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« La question religieuse au XXIe siècle / Géopolitique et crise de la postmodernité » Par Georges Corm

Quest.relig._.jpgLa question religieuse au XXIe siècle se pose à juste titre tant les événements récents sur la scène politique internationale sont marqués par la résurgence de l'islam et l'agressivité de mouvements s'en réclamant dans de nombreuses parties du Proche-Orient et de l'Afrique. L'islam s'affirme également avec fermeté dans des régions du monde où il était jusque-là inexistant. L'irruption de cette religion dans la vie politique et sociale des Etats européens et plus particulièrement en France remet à l'ordre du jour la place des religions dans nos sociétés modernes.
De ce fait, l'ouvrage de Georges Corm, économiste, historien, consultant auprès de divers organismes internationaux mais aussi professeur d'université, suscite d'emblée l'intérêt. Hélas, non seulement l'approche de Georges Corm n'est pas à la hauteur du sujet et ne répond à aucune des questions fondamentales qui se posent aujourd'hui dans ce domaine mais glisse de façon pernicieuse vers le procès à charge de l'Occident déjà si souvent instruit par les tenants de la repentance.
De nombreux faits historiques sont abordés par l'auteur mais l'analyse qu'il en fait manque de pertinence et ceux-ci mériteraient un développement plus poussé qui aurait apporté à l'ouvrage tout son intérêt. Son carcan idéologique l'empêche d'apprécier à leur juste mesure des faits qui sont à l'origine des changements majeurs qu'il ne parvient pas à appréhender.
En effet, partant du constat d'un « retournement des valeurs » d'un monde sans dieu vers un « retour » du religieux, Georges Corm estime que « l'idée religieuse semble vouloir tout envelopper ». Pour lui ce « retournement » se produit dès la fin des années 1970 où, pour l'Occident, « un mouvement fort se manifeste aux Etats-Unis, sous l'impulsion du président Jimmy Carter, pour célébrer officiellement la mémoire de la “destruction des juifs d'Europe” par le nazisme ». Le besoin de commémoration conduit au retour aux « racines, à l'identité première, en bref, à la matrice religieuse ». L'auteur aurait dû développer ce point de vue qui mérite discussion et devrait comprendre que ne se trouve pas là uniquement la « matrice religieuse » mais une approche plus complexe de la tradition et de la mémoire, notamment en Europe.
Très justement, cependant, dans son analyse du monothéisme il note que le « mécanisme intégrateur que l'Empire romain sut utiliser à la perfection se heurta à l'intransigeance du monothéisme juif d'abord, puis au refus chrétien de prêter serment à l'empereur ; il a disparu lorsque le christianisme devint religion officielle de l'Empire ». Ainsi, les religions révélées portent en elles l'intolérance. Ces religions sont totalitaires. Cette approche aurait mérité d'être approfondie mais, là encore, l'auteur reste superficiel. Plutôt que de développer ces différents thèmes Georges Corm axe son approche sur une prétendue analyse de la religion et de la violence en Occident.
Les changements survenus durant les trente dernières années ont généré un malaise identitaire qui implique, selon lui, un retour du religieux. Ce retour au religieux serait facilité par la remise en cause du patrimoine révolutionnaire français : « C'est bien le sens du travail sur la Révolution française de François Furet et de ses disciples, qui s'efforcent de “déconstruire” les grandes mythologies républicaines à couleur jacobine dont sont issues les idéologies de la gauche française de la fin du XIXe siècle à la fin du XXe siècle » qui ouvre la voie au retour du religieux. Plus loin (p. 33), Georges Corm va plus loin et parle de « révision de l'histoire » de la part de F. Furet. Il réitère ces propos (p. 128) en évoquant « le “révisionnisme” sur les apports de la Révolution française ». Le choix de ces termes est sans équivoque. Nous savons très bien quels sont la connotation et le poids de ces termes : par là, Georges Corm cherche délibérément à discréditer toute analyse critique de la Révolution française et donc à défendre des dogmes comme l'ont fait les moines ignorants thuriféraires de l'Inquisition qu'il compte dénoncer quelques pages plus loin. Il est clair que l'auteur n'entend pas mener une analyse sur la situation actuelle et la résurgence des religions mais qu'il veut défendre un point de vue idéologique et combattre, souvent de façon maladroite, la remise en cause de ces dogmes. Si la Révolution française n'a pas le monopole de la violence et si d'autres systèmes « totalitaires » l'ont précédée (Inquisition, Guerres de religions), il n'en demeure pas moins que son système était totalitaire, sans échappatoire, que l'on était suspect en raison de ses origines (noblesse), quel que soit l'âge (des fillettes de treize ans ont été décapitées) et qu'est apparu un embryon de système concentrationnaire – parcage des suspects avant exécution.
