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Pierre Sidos : Entretien accordé à la Revue Charles

Publication rectifiée de l’entretien que Pierre Sidos a accordé à la Revue Charles, N°5, paru en printemps 2013.

Comment en êtes-vous venu à l’engage­ment politique ?

Le décès de mon frère aîné Jean a été un déclen­cheur. Quand il meurt le 16 juin 1940 en combat­tant les Allemands dans des conditions héroïques, le maire de La Rochelle, Léonce Vieljeux est venu dans notre maison familiale pour annoncer à ma mère la nouvelle. J’avais 13 ans et j’étais parvenu à me faufiler pour assister à la discussion. Le maire avait ajouté cette réflexion : « L’ouvrier allemand a gagné la guerre », sous-entendu : l’ouvrier français l’a perdue. C’est ce qui m’a donné envie de m’en­gager à mon tour. Je me rappelle que ma mère s’est évanouie. Personnellement, j’ai tout de suite compris que je ne reverrais plus mon frère. Je n’ai pas pleuré car à l’époque, il y avait une telle fami­liarité avec la mort qu’il y avait une part de fierté de savoir qu’il avait pu donner sa vie pour la France.

Que représentait votre frère Jean pour vous ?

Nous étions six enfants, cinq garçons et une fille. Mais dans cette fratrie, j’avais une sympathie toute particulière pour lui. C’était le plus sérieux, le plus discipliné (dit-il avec les larmes aux yeux). Lorsque nous étions enfants, nous nous amusions à reconstituer la marche sur Rome dans l’escalier de la maison familiale, c’était déjà très fascisant. Même si mon frère Jean est mort en combattant les Allemands, il partageait une ligne très natio­naliste. Quand j’ai eu l’âge nécessaire, j’ai donc eu moi aussi envie de m’engager politiquement. D’agir durant cette période troublée. C’est ce que j’ai fait au sein de la Jeunesse franciste de Marcel Bucard que j’ai rejointe en 1943. Dans ce mouvement qui s’apparentait à du scoutisme politique, j’ai participé à des activités sportives et à quelques congrès.

Quelle était l’ambiance politique au sein de votre famille durant votre jeunesse ?

L’ambiance familiale était très nationaliste et très marquée. Mon père était lié au député de Gironde, Philippe Henriot, qui deviendra par la suite secrétaire d’État de l’Information et de la Propa­gande du gouvernement de Vichy. J’étais également très proche des parents de ma mère, qui habitaient l’île de Ré. Il se trouve que mon grand-père Jean Rocchi, d’origine corse, était bonapartiste. L’un des premiers livres que j’ai lus, c’était chez lui et c’était Le Mémorial de Sainte-Hélène. Il parlait souvent du nationalisme et du Second Empire et, parmi ses amis, il y avait Pierre Taittinger, un député de Charente-Maritime qui a fondé par la suite les Jeu­nesses patriotes, une ligue d’extrême droite fran­çaise importante dans l’entre-deux-guerres.

« MON PÈRE EST TOMBE SOUS DES BALLES FRANÇAISES EN CRIANT « VIVE LA FRANCE ! »

Durant sa jeunesse, on a tendance à se placer dans le sillon politique de ses parents puis lorsque l’on grandit, beaucoup d’enfants finissent par en prendre le contre-pied. N’avez- vous jamais été tenté par une autre direction politique ?

Non ce n’est pas le cas. Au contraire, je considère que j’ai toujours défendu les mêmes idées depuis ma tendre jeunesse. En quatre-vingts ans, je n’ai guère varié. Il faut bien comprendre qu’à l’époque tout le monde était engagé politiquement. L’Europe était frappée par ce que l’on appelait « la croisade des fascismes ». Et pour de jeunes esprits comme le mien, nous nous disions qu’ils gagnaient partout. Que ce soit Mussolini en Éthiopie, Franco en Espagne, Hitler ou bien encore la personnalité de Léon Degrelle. Nous étions fascinés par cette promesse d’un ordre nouveau.

À la Libération, votre père François Sidos est fusillé.

Son arrestation avait été accompagnée de l’em­prisonnement de toute ma famille. Ma mère a été mise dans un camp et moi j’ai été mis dans une prison avec mon frère Jacques et mon père. J’ai partagé ses derniers jours de mai 1945 à janvier 1946. Militaire de carrière, mon père était devenu haut fonctionnaire sous le régime de Vichy. En 1944, il avait été nommé comme l’un des six inspecteurs généraux du maintien de l’ordre auprès de Joseph Darnand, chef de la Milice. Il a été fusillé le 28 mars 1946 dans l’ère improprement nommée « épuration » où s’est accomplie l’élimination physique d’un grand nombre de fidèles du maréchal Pétain par leurs adversaires politiques. Il était âgé de 56 ans et il était père de six enfants. Il est tombé sous des balles françaises en criant « Vive la France ! ». J’ai l’impression qu’il ne réalisait pas qu’il allait mourir.

