L’européanité est attestée par l’histoire et le caractère transnational des grands faits de culture. Au-delà d’un art rupestre spécifique à toute l’Europe voici déjà 30.000 ans, au-delà des pierres levées et des grands poèmes fondateurs, ceux des Hellènes, des Germains ou des Celtes, il n’y a pas une seule grande création collective qui, ayant été vécue par l’un des peuples de l’ancien espace carolingien, n’a pas été vécue également par tous les autres. Tout grand mouvement né dans un pays d’Europe a trouvé aussitôt son équivalent chez les peuples frères et nulle part ailleurs. (…)
Comme tous les peuples unis par une même culture, les Européens sont les dépositaires d’une très ancienne tradition, mais ils ne le savent pas. La perception leur en a toujours été refusée. En dehors des poèmes homériques, ils n’ont pas d’écriture sainte, bien que la matière en soit offerte par leurs légendes, leur littérature épique et la philosophie antique. (…)
Tout grand peuple a une histoire sacrée qui révèle ses valeurs propres, celles qui donnent un sens à la vie de chacun des siens. Mais la longue histoire des Européens ne leur a jamais été contée. Elle n’a jamais été montrée ni perçue pour ce qu’elle est, un flux continu, comme si un même être, porteur des mêmes significations, avait traversé le temps (…).
L’Europe n’est pas née des traités de la fin du XXe siècle. Elle est issue de peuples frères qui, entre la Baltique et l’Egée, sur quelques milliers d’année, donnèrent naissance à une communauté de culture sans égal. L’Europe peut donc se définir comme une tradition très ancienne, tirant sa richesse et son unicité de ses peuples constitutifs et de leur héritage spirituel. (…)
[On doit constater] la vigoureuse unité de culture des Européens de l’âge du bronze, de la Baltique à l’Egée, de la Cornouaille à la Volga, voici quatre ou cinq mille ans. [Il s’agit de] l’une de nos civilisations premières, [avec] ses dieux solaires, ses déesses-mères, ses héros invaincus, ses légers chars de guerre, les trésors somptueux de ses palais, ses longues barques audacieuses. (…) Découvertes sous un tumulus du Danemark ou dans une tombe de Mycènes, les épées semblaient toutes sortir d’un même moule, affichant l’unité esthétique d’un même monde.
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Les peuples de l’ancienne Europe étaient réfractaires à l’écriture, bien que celle-ci leur fut connue, comme en témoignent les signes logographiques de la préhistoire, ancêtres sans doute de l’écriture runique. Plusieurs siècles après Homère, en Gaule et dans les îles Britanniques, les druides refusaient encore de transcrire par écrit leur enseignement qui, de ce fait, est perdu. Les Grecs avaient, eux aussi, privilégié l’oralité et divinisé la Mémoire. (…) Jusqu’à Homère, la mémoire avait été mythique et nullement historique. Les Grecs avaient donc perdu le souvenir de leurs origines et de leur histoire ancienne, celle qui avait précédé l’arrivée de leurs ancêtres sur les rives de l’Egée. Ils en avaient cependant conservé le souvenir mythique, celui d’une origine septentrionale associée à la légende des Hyperboréens.
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Pourquoi appelle-t-on « indo-européenne », et pas simplement « européenne », la famille des langues parlées aujourd’hui presque partout en Europe ? Tout simplement parce que cette famille de langues s’étendait jadis de la Cornouaille au Penjab, sur d’immenses distances correspondant à l’aire d’expansion des différents locuteurs. (…) Le fait indo-européen est d’abord d’ordre linguistique (…)
Chez tous les peuples indo-européens, que l’on devrait plutôt appeler « boréens », la société aristocratique élargie, celle des hommes libres, à la fois guerriers et propriétaires du sol, anticipe sur ce que sera la cité grecque à partir du VIe siècle avant notre ère. On en voit l’expression dans l’assemblée des guerriers de l’Iliade, très semblable au Thing germanique et scandinave décrit par Snorri Sturluson. Les Celtes participent du même ordre politique, dont témoignera plus tard la Table Ronde. En revanche, nulle part dans le monde européen on ne verra des roi-prêtres à la tête de castes sacerdotales de type babylonien ou égyptien. A l’époque médiévale et classique les monarchies et les noblesses européennes continueront de résister aux prétentions théocratiques du Saint-Siège, tout en maintenant l’équilibre entre les trois ordres.
