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Jean de la Hire (1878-1956) : itinéraire d’un écrivain devenu fasciste

Écrivain prolifique et d'une extrême variété, très célèbre en son temps, Jean de La Hire a sombré dans un total oubli depuis une bonne soixantaine d'années. Un oubli aussi étonnant qu'injuste eu égard à son talent et au succès avec lequel il aborda les génies littéraires les plus divers.

Une origine noble et une éducation rigoureuse

Adolphe Ferdinand d'Espies de La Hire vient au monde le 28 janvier 1878 à Banyuls-sur-Mer, des œuvres du comte Célestin d'Espies de La Hire, et de Marie Maillol, sœur du grand sculpteur Aristide Maillot. Le comte d'Espies est un grand propriétaire viticole, aux principes rigoureux. Il compte, parmi ses ancêtres, Etienne de Vignolles (1390-1443), surnommé La Hire, vraisemblablement à cause de son caractère coléreux (ire étant synonyme de colère, en français médiéval, et le h étant un ajout ultérieur). Aussi confie-t-il l'éducation d'Adolphe, son fils aîné, aux Jésuites de Béziers, dont le collège jouit d'une solide réputation. La discipline y est rude, et le jeune garçon en ressortira très instruit et irréprochablement éduqué, mais profondément anticlérical, révolté contre son milieu d'origine, et favorable aux idées libérales et démocratiques, voire révolutionnaires. Toutefois, son hostilité à l’Église s'émoussera avec les années, quand il entrera dans l'âge mûr. Son éducation jésuitique lui a inculqué, tout naturellement, le goût des lettres, et, après son baccalauréat, il envisage une carrière d'écrivain, ce que son père n'apprécie que médiocrement.

Début littéraires et journalistiques

Monté à Paris, il cherche à fréquenter les milieux littéraires et à rencontrer les gloires du moment. Il se lie alors avec Henri Gauthier-Villars, dit Wilfy, le sulfureux époux de la non moins sulfureuse Colette. Fumiste, écrivain raté exploitant sans scrupule le talent de sa jeune épouse et le travail de "nègres" qui cherchent à gagner leur vie, Wilfy se l'attache comme tâcheron pendant quelque temps. Puis, Adolphe, en quête d'une situation plus stable et mieux rémunérée, entre comme journaliste au Matin, le grand quotidien républicain (modéré) et dreyfusard de la charnière des XIXe et XXe siècles(1), cela grâce à Colette, collaboratrice de ce journal. Apprécié de son patron, Maurice Bunau-Varilla, il devient directeur littéraire du journal.

Les succès d’un écrivain prolifique d’une extrême variété

Mais le jeune homme ne perd pas de vue ses ambitions d'écrivain. Dès 1898, à vingt ans, il publie, grâce à l'appui de Pierre Louys, dont il est devenu l'ami, son premier roman, La Chair et l'Esprit(2). C'est le début d'une intense période d'activité et d'une production soutenue. Il donne d'abord dans le roman psychologique, avec Les Vipères (1899), Le Tombeau des vierges (1900), Héro et Léandre (1900), Maîtresse de roi (1900), Incestueuse (1901), La Torera (1902), Les sept beautés de la marquise, Amours tragiques, Rivales d'amour (1903), Vengeances d'amoureuses (1905). Suivront de nombreux romans d'aventures, à intrigue contemporaine ou de cape et d'épée, ou à caractère historique affirmé Fleur meurtrie (1921), le Capitaine (1923), Le roman d'un modèle, L'Epave sanglante (1926), Le roi de la Sierra (1927), La Fille du bourreau, L'aventureuse Marquise (1928), Le roi des catacombes, Les bandits de Paramaribo (1929), La fille de Duguesclin (1929). Il donne une vie romancée de Sainte Thérèse d'Avila (1921), dont il se montrera toujours particulièrement fier (au point de le considérer comme son chef-d'œuvre), mais qui suscitera la réaction violente de l’Église : l'ouvrage, mis à l'Index, sera interdit en Espagne et solennellement brûlé dans une cour du palais royal de Madrid, en présence du Roi Alphonse XIII et d'un légat du pape Pie XI. La raison en est que l'auteur présente les extases de la sainte comme des délires mystiques à connotation sexuelle.

