La formation – ou la déformation – de l’opinion repose très naturellement sur des réflexes où les émotions, les passions, les opinions occupent tout le devant de la scène, reléguant dans l’ombre voire en coulisse rationalité et réflexion. Rien de nouveau. Rien de nouveau non plus dans l’exploitation faite par les démagogues politiques et médiatiques (ce qui est tout un) de cette constante du corps électoral.
J’ai déjà eu l’occasion d’observer (sous le titre « Sa Majesté Mensonge ») (*) que ledit mensonge n’était plus seulement l’outil de la politique : il en est devenu l’essence même.
Pourtant, nos contemporains, présumés éclairés, s’accordent pour affirmer que le fondement de toute réflexion ce sont les faits, avérés si possible. Des faits qu’il s’agit de collecter, de vérifier, puis de classer. Le classement « utile » des faits, c’est-à-dire celui qui permet de prendre des décisions, s’opère selon les trois catégories classiques : le certain, le probable, l’inconnu (ou au moins l’invérifiable).
Ce type de distinction est insoutenable pour les démagogues : ils ne peuvent prendre le risque de soumettre à un tel contrôle de vraisemblance les prédictions, ni les opinions sur lesquelles ils fondent leurs projets – ou leurs promesses : leur posture, c’est forcément d’affirmer. Leur argumentaire, c’est de plaire.
Ils sont condamnés à mentir. La voie de l’objectivité, de la « vérité scientifique » leur étant interdite, il ne leur reste que celle de l’opinion, et de l’appel à l’opinion de leur public. A la rencontre de deux ignorances.
Les politiques SAVENT qu’ils mentent. Mais aussi qu’ils DOIVENT FAIRE CROIRE pour en tirer un profit.
Comment s’appelle ce processus, qui revient, par l’usage d’une fausse qualité ou par l’emploi de manœuvres frauduleuses, à tromper une personne physique ou morale pour la déterminer, à son préjudice, à fournir un service ou à consentir un acte qui l’oblige ? Eh bien je viens de citer l’article 313-1 à 3 du Code pénal qui définit l’escroquerie.
Cependant, ces malfaiteurs de la politique que sont les démagogues (aujourd’hui, l’opinion publique a quelques raisons pour assimiler « politique » et « démagogues ») se positionnent, dans leur usage du mensonge, en deux catégories aussi efficaces l’une que l’autre : d’un côté les « très-court-termistes », de l’autre, les « très-long-termistes ».
Les politiciens sont comme vous et moi : confrontés à une multitude de questions qui comportent beaucoup d’inconnues. S’ils l’avouent, ils sont disqualifiés d’avance. Il faut affirmer. Alors, en fonction de leur tempérament ou de leur culture, ils optent entre deux manières de masquer ou de faire oublier leur incompétence.
Faire oublier, c’est l’attitude « très-court-termiste »
Il s’agit aujourd’hui de l’attitude le plus généralement adoptée, sans jamais l’avouer, par les politiques. Elle consiste très simplement à n’avoir pas d’autre horizon, pas d’autre échéance que de gagner la prochaine élection. Celle de l’an prochain, celle de dans trois semaines ; et de caler leur discours sur cette échéance.
L’opinion le sait et leur en fait couramment reproche, mais ils n’en ont cure : non seulement ils ne peuvent pas faire autrement, mais en outre cette posture est, de leur point de vue, d’une rationalité impeccable. Elle se nourrit en effet de deux composantes : l’électoralisme et l’hyperréalisme.
L’objectif prioritaire sinon unique du politicien, c’est d’être élu puis réélu. En d’autres termes, d’accéder au pouvoir puis de s’y maintenir. Pour cela, les impératifs catégoriques sont, d’abord, de ne pas déplaire à l’électorat, ne rien faire qui puisse être perçu comme « douloureux » par leurs différents électorats. (« Electorat » doit se mettre au pluriel, en effet, car il faut tenir compte de groupes de citoyens aux intérêts différents voire divergents.)
