Nous sommes en 1971 et Claude Lévi-Strauss donne une conférence pour l'UNESCO sur le thème Race et culture.
Il fait même l'éloge des frontières, voyant en elles une nécessité "pour développer des différences".
« Une culture consiste en une multiplicité de traits dont certains lui sont communs, d’ailleurs à des degrés divers, avec des cultures voisines ou éloignées, tandis que d’autres les en sépare de manière plus ou moins marquée. Ces traits s’équilibrent au sein d’un système qui, dans l’un et l’autre cas, doit être viable, sous peine de se voir progressivement éliminé par d’autres systèmes plus aptes à se propager ou à se reproduire. Pour développer des différences, pour que les seuils permettent de distinguer une culture des voisines deviennent suffisamment tranchés, les conditions sont grosso modo les mêmes que celles qui favorisent la différenciation biologique entre les populations: isolement relatif pendant un temps prolongé, échanges limités, qu’ils soient d’ordre culturels ou génétiques. Au degré près, les barrières culturelles sont de même nature que les barrières biologiques; elles les préfigurent d’une manière d’autant plus véridique que toues les cultures impriment leur marque au corps: par des styles de costume, de coiffure et de parure, par des mutilations corporelles et par des comportements gestuels, elles miment des différences comparables à celles qui peuvent exister entre les races; en préférant certains types physiques à d’autres, elles les stabilisent et, éventuellement, les répandent. »
Appelé à se justifier de ses propos dérangeant, il reste droit dans ses bottes, condamnant même la banalisation des accusations de racisme et de xénophobie.
« Je m’insurge contre l’abus de langage par lequel, de plus en plus, on en vient à confondre le racisme et des attitudes normales, légitimes même, en tout cas inévitables. Le racisme est une doctrine qui prétend voir dans les caractères intellectuels et moraux attribués à un ensemble d’individus l’effet nécessaire d’un commun patrimoine génétique. On ne saurait ranger sous la même rubrique, ou imputer automatiquement au même préjugé l’attitude d’individus ou de groupes que leur fidélité à certaines valeurs rend partiellement ou totalement insensibles à d’autres valeurs. Il n’est nullement coupable de placer une manière de vivre et de la penser au-dessus de toutes les autres et d’éprouver peu d’attirance envers tels ou tels dont le genre de vie, respectable en lui-même, s’éloigne par trop de celui auquel on est traditionnellement attaché. Cette incommunicabilité relative peut même représenter le prix à payer pour que les systèmes de valeurs de chaque famille spirituelle ou de chaque communauté se conservent, et trouvent dans leur propre fonds les ressources nécessaires à leur renouvellement. Si comme je l’ai écrit ailleurs, il existe entre les sociétés humaines un certain optimum de diversité au-delà duquel elles ne sauraient aller, mais en dessous duquel elles ne peuvent non plus descendre sans danger, on doit reconnaître que cette diversité résulte pour une grande part du désir de chaque culture de s’opposer à celles qui l’environnent, de se distinguer d’elles, en un mot d’être soi : elles ne s’ignorent pas, s’empruntent à l’occasion, mais pour ne pas périr, il faut que, sous d’autres rapports persiste entre elles une certaine imperméabilité. »
Pour aller plus loin, cet article très complet du blog "Noix Vomique" - duquel nous nous sommes très largement inspirés - revient en détail sur cette passionnante histoire qui fit couler beaucoup d'encre !
http://www.ventscontraires.fr/2015/12/defendre-son-identite-nest-pas-un-crime.html