Jean de La Hire se crée un genre très personnel qui tient lieu à la fois du roman d'aventure, du roman d'anticipation scientifique ou de science-fiction, et du fantastique à coloration religieuse ou ésotérique : Le Trésor dans l'abîme (1907), La Roue fulgurante (1908), premier roman à mettre en scène une soucoupe volante(3) Les dompteurs des forces (1927), L’Énigme des pôles, Le monstre au cœur d'acier, L'homme aux hélicoptères, Les ravageurs du monde (1928), Le Secret des cent îles, L'œil de la déesse (1929), Le Roi de la nuit (1943).

Jean de La Hire se fait un plaisir de publier ses livres sous les pseudonymes les plus divers Edmond Cazal pour les romans historiques, Commandant Cazal pour les romans de guerre, Alexandre Zorka, André Laumière et Jean Vinegrower pour les romans d'amour, Arsène Lefort pour les romans de cape et d'épée, ou encore Philippe Néris. Il signe parfois du nom d'A. d'Espies, soit à peu près de son vrai nom.

Cette inclinaison à varier ses noms de plume n’a rien d’une toquade. Elle répond à une stratégie publicitaire : elle permet de multiplier la notoriété, d'infléchir ou de corriger l'opinion générale des lecteurs (ils ont forcément des avis différents sur des auteurs qu'ils croient différents), permet à l’écrivain connu sous un nom de faire référence à lui-même (en termes avantageux) sous un autre nom, et donne à l'éditeur, l'occasion d'enrichir son catalogue. Et Jean de La Hire ne s'est pas privé de ce petit jeu. Les éditeurs, La Hire les connaît bien, car il en a plusieurs, qui recherchent tous sa clientèle : Tallandier, Ferenczi, Fayard, Albin Michel, les Éditions de France, les Editions du Loisir, le Masque, etc. Lui-même se lance dans l'édition , en plus de sa double activité de journaliste et d'écrivain : en novembre 1905, il fonde sa maison, la Bibliothèque indépendante, qu'il vend quelques mois plus tard seulement, pour devenir directeur de la Librairie Universelle (juillet 1905-juin 1906). Notre homme est très entreprenant et ne se laisse arrêter par aucun obstacle, ni n'éprouve aucune appréhension inhibitrice. Cependant, ses expériences éditoriales connaîtront des hauts et des bas.

Auteur à succès fêté par le grand public, Jean de La Hire décide d'élargir son lectorat populaire, en particulier en direction de la jeunesse. Pour cela, il va créer des séries de récits d'aventures centrées autour de héros particuliers. La plus fameuse, en son temps, aura été Le Nyctalope. Le Nyctalope (de son vrai nom Léo Sainte-Claire(4) est un personnage doué de facultés surnaturelles, capable de voir parfaitement dans l'obscurité (d'où son surnom), maîtrisant au plus haut degré la science de son temps, et vivant des aventures extraordinaires qui le mènent jusqu'à des planètes lointaines, dont Mars et l'imaginaire Rhéa. De L'Homme qui peut vivre dans Veau (1909) à L'Enigme du squelette (1955), ce héros vivra vingt-quatre aventures différentes sous la plume féconde de son créateur.

Jean de La Hire lance également, en 1913, la série des Boys scouts, série d'aventures tournant autour de plusieurs jeunes garçons, dont trois boys scouts (dont « l'hypocrite Jean Bart ») vingt-six titres paraîtront. Ces séries connaîtront un grand succès, puis tomberont dans l'oubli à la fin des années 1950. Le Nyctalope n'aura pas la postérité de Fantômas, le personnage (maléfique, quant à lui, qui lui ressemble le plus), de Rouletabille ou d'Arsène Lupin. Quant aux boys-scouts, ils connaîtront une désaffection que n'atténuera pas la vogue des héros scouts dans les œuvres écrites et illustrées pour la jeunesse(5).