Le proverbe dit : « On ne peut contenter tout le monde et son père ». Mais le politicien doit passer son temps à démentir ce précepte. On aboutit donc à une double escroquerie : dans le discours, il faut mentir à tout le monde ; dans la pratique, il ne faut surtout pas faire ce que l’on a dit, ce qui débouche sur le plus parfait immobilisme possible.
C’est ce que, de l’avis général, nous vivons en ce moment.
Attention : cette constatation ne veut pas dire que l’attitude du mensonge général et immobile soit une garantie de succès électoral. La constance dans le mensonge repose sur une conviction des politiques : « Une élection à la fois ; de toute façon “ils” auront oublié et je pourrai leur servir les mêmes ou bien je changerai de mensonges pour la prochaine ».
Mais il arrive qu’ « ils » n’oublient pas. Il arrive aussi que l’immobilisme crée un marasme tel que les électeurs s’en aperçoivent, à leurs dépens (par exemple quand plus de la moitié des membres d’une famille se retrouve au chômage ou subit des agressions à répétition au point de devoir déménager).
Mais, succès ou pas, les politiques y sont condamnés : celui qui pratique le mensonge n’est pas sûr d’être réélu. Mais celui qui ne le pratique pas est sûr d’être éliminé. En ce sens il s’agit d’une attitude totalement réaliste après moi le déluge. Oui, mais après moi.
Les adeptes du très-court-terme ont d’ailleurs à leur disposition une référence illustre : le saint patron des très-court-termistes – et des interventionnismes d’Etat – John Maynard Keynes dont l’expression « A long terme, nous serons tous morts » est vivace dans les mémoires.
L’attitude très-long-termiste
A l’autre extrémité du mensonge politique on trouve l’attitude « très-long-termiste ». Là il s’agit de masquer, de flouter.
Elle repose sur un constat simple : à très long terme personne ne peut prétendre même entrevoir ce qui va se passer. Les adeptes du très-long-terme, en matière de confrontation des scénarios, jouent sur du velours.
- Celui qui prédit sur le très long terme ne court aucun risque d’être un jour démenti et encore bien moins de connaître ou d’assumer les conséquences de ce qu’il annonce, ni de ce qu’il préconise.
- Il n’a donc besoin d’autre critères pour fixer sa position que ses propres sentiments, son propre tempérament, sa propre conviction. Son succès dépend donc exclusivement de son habileté rhétorique.
- Conséquence induite : les très-long-termistes se divisent entre optimistes et pessimistes, ce qui donne lieu à des joutes oratoires très appréciées des amateurs de jeux du cirque… quoique sur la base de
Le très-long-termisme est la terre d’élection des idéologies, des croyances religieuses et des sectes. Le slogan qui représente, historiquement, l’expression de l’optimisme très-long-termiste est celui qui annonce « les lendemains qui chantent ».
Le très long terme, c’est l’échéance de Marx-Lénine-Staline, qui préparaient l’homme nouveau. C’est l’échéance d’Adolf Hitler qui voulait faire ressurgir la race aryenne pure. C’est l’échéance fétiche de tous ceux qui, de Platon (hé oui !) à Pol Pot en passant par Rousseau se sont donné pour dessein de « changer l’Homme » avec comme résultat concret d’avoir réussi à « changer », en effet, quelques millions d’hommes en cadavres.
Le très long terme, aujourd’hui, ne serait-ce pas l’échéance sur laquelle se positionne déjà la « superclasse mondiale » avec la participation de la fondation Gates comme de Paul Ehrlich, qui militent pour une Terre peuplée seulement d’un milliard ou 1,5 milliard d’humains ?
Entre le raisonnement à très long terme comme celui à très court terme, pourtant, il existe des similitudes frappantes : d’abord, en ce qu’ils donnent, l’un comme l’autre, à ceux qui les pratiquent, un maximum de chances de raisonner faux ; ensuite, dans le discours de certains politiques, ils ne sont nullement incompatibles, au contraire. Sur la question des frontières européennes, par exemple :
La classe politique ultra-majoritaire d’aujourd’hui est bien contrainte, pour des raisons alimentaires immédiates, de s’inscrire dans la conformité européiste : quiconque s’en éloigne se trouve immédiatement « privé de dessert » par sa formation politique. Cela, c’est évidemment une approche « très-court-termiste ».
