Il existe un archipel européen composé de neuf îles, situé à cheval entre les plaques eurasienne et nord-américaine dont la population totale est de 250000 habitants. L'île la moins peuplée compte 430 habitants et la plus peuplée 134000. Sa superficie totale est de 2333 km2 ; sa langue, le Portugais. J’arrêterai ici l’énumération de données, le but de cet article n’étant pas d’élaborer une brochure touristique ni un manuel de géographie pour débutants destinés à des randonneurs de Basse Saxe en Birkenstock, mais plutôt de comprendre en quoi cette société s’approche de la définition de « la société parfaite ».
C’est en effet bien une société (du latin societas, socius étant le compagnon, l’associé) : chacun incarne sa fonction dans le corps sociétal, comme un membre d’un corps qui ne fonctionne que parce que chacune de ses parties connaît sa place et sa fonction, et s’associe aux autres afin que tout soit coordonné pour le bien commun. Le taux de chômage y est bien plus bas que sur le continent. Les habitants ne passent pas le commencement de la journée agglutinés contre la sueur et les pores les uns des autres, dans les transports en commun. On travaille là où l’on habite. On ne « perd pas de temps » : on habite la durée Bergsonienne. Le fruit du travail est concret, ses retombées sur le quotidien aussi, on est impliqué et responsabilisé dans ce que l’on fait.
Ici, on connaît ses voisins, leurs noms, leur histoire. On leur parle, on les respecte. On connaît les dates, les tragédies et les anecdotes, tout ce qui fait l’histoire d’une famille. On accorde de la valeur aux pierres et aux fantômes. Les maisons et objets de famille sont gardés et les vieilles photos chéries ; les musées sont vivants, à l’intérieur des maisons. On comprend la valeur de l’héritage et de la transmission. La population est homogène à tous les niveaux. 99% de Portugais, 99% catholiques. Il n’existe pas de conflits liés au « choc de cultures », à l’imposition d’une « façon de vivre », ces questions n’ont pas lieu d’être, puisque tout le monde partage les mêmes codes et les mêmes valeurs.
On ne ferme pas toujours sa porte à clé, on laisse les fenêtres ouvertes. On ne se méfie pas, on est bienveillant et obligeant. Les rares véhicules de police prennent racine devant le commissariat, faute heureuse de besoin de courses poursuites endiablées dans les rues. On se promène à toute heure et en tout endroit sans crainte. Il n’y a ni grande criminalité, ni gangs, ni attentats, ni violences, ni agressions quotidiennes. Les rares problèmes sont dus au trafic de drogue sur les bateaux qui font escale, ou aux émigrants revenus car chassés des Etats-Unis.
On plante ce qui pousse naturellement, sans engrais, sans pesticides ; on mange ce que l’on pêche et ce que l’on cultive, et ce que l’on y cultive ferait envie au jardin des Hespérides.
Les paysages sont d’une beauté fière et indomptée, et se méritent au prix d’heures de marche et d’efforts pour en admirer la sublime palette de couleurs, contrastes et variétés. Des cratères de volcans succèdent aux massifs d’hortensias, des plateaux lunaires se détachent de sentiers perdus dans la brume, une flore luxuriante côtoie des sommets arides. Certains villages ne sont accessibles que par des sentiers glissants que l’ont ne parcourt qu’à pied ou à dos d’âne. Il s’en dégage une puissance humble, sûre d’elle même, d’avoir su conserver et chérir la splendeur de ce qui est et existe de Beau et de naturel.
Pas d’immeubles, pas de tours, peu de constructions laides modernes, un respect de la nature, jusqu’ici miraculeusement préservée, une compréhension et acceptation de ce qu’ « habiter un territoire » signifie réellement. La menace la plus grande actuelle étant le tourisme qui se développe. Espérons que l’appât du profit ne supplante pas ici aussi la volonté de préserver et de respecter. Des séismes et éruptions volcaniques ont souvent lieu, des pertes animales, humaines et matérielles sont à déplorer, mais cela paraît un bien maigre coût à payer dans le temps en comparaison de ce que l’on vit quotidiennement sur le continent, avec malheureusement plus aucun des avantages cités ci-dessus.
Comment revenir alors sans ressentir avec grande violence le contraste entre cette société cohérente et la nôtre, qui n’aurait jamais du cesser de l’être ? Ce n’est ni l’Atlantide ni les îles des Bienheureux, mais bel et bien un exemple de société vivante, vivable et possible qui subsiste, forte, de nos jours. Les raisons de ce succès ont-elles besoin d’être évoquées ?
Ad augusta per angusta
Aspasie/C.N.C.
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