Touchant à tous les genres, doué d'une curiosité universelle et insatiable, Jean de La Hire se consacre aussi à des sujets "sérieux", qui ne relèvent pas de la fiction. Ainsi, dès 1905, il publie une biographie de Colette, son amie, une des premières écrites sur cet auteur (qui n'a alors que trente-deux ans). Il donne également des essais sur les sujets les plus divers : Les gaudrioles militaires (1897, à dix-neuf ans), Mémoires d'un Don Juan et physiologie du donjuanisme (1904), Le président Fallières, la vie politique, le congrès de 1906 (1906), Les voyages passionnés. À Venise, dans l'ombre de Byron (1915), L'Europe future. Réponse à H.G.Wells (1916), Les amours, les frasques, et la passion de Mirabeau (1926)(6).

Jean de La Hire épouse en 1904, Marie Weyrich, fille de pasteur, qui aura une activité de romancière, de poétesse, de peintre, et sera l'amie de Francis Picabia. Mais, malade, elle s'éteindra dès 1925, à quarante-sept ans seulement.

De l’inclination républicaine et démocratique à la foi nationale-socialiste

Nous l'avons dit, Jean de La Hire, révolté contre son milieu d'origine et devenu anticlérical en raison de la sévérité de ses maîtres jésuites, avait embrassé les idées républicaines et démocratiques. Les années passant, il met une sourdine à son anticléricalisme, et c'est bien malgré lui que sa biographie romancée de Sainte Thérèse d'Avila suscite la réaction violente de l’Église romaine : il n'avait pas eu, quant à lui, d'intention provocatrice. En revanche, son antimilitarisme, déjà vif dans La gaudriole militaire (1897 péché de jeunesse), s'accentue. Et ce d'autant plus qu'il conservera de sa participation de combattant de la Grande Guerre des souvenirs atroces et des séquelles pulmonaires durables du gazage dont il aura été la victime. L'idée du retour possible de la guerre sera chez lui une hantise, et, à l'approche du second conflit mondial, il produira presque simultanément cinq ouvrages sur le sujet La Guerre, la guerre !, Maginot-Siegfried, Batailles pour la mer, l’Afrique en flammes et La fin… par le pétrole, tous publiés en 1939.

De ce point de vue, Jean de La Hire ressemble à Jean Giono, lui aussi très marqué par son expérience de combattant de la Grande Guerre, et devenu inconditionnellement pacifiste. À la différence de ce dernier, il ne signe cependant pas le manifeste clandestin Paix immédiate de septembre 1939. Et cependant, il aurait pu le faire aisément. En effet, on relève, parmi les noms des signataires, ceux d'authentiques hommes et femmes de gauche, tels Alain, Louis Le-coin, Marceau Pivert, Henry Poulaille, Victor Margueritte, Germaine Decaris, Thyde Monnier, entre autres ; et on trouve surtout ceux de personnalités dont Jean de La Hire se sentait particulièrement proches, comme Marcel Déat et Ludovic Zoretti.

Car, en deux décennies (1919-1939), Jean de La Hire avait beaucoup évolué. Le républicain démocrate bon teint, plutôt anticlérical et dreyfusard, de la Belle Époque a été déçu par l'évolution (ou plutôt l'involution) de la République française après la Grande Guerre. Le pourrissement dès institutions, la corruption et l'incurie des parlementaires, l'impuissance de l'exécutif, le déclin et les crises économiques et financières, l'incapacité de la SFIO à se rénover pour s'adapter aux temps nouveaux, l'inféodation des communistes à l'URSS totalitaire, l'ont éloigné de la gauche radicale et socialiste vers laquelle il inclinait dans sa jeunesse. Comme Marcel Déat, Adrien Marquet, Ludovic Zoretti et autres, il en vient à opter en faveur d'un régime à la fois nationaliste et socialiste, planificateur et technocratique en économie, réformiste au plan social, peu ou prou corporatiste, seul capable de relever la France de son déclin et du marasme. Le régime fasciste italien et le national-socialisme allemands lui semblent des modèles acceptables, dans la mesure où ils concilient prospérité nationale et résolution de la question sociale.