Il n’y a pas de trace d’idéologie là-dedans : la posture est la même chez les Républicains et au PS dont les principes « idéologiques » sont formellement inconciliables mais qui se retrouvent unanimes pour affirmer que l’Europe c’est l’avenir et la puissance.
Si on leur fait observer que cette Europe a surtout fait la preuve de ses limites et de ses inconvénients voire de ses tares rédhibitoires, que cette Europe a surtout prouvé son impuissance à assurer sa sécurité et sa capacité à organiser la concurrence déloyale entre systèmes économiques et sociaux trop dissemblables, ils répondent en chœur « C’est normal mais c’est passager, à long terme. Vous verrez : l’Europe c’est le salut pour tous ».
Et voilà comment les TCTistes se rangent, quand ça les arrange, derrière la bannière du très long terme…
Tout cela est bien beau, me dira-t-on, mais alors sur quelle période faut-il se situer pour raisonner sainement ?
– Heureusement, n’étant pas politicien, je n’ai pas à me soucier d’affirmer au risque de trahir la vérité.
– Malheureusement, la réponse ne peut être que relative et conditionnelle.
Elle est en effet fonction de deux variables :
– Quelle est la durée de vie des informations « certaines » dont nous disposons et quel est leur degré de certitude ?
– Qu’est-ce qui, à l’échelle d’une vie humaine – et de ses projections (enfants, petits-enfants) – nous intéresse vraiment ?
En d’autres termes, que sommes-nous prêts à accepter pour nos petits-enfants, ceux que nous avons vus naître et grandir, ceux qui ne sont pas des concepts lointains mais des êtres de chair, ceux dont le sort – qui se déroule sur la durée du prochain siècle – ne peut nous laisser insensibles ?
Si j’ose dire, cette feuille de route séculaire tombe bien : c’est celle sur laquelle nous pouvons encore nous autoriser à prévoir avec une petite chance de vraisemblance.
Quelle courte vue ! Quel égoïsme ! hurleront les idéologues très-long-termistes.
Peut-être. Mais comme au-delà nous sommes rigoureusement incapables même de « reconnaître le terrain », à quoi sert d’y poser des mines sur le chemin d’avenir de nos enfants ?
Comme diraient les Américains « Donnez-moi une seule bonne raison » de risquer de voir une AK 47 massacrer mes enfants au prochain coin de rue, soi-disant pour ouvrir les bras à des « réfugiés » qui viennent de partout sauf des zones de guerre ? pour faire chanter les lendemains d’enfants dont rien ne dit qu’ils existeront ? pour peupler les trottoirs de nos villes de « familles syriennes » qui n’ont jamais vu la Syrie ?
Donnez-moi une seule bonne raison d’exposer mes petits-enfants à passer leur vie au chômage ou, à échéance de 20 ou 30 ans, à travailler 50 heures par semaine pour un salaire équivalant à 400 euros par mois, pour le bonheur de partager la « richesse » avec des peuples de remplacement issus de pays qui ont été incapables de développer leur économie depuis qu’ils s’autogouvernent ?
Donnez-moi une seule bonne raison de croire à ce que vous affirmez, vous qui depuis le début du XXe siècle n’avez pas cessé de masquer vos crimes derrière vos mensonges ?
Donnez-moi une seule bonne raison de ne pas voir ce qui crève les yeux (enfin… qui aimerait bien nous les crever) : la conjonction, la collusion hurlante entre le plus cynique, le plus inhumain des mondialismes capitalistes, avide de peuples asservis et sous-payés à consommer, et ce gaucho-mondialisme qui s’autoproclame « alter » mais se met au service objectif du premier qui le nourrit grassement de ses subventions !
Julius Muzart 2 mars 2017
(*) Voir aussi : « Sa Majesté Mensonge »