(…) Depuis la « révolution » du carbone 14, on a fortement reculé dans le temps, au-delà du Ve millénaire, l’époque du dernier habitat commun des Indo-Européens. (…) A une époque très ancienne, remontant vraisemblablement à plus de 10.000 ans, quelque part dans le vaste espace entre Rhin et Volga, au sein d’une population spécifique et nécessairement homogène, s’est cristallisée la langue que les linguistes appellent pré-indo-européenne (…) l’analyse linguistique permet de penser qu’une première dispersion s’est produite vers le Ve millénaire, par la migration de peuples indo-européens vers le sud-est, l’Asie Mineure et au-delà. (…) La plupart de ces peuples pensaient que leur berceau primordial se trouvait dans un « nord » mythique et imprécis. L’Inde védique, l’Iran ancien, la Grèce, le monde celtique et germanique ont conservé le souvenir légendaire d’un habitat nordique désigné comme les « Iles au nord du monde », le « Pays des dieux » ou le « pays des Hyperboréens ». (…)
On ne saura jamais avec certitude où, quand et comment s’est produite l’ethnogenèse des Indo-Européens, que l’on devrait plutôt appeler Boréens afin d’éviter une confusion entre la langue et l’ethnie dont elle est bien entendu l’une des manifestations essentielles. Une langue voyage avec ses locuteurs, elle peut conquérir aussi des populations sans rapport précis avec le peuple originel … C’est pourquoi la distinction entre langues indo-européennes et peuples boréens paraît souhaitable.
Dès la préhistoire ou la très haute Antiquité, les Boréens, porteurs initiaux des langues indo-européennes, se sont imposés sur de nouveaux territoires à des populations qui n’avaient pas exactement la même origine, ne sacrifiaient pas aux mêmes dieux ni n’avaient la même vision du monde. Les mythes grecs, latins, celtes et germaniques des guerres de fondation rappellent les conquêtes anciennes de nouveaux territoires, mais aussi, comme le pense Jean Haudry, la projection mythique d’une préoccupation de concorde civile.
Le souvenir des guerres de fondation se décrypte dans la légende historisée de Rome et l’enlèvement des Sabines. Elle s’exprime aussi dans l’Edda scandinave qui décrit deux races divines (…) Le même schéma peut se lire dans la théogonie grecque. (…) Voilà ce qui est en gestation dès le IIIe millénaire, époque du bronze européen, beaucoup mieux connue que les précédentes en raison d’une grande richesse archéologique et des réminiscences conservées par les poèmes homériques. Partout en Europe, de la Baltique à l’Egée, de l’Atlantique à la Caspienne, on voit s’affirmer la nouvelle religion solaire et de nouvelles valeurs, l’héroïsme tragique devant le Destin, la souffrance et la mort, l’individualité et la verticalité du héros opposées à l’horizontalité indistincte de la multitude. La vaillance, vertu masculine essentielle, est récompensée par l’éternisation des meilleurs, très présente dans l’Edda, et la féminité est reconnue, respectée et admirée. Simultanément, on voit s’établir des royautés féodales reposant sur des aristocraties guerrières et terriennes. C’est alors que se façonne la physionomie spirituelle qui restera celle de l’Europe.
Dominique Venner
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« Notre monde [européen] ne sera pas sauvé par des savants aveugles
ou des érudits blasés. Il sera sauvé par des poètes et des combattants,
par ceux qui auront forgé ‘l’épée magique’ dont parlait Ernst Jünger,
l’épée spirituelle qui fait pâlir les monstres et les tyrans. »
- Dominique Venner
notes
Ce texte est extrait du livre de Dominique Venner, Histoire et tradition des Européens, éditions du Rocher 2002. Le titre de cette sélection est éditorial.
Le nom de « Boréens » (ou de « race boréenne ») semble avoir été utilisé pour la première fois par l’ésotériste Fabre d’Olivet, dans son Histoire philosophique du genre humain, publiée en 1822.
Pour la question de l’identité et de l’autodénomination des Européens, voir aussi l’article « Les Aryens et le nationalisme racial » sur le site library.flawlesslogic.com
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Dominique Venner était directeur de la Nouvelle Revue d’Histoire. (http://www.n-r-h.net/)
Il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont les principaux sont :
- Baltikum, le combat des Corps-francs (Robert Laffont, 1974). (refondu et réédité sous le titre : Histoire d’un fascisme allemand, Pygmalion, 1996)
- Le blanc soleil des vaincus (La Table Ronde, 1975). (refondu et réédité sous le titre de Gettysburg, éditions du Rocher, 1995)
- Histoire de l’Armée rouge (Plon, 1981, Grand Prix de l’Académie Française)
- Le cœur rebelle (Les Belles Lettres, 1994)
- Histoire critique de la résistance (Pygmalion, 1995)
- Les Blancs et les Rouges, histoire de la guerre civile russe (Pygmalion, 1998)
- Histoire de la collaboration (Pygmalion, 2000)
- Histoire du terrorisme (Pygmalion, 2002)
- De Gaulle, la grandeur et le néant (Rocher, 2004)