Un partisan actif de la collaboration

Aussi, dès juillet 1940, il se rallie au maréchal Pétain et à la cause de la Révolution nationale. Au début de 1941, il adhère au Rassemblement national populaire (RNP) de Marcel Déat. Comme ce dernier, il ne voit de chance de relèvement pour la France que dans une politique de collaboration sans réserve avec l'Allemagne hitlérienne et l'instauration d'un régime de type fasciste. Afin de contribuer à la promotion de ces idées, il participe aux activités du groupe Collaboration fondé par Alphonse de Châteaubriant, et où s'activent des personnalités telles que Drieu La Rochelle, Georges Claude, le cardinal Baudrillart, Abel Hermant et Abel Bonnard. Il met sa plume au service de ses idées politiques. Après Le crime des évacuations. Les horreurs que nous avons vues (1940), violente condamnation des conséquences humaines catastrophiques de l'incurie, en pleine guerre, du gouvernement de Paul Reynaud, de Daladier et de Mandel, il exhorte à l'édification d'une Europe nationale-socialiste dans Le Travail, les Travailleurs et la Nouvelle Europe (1941), et à la collaboration pleine et entière avec l'Allemagne, dans Hitler, que nous veut-il donc ? (1942). Il donne également une violente diatribe contre la Grande-Bretagne, avec Mort aux Anglais ! Vive la France ! (1942).

Ses convictions sont telles que les autorités allemandes d'occupation lui confient, en octobre 1940, l'administration de-la maison juive d'édition Ferenczi & fils, aryanisée, et ce contre le vœu du Commissariat général aux Questions juives, qui aurait préféré un gérant moins pro-allemand. Cependant, d'un commun accord entre les Allemands et lui-même, Jean de La Hire quittera ce poste dès décembre 1940. C'est par cette maison, rebaptisée Editions du Livre moderne qu'il fera éditer les ouvrages politiques que nous citions plus haut.

La réprobation, puis l'oubli

À la Libération, il fait l'objet de poursuites. D'abord exclu du Syndicat des Editeurs (9 septembre 1944), il est arrêté le 21 mars 1945. Malade, toujours en raison des séquelles du gazage dont il fut victime durant la Grande Guerre, il est transféré à l'hôpital de Château-la-Vallière, en Indre-et-Loire, d'où il parvient à s'échapper. Il sera condamné par contumace à dix ans de détention et à l'indignité nationale à vie. Durant six ans, il vit dans la clandestinité, changeant de domicile et de région, faisant parfois des excursions à l'étranger. Fatigué de cette vie errante, que, d'ailleurs, la maladie l'oblige à cesser, il se rend le 3 décembre 1951. Son âge, son état de santé, le refroidissement des passions anti-collaborationnistes de 1944-1945, lui valent l'indulgence de l’État et des autorités judiciaires, qui le dispensent d'un nouveau procès. Il s'éteindra à Nice le 6 septembre 1956, victime de ses affections pulmonaires consécutives au gazage qu'il avait subi.

L'oubli en lequel il est tombé est regrettable dans la mesure où il fut le premier auteur populaire de fantastique et de science-fiction, et l'un des meilleurs auteurs de romans d'aventure destinés au grand public.

Paul-André Delorme Rivarol du 20 avril 2017

1 Le Matin, dirigé de 1901 à 1944 par Maurice Bumu-Variila, ne cessera d'évoluer par la suite. Conservateur après la Grande Guerre, il deviendra nationaliste et antidémocrate durant les années 1930, puis pétainiste et collaborationniste sous l’Occupation.
2. Éditions Girard.      

3. À partir de 1952, le livre sera réédité sous le titre Soucoupe volante.

4. Ce nom change suivant les romans de la série, devenant tour à tour, outre Sainte-Claire, Saint-Clair, Sainclair ou Sinclair.

5. On songe ici tout spécialement à la bande dessinée, notamment à Tintin (fortement inspiré du scoutisme et créé par l'ancien scout Hergé, qui l’avait conçu initialement sous les traits de Totor, chef de la patrouille des Hannetons) et de la Patrouille des Castors, la série créée par MiTacq et Jean-Michel Charlier (1895-1993).

6. Biographie romancée du grand tribun des débuts de la Révolution française.

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