L’Union européenne pourrait s’auto-détruire et c’est inacceptable pour un certain nombre de responsables politiques, qui, selon l’expression du président du conseil européen Donald Tusk ont, décidé de « reprendre le contrôle ».
La rentrée est bien délicate pour les dirigeants européens : rien ne va plus au sein de l'Union, et cette construction européenne, si ardemment désirée par certains au point d'avoir autorisé toutes les compromissions, tous les mensonges, toutes les tricheries, paraît aujourd'hui dans l'impasse. Pire ! Ils n'avaient pas fière allure, en cette mi-septembre, en se retrouvant pour le sommet de Bratislava. Pensez ! le Brexit, la présidentielle autrichienne, l'opposition qui gronde et progresse un peu partout, à commencer par l'Allemagne ; la construction européenne paraît se déliter plus vite que ne se démaillait la toile de Pénélope ! Alors, contre mauvaise fortune, nos politiques s'essayaient à faire bonne figure. L'inénarrable François Hollande, qui n'en peut manifestement plus d'accumuler les casseroles alors qu'il ambitionne de moins en moins secrètement de se succéder à lui-même, affirmait à la veille dudit sommet que le choix qui se posait à eux était « soit la dislocation, soit la dilution, soit c'est au contraire la volonté commune de donner un projet à l'Europe »...
La question nationale
Angela Merkel, quant à elle, n'a pas hésité à souligner que l'Union européenne était dans une « situation critique », en l'appelant à « mieux faire ». Et pour cela, elle a en quelque sorte, parmi d'autres idées, enterré la question européenne des quotas de migrants. Il est loin le temps où Bruxelles devait être l'inspiratrice des États-membres. C'est bien la question nationale, il est vrai multipliée par autant de pays qu'en compte l'Union, qui prévaut désormais.
Mais détricoter ce qui a été fait n'a jamais constitué une politique, mais plutôt signé son échec. Jean-Claude Juncker en a bien conscience qui a voulu prononcer un « discours sur l'état de l'Union » offensif.
Le président de la Commission européenne ne manquait pas de courage en cela. Car, à défaut d'une vision qui paraît manquer étrangement à tous ces responsables politiques, il faut une forte dose d'imagination et de bonne volonté pour évoquer, sans trembler, l'état européen actuel.
Un plan B pour Juncker
Car, pour satisfaire d'abord les États-membres de l'est, il faut convenir que leur situation, en première ligne migratoire, est loin d'être facile. Et accepter donc d'entendre leurs objurgations qui paraissent rimer avec Europe des nations. Même si la rime doit s'avérer pauvre...
La Hongrie vient d'ailleurs de confirmer cette démarche, quelque critique que se permettent d'aucuns du scrutin, en votant contre la politique migratoire de Bruxelles. Ses voisins du groupe de Visegrad font depuis des mois chorus. Et Angela Merkel lâche donc du lest.
La tâche de Jean-Claude Juncker n'était donc pas aisé, d'autant que le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn, envisage tout bonnement d'exclure la Hongrie de l'Union européenne. On n'est jamais trahi que par les siens...
Le président de la Commission européenne nous a donc proposé, en quelque sorte, un plan B, jusqu'ici décrété inexistant. Mais ce plan B, à la façon du traité de Lisbonne succédant au projet de Constitution européenne, ressemble furieusement au plan A, saupoudré de quelques formules destinées à calmer les ardeurs colériques, voire belliqueuses de certains.
De ce point de vue, le discours catastrophiste d'Angela Merkel va dans le même sens - jusque dans l'expression. Quand Donald Tusk évoque faiblesse et chaos, Jean-Claude Juncker parle de menace. En clair, tout trois s'entendent sur la situation critique de l'Union européenne.
Il faudrait être naïf pour croire que cette dramatisation tendait à satisfaire certains esprits eux aussi critiques. Le discours, rodé depuis des décennies, et manifestement emprunté à certaine logorrhée soviétique, ne varie guère : si l'Union européenne va mal, c'est qu'il faut davantage d'Union européenne. Et tant pis pour les Britanniques. Et, songe sans doute François Hollande, pour Nicolas Sarkozy...
La colère des Italiens
Dans cette atmosphère quasi médicale, beaucoup n'auront sans doute pas prêté attention aux protestations de Matteo Renzi. Le président du Conseil n'a pas caché sa déception de voir que ce nouveau sommet n'avait, en définitive, et une fois de plus, rien changé. Et refusé, pour ce motif, de participer à la conférence de presse que donnaient Angela Merkel et François Hollande.
« Je ne peux pas prendre part à la conférence de presse conjointe avec le chancelier allemand et le président français, parce que je ne partage pas leurs évaluations », a-t-il déclaré. « S'ils sont satisfaits des résultats, je suis heureux pour eux. » Devant la satisfaction manifestée par ses collègues, il ajoute : « Dire que le document d'aujourd'hui est un pas en avant sur la question des migrants relèverait de l'imagination ou de l’acrobatie verbale. » Et d'ajouter : « Je ne sais pas à quoi Angela Merkel se réfère quand elle parle de "l'esprit de Bratislava". »
« Si les choses continuent ainsi, conclut-il auprès de nos confrères du Corriere della Sera, au lieu de l'esprit de Bratislava, nous parlerons du fantôme de l'Europe. »
Hugues Dalric monde&vie 12 octobre 2016