Il me disait : « J’étais haut-fonctionnaire, je m’expli­querai devant le tribunal, je n’ai rien à me repro­cher ». Il n’a pas compris que c’était une période révolutionnaire et que dans ce genre de période, vous ne vous expliquez pas devant les tribunaux. Nous étions à trois dans une geôle, il faisait très froid, nous étions sous-alimentés. Ma famille entière a été jugée. J’ai été condamné à cinq ans au Struthof et mon frère Jacques, qui avait également appartenu au Parti franciste, à dix ans de prison. Je n’ai pas compris la raison pour laquelle j’avais hérité d’une peine inférieure à la sienne, c’était la loterie de l’époque. Après le verdict du tribunal, mon père est resté seul. Nous avons appris via une coupure de presse qu’il allait être fusillé. Comme dans la chanson « Le Temps des cerises », j’ai envie de dire que c’est « de ce temps-là, que je garde au cœur une plaie ouverte ». Dans une lettre qu’il nous a adressée avant de mourir, mon père nous exhorte à « réparer l’injustice » dont il a été victime.

Quels souvenirs gardez-vous de cette période d’emprisonnement au Struthof ?

J’avais 17 ans et après un court séjour à la prison d’Angoulême, j’ai été transféré au camp de concen­tration du Struthof, en Alsace, seul camp sur le territoire aujourd’hui français. Je n’ai été libéré que trois ans plus tard. Il y avait à l’époque une usine à côté du camp qui était intacte. On pouvait se former au travail du bois. Personnellement, je suivais des cours car il y avait parmi nous des professeurs qui étaient des prisonniers politiques. Il y avait notamment l’ancien recteur de l’Université de Lyon. On avait constitué une bibliothèque et j’en ai profité pour lire énormément de livres. J’ai fait mon université au Struthof en quelque sorte.

C’est à cette époque que vous dessinez cette croix celtique qui deviendra l’emblème de tous les mouvements d’extrême droite français d’après-guerre et de beaucoup de mouvements néofascistes européens par la suite.

Durant la guerre, j’avais observé que la croix celtique avait été utilisée par ce qu’on appelait les Équipes nationales. C’étaient des groupes de jeunes volontaires qui participaient à la protec­tion et au secours des populations victimes de la guerre, notamment des bombardements aériens. Durant mon temps de réclusion, j’avais travaillé à la recherche d’un emblème. J’avais remarqué que la plupart des mouvements nationalistes en France possédaient des emblèmes qui n’étaient pas reproductibles comme l’aigle, la fleur de lys, le sanglier. Il n’y avait pas d’emblèmes simples, or les idées poli­tiques se traduisent souvent par une image. Sur l’un de mes cahiers de notes, j’avais donc dessiné une croix celtique, c’est-à-dire un cercle entourant une croix. Elle symbolise le soleil en marche et la vie universelle. Je ne pensais pas qu’elle serait utilisée soixante ans plus tard à Moscou ou bien encore aux États-Unis.

À votre libération, vous décidez de lancer Jeune Nation. En 1951, il s’agit de l’un des premiers mouvements d’extrême droite d’après- guerre. Comment est née l’idée ?

Après avoir été libéré en 1949, je me rendais régu­lièrement dans un appartement huppé du Ve arrondissement, rue du Cirque, qui appartenait à Jeanne Pageot, femme d’un riche industriel spécialisé dans le sucre. Tous les samedis, elle tenait un salon qui s’intitulait « Le Souvenir napoléonien ». On y trouvait des bonapartistes et des nationa­listes, jeunes et plus âgés. Jeanne Pageot m’avait encouragé à lancer un mouvement en me disant qu’il fallait « regrouper cette jeunesse ». Elle m’avait proposé de me prêter son salon et elle m’avait éga­lement dit : « Si vous faites une plaquette pour lancer votre mouvement, je vous l’imprimerai ». Comme on baignait dans un milieu bonapartisant, on souhai­tait intituler notre mouvement La Jeune Garde. Le problème c’est que c’était le nom d’un chant de la jeunesse communiste. Par glissement, on a donc décidé d’appeler notre mouvement La Jeune Nation. L’article a ensuite été supprimé et par utili­sation courante c’est devenu Jeune Nation. Nous souhaitions suivre l’exemple et l’action politique de Napoléon Bonaparte, notamment à l’époque du consulat. Après l’avoir présenté au sein du salon du Souvenir napoléonien, nous avons donc officiellement déclaré sa création à la Préfecture de police de Paris, le 28 mars 1950. Nous avions l’impression que l’empire colonial français était en danger et nous souhaitions le protéger. Nous étions organisés comme une phalange prête à prendre le pouvoir le moment venu.

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