprobation par l’immobilité et la déclamation face aux « forces du désordre » des passages entiers extraits des œuvres de Péguy et de Bernanos, ils ne soutiennent plus le siège devant quelques ministères. Ils misent dorénavant sur un périodique qui se veut d’écologie intégrale : la revue Limite.

Lancée suite à la parution de l’essai de Gaultier Bès, Nos limites, puis de l’encyclique pontificale du « pape » conciliaire Bergoglio, Laudato Si’, cette nouvelle revue conteste l’ensemble des structures libérales-libertaires et progressistes. Issue de la rencontre entre la génération des Veilleurs et celle, plus ancienne, qui anima dans les années 1990 la revue souverainiste – royaliste Immédiatement, Limite se positionne sur le créneau chrétien bioconservateur. Par ce titre significatif, la rédaction juge que « notre écologie ne peut qu’être intégrale : indissolublement sociale et environnementale, éthique et politique » contre les ravages de la société technicienne (selon l’expression d’une de leurs références, le penseur protestant Jacques Ellul). Ainsi souhaite-t-elle concilier une « certaine décroissance matérielle » et « un renouveau spirituel radical ».Limite se veut par ailleurs non libérale. Non libérale et pas anti-libérale parce que certains de ses rédacteurs comme Eugènie Bastié publient de temps en temps dans Le Figaro où sévit le dénommé Ivan Rioufol qui se félicitait, le 26 avril 2013, que « les jeunes Européens se disent fidèles […] à la famille, au couple, à la propriété, mais ils soutiennent aussi l’initiative privée, le libre marché, la globalisation. Conservateurs et libéraux, ils sont une aubaine pour la France ». Bigre ! 

Une revue ambiguë 

Lecture achevée, un réel sentiment d’ambiguïté perdure. Outre les habituelles tentatives de disculper le christianisme et par-delà lui, le monothéisme, de ses lourdes responsabilités dans la crise écologique, un vrai flou politique persiste du fait de l’absence de maturité du bioconservatisme chrétien. Sur le site de la revue, revuelimite.fr, Falk Van Gaver met en ligne un vibrant « Redécouvrons la théologie de la libération » ! Attendons-nous qu’un article avance que le Che Guevara était un authentique éco-guerrier…

Qualifié de « Michéa britannique », Phillip Blond se proclame « Red Tory » (conservateur rouge) qui « exclut à la fois le monopole du marché et celui de l’État ». Il conseilla David Cameron en 2010, celui-là même qui a fait adopter le mariage gay, réduit les aides fiscales aux familles nombreuses et restreint tous les jours un peu plus les libertés publiques sous couvert de lutter contre les islamistes. L’intéressant entretien avec cet héritier du distributionnisme de G.K. Chesterton et Hilaire Belloc s’inscrit dans la veine de deux autres contributions qui saluent la Commune de Paris de 1871 et en appelle à un christianisme social plus offensif. Limite aura-t-elle cependant l’audace de redécouvrir et d’actualiser les travaux des non-conformistes des années 1930, à part les figures obligées du « personnalisme gascon », Jacques Ellul et Bernard Charbonneau ? Il faut le souhaiter si la rédaction se donne l’ambition d’occuper et de tenir la ligne de crête des idées. 

Bien plus grave constitue « Regards sur la condition des migrants », un article de Pierre Jova. La duplicité du bioconservatisme chrétien y est manifeste en suggérant une « tierce voie » à la fois hostile aux sans-frontiéristes et aux « idolâtres […] de la “ remigration ” ». Cette « tierce voie » impliquerait l’évangélisation des envahisseurs ! Une scandaleuse prise de position guère surprenante. Dans Marianne (du 23 au 29 octobre 2015), Jean-Claude Jaillette trace le portrait de Marion Maréchal – Le Pen qui correspond assez bien à ce bioconservatisme en formation. L’article cite un certain Benoît Sévilla, responsable des Veilleurs à Versailles : « Une nouvelle ligne de fracture apparaît. Ultra-conservateurs sur les questions de société et d’accord avec le FN, nous sommes en désaccord avec eux sur la question des migrants. » Que les Veilleursde la préfecture des Yvelines offrent donc leur loft à leurs chers clandestins ! Seraient-ils donc des No Border en puissance, croyants en plus ? 

Un accueil criminel 

Une fois encore, un mauvais esprit versaillais sur l’Hexagone. L’Église et le christianisme contemporain des années 2010 démontrent leur nocivité en prônant « la charité inconditionnelle envers les migrants ». Pierre Jova affirme tranquillement que « pour annoncer le Christ aux migrants, il faut être au clair avec notre propre identité. Une identité vivante, et non figée, tenue pour acquise. L’Europe est chrétienne parce qu’elle fut forgée par des gens qui croyaient en Dieu, et non dans les “ valeurs ” chrétiennes ». Pas exempt de contradictions, Pierre Jova propose le co-développement. Se détournerait-il de l’après-développement prescrit en son temps par l’économiste François Partant ? Avec « La décroissance rend-elle obsolète le clivage gauche – droite ? », mis en ligne le 16 septembre 2015, Kévin Victoire considère que seule « la revue Limite constitue un exemple (le seul ?) de tentative de dépassement des vieux clivages. Ici, pas de paganisme, ni d’ethno-différentialisme ». À tort, mais cohérent de la part de militants chrétiens qui œuvrent à la décadence européenne. 

Le « Grand Remplacement » en cours est de nature démographique et ethnique. Il ne fait que se superposer à un autre Grand Remplacement, beaucoup plus ancien, réalisé il y a environ 2000 ans : lespiricide chrétien à l’encontre des paganismes euro-boréens dont la vision du monde était profondémentécologique et qui posait des distinctions entre leurs membres et leurs éventuels hôtes (hostis). La revueLimite n’a pas encore atteint ce limes fondamental. Dommage pour elle !

Georges Feltin-Tracol 

• Limite. Revue d’écologie intégrale, n° 1, septembre 2015, « Décroissez et multipliez-vous ! », 96 p., 12 €.

http://www.europemaxima.com/

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