Au lendemain de la journée du 23 juin, dominée dans l'Hexagone par une manifestation pour le retrait de la loi travail, on pouvait légitimement se demander ce que la énième pseudo-mobilisation des masses ouvrières annoncée pour le 28 juin cherche encore à démontrer, sinon sur son propre déclin tout au long de ce pluvieux et décevant printemps.
Le dixième défilé avait accepté, symboliquement, de tourner en rond, partant à 14 h 15 de la place de la Bastille, revenant moins d’une heure après à son point de départ.
La veille 22 juin, Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT avait cru pouvoir affirmer : "il va y avoir du monde". Mais, comparé aux 80 000 personnes du 14 juin ou aux chiffres du 26 mai, la police n'estimait plus les effectifs qu'à 20 000, un nombre de piétons encore en recul.
Il apparaît cependant, désormais, que la CGT en appelle discrètement, contre Valls, à François Hollande : "Il faut qu’il prenne les affaires en main", proclame Philippe Martinez. Il est vrai qu'en appeler au roi de la capitulation pourrait bien se révéler un habile calcul.
Il est vrai que jusqu'au dernier moment on a pu imaginer que le gouvernement et son préfet de police maintiendraient, lors de cette folle semaine, l'interdiction de défiler. Et le secrétaire général de FO Jean-Claude Mailly a même pu déclarer que "si Manuel Valls n’avait pas fait ses déclarations intempestives publiques, il n’y aurait pas eu de manifestation aujourd’hui."
La signification pseudo-syndicale de ces manifestations, qui durent depuis trois mois, s'est cependant effacée au fil des semaines. Leur dimension s'affirme en effet exclusivement politique : il s'agit, uniquement désormais, de dissocier la gauche d'inspiration marxiste, celle qui se réclame encore de la lutte des classes, et qui englobe une fraction du parti socialiste, de la gauche dite de gouvernement.
Parmi les sept organisations participant à cette mobilisation certes une partie des adhérents de la CGT, de Force ouvrière, voire certains membres de Solidaires, sont concernés par le projet de loi dont on demande le retrait, mais les quatre autres centrales ou mouvements, la FSU, l'UNEF, la FIDL ou l'Union Nationale des Lycéens ne sauraient se prévaloir de la représentation d'aucun salarié du privé.
Pour assurer qu'il ne se produirait plus, contrairement aux journées précédentes, ni débordement, ni incident, le service d’ordre de la CGT verrouillait scrupuleusement le défilé. Ses militants ont toutefois essuyé leur lot d'insultes – "traîtres", "collabos",réservées jusqu'ici aux (prétendus) "jaunes" de la CFDT.
À Rennes encore cependant, une manifestation sauvage a donné lieu à des incidents, prouvant l'utilité des mesures de précaution.
"Si le gouvernement s’entêtait, on verra cet été, a déclaré Jean-Claude Mailly, mais on verra surtout à la rentrée."
La CGT et FO vont donc changer de terrain et faire davantage pression sur les parlementaires avant le vote en deuxième lecture à l’Assemblée nationale, début juillet. Elles n’attendent plus rien de Manuel Valls, "anxiogène" et "pyromane", selon les mots du dirigeant de FO, encarté au parti socialiste et, en fait, lié au clan Aubry.
Cette mobilisation réitérée contre une loi en cours de débat parlementaire obéit donc bel et bien, pour la CGT, à une préoccupation politique. Elle le confirme en se donnant son dernier rendez-vous le 28 juin, jour du vote au Sénat. FO se joint à elle, à la fois sous l'emprise de son appareil de formation trotskiste-lambertiste, mais aussi en raison d'un aspect technique : implantée dans le secteur public, FO est trop faible dans les entreprises privées pour pouvoir vraiment participer à des négociations se situant au-dessous du niveau des branches, et pour cela l'article 2 de la Loi El Khomri ne peut pas lui convenir dans sa version actuelle.
Cette loi, au bout du compte, n'est cependant plus qu'un prétexte.
L'ont compris à leur manière tous ceux qui ne répondent pas aux appels à la mobilisation générale. Il serait temps que cette écrasante majorité silencieuse s'exprime à son tour.