L'acharnement de Georges Corm à l'encontre des historiens analysant la Révolution française de façon critique, notamment contre François Furet, tourne à l'obsession. Le procès en sorcellerie n'est pas loin.
Manifestement, le changement des mentalités et la remise en cause des idéologies de gauche dominantes révoltent l'auteur. C'est de façon pathétique et partisane qu'il tente de s'opposer à l'effondrement du monde qu'il a connu et auquel il a adhéré. Il ne parvient pas à comprendre l'évolution actuelle et à adapter son analyse. Ainsi, son raisonnement est faussé par le manque d'analyse sur des points essentiels comme « la recherche des racines », l'identité et le lien avec les ancêtres (p. 43). Il accorde une place trop importante au phénomène religieux en ce début du XXIe siècle sans pour autant mener une analyse globale approfondie. Cette recherche des racines va au-delà et reste marquée par la conception laïque du XXe siècle. De même, ne pas faire de distinction nette entre les Etats-Unis et l'Europe dans ce domaine particulier c'est manquer singulièrement de pertinence.
La raison en est simple : l'auteur, malgré et sous le prétexte d'analyse historique, ne cherche pas à comprendre les raisons des changements mais à faire le procès de l'Occident. Sa présentation tourne au règlement de compte avec celui-ci et finit par discréditer son travail. Son parti pris antioccidental est manifeste. Là encore, le colonialisme européen est condamné sans appel, évoquer son aspect positif relevant de la provocation (aucune mention des médecins, pères blancs et autres interventions qui ont permis de sauver de très nombreuses vies parmi les populations colonisées) alors que la vision de la colonisation islamique est irénique. Il nous fait encore le coup de l'Andalousie. A se demander pourquoi les Espagnols ont voulu se libérer d'un monde aussi idyllique. De même, les massacres de Chio ne seraient-t-ils qu'une expression artistique ? L'islam serait plus tolérant… Bref, l'auteur nous ressert les mêmes poncifs.
Les références historiques sont souvent justes mais leur analyse est toujours orientée. Certains aspects sont minimisés, d'autres exagérés, comme « le rôle de transmetteur et passeur de la culture raffinée et cosmopolite de l'Orient médiéval à l'Occident » (p. 114). Il faut dire que ce rôle de passeur est grandement exagéré depuis quelques années, et cela à des fins politiques. Il est un des fruits de cet autodénigrement de l'Occident et de survalorisation de l'autre.
Non seulement Georges Corm tente de défendre dans cet ouvrage une vision négative de l'Occident mais il transparaît clairement qu'il s'agit également de relativiser le renouveau islamiste, son obscurantisme et ses violences en comparaison de ce qui s'est passé en Occident. De même lorsque l'auteur compare le terrorisme islamiste (à l'échelle d'une civilisation) et le terrorisme de l'I.R.A., purement national et local, c'est faire un parallèle douteux qui ne peut que générer la confusion.
Ces constats faits, les propositions de l'auteur arrivent bien tardivement et manquent, là encore, de profondeur. Il n'y a d'ailleurs aucune idée nouvelle. Si la séparation du religieux et de l'Etat, de la primauté de la laïcité et de l'Etat républicain sont mis en avant (p. 199), où est la nouveauté ? Que ces principes soient maintenus, certes, mais de quelle façon dans ce monde en mouvement ? L'auteur n'aborde pas la question. Bref, cet ouvrage est un véritable hors-sujet. Nous n'y apprenons rien, l'approche est pauvre, l'analyse orientée. Il se résume à un pamphlet antioccidental sans intérêt. Il véhicule tous les clichés les plus éculés et dénigre les intellectuels qui, eux, apportent de nouvelles analyses : « On n'hésitait pas autrefois à désigner ce courant par la dénomination de “droite”, attachée à l'ordre et à la stabilité à tout prix, refusant de prendre acte que la Terre tourne et que les sociétés changent… » (p. 128). Ces quelques lignes en disent long sur l'auteur, sur son ouverture d'esprit et sa capacité d'analyse objective. Mais ces lignes s'appliquent aussi à son auteur : le monde change et il ne parvient pas à le comprendre et le vit très mal.
« La question religieuse au XXIe siècle » : c'est un sujet qui mérite toujours de faire l'objet d'un ouvrage sérieux.
Bruno Odier, 03/01/08
Georges Corm, « La Question religieuse au XXIe siècle / Géopolitique et crise de la postmodernité », Editions de la Découverte/Poche, 2007, 214 pages.

http://archives.polemia.com/article.php?id=1589

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