Si Emmanuel Macron n’obtient pas la majorité absolue, le 18 juin prochain, au soir du second tour des législatives, ce ne sera pas la faute des média de l’oligarchie, qui n’ont jamais autant invoqué l’« esprit des institutions
» pour vendre aux Français leurs candidats.
Certes, Macron ne bénéficie pas de ce qu’on appelle un état de grâce, mais, tout de même, 58 % des Français verraient aujourd’hui en lui un bon président, surtout à gauche en raison, bien sûr, de la totale déconfiture du candidat socialiste à la présidentielle. Il faut néanmoins comparer ce chiffre aux 66 % qui ont porté Macron à l’Élysée. Comparaison qui montre bien qu’il a surtout été élu par défaut. Et explique pourquoi la droite modérée voit elle aussi en lui l’homme de la situation, celui qui réussit d’autant mieux, selon Gaël Sliman, président de l’institut Odoxa, à réaliser « le consensus gauche-droite
» qu’il s’agit d’une droite et d’une gauche également édulcorées.
Du machin électoral au parti
Quant à Édouard Philippe, l’ex-LR et ex-maire du Havre devenu Premier ministre, avec 55 % d’opinions favorables, il est loin de susciter l’adhésion des foules – l’incolore Ayrault faisait en 2012 dix points de plus. Le couple exécutif bénéficie donc d’une popularité de circonstance, sans laquelle l’ambivalence de la majorité des électeurs, chez qui désir et crainte du changement s’équilibrent, apparaîtrait comme une simple et pure contradiction. Or le suffrage universel a toujours raison : qu’il ait pris des vessies pour des lanternes et Emmanuel Macron pour le messie de la rénovation de la vie politique est donc d’une logique imparable.
Ceux qui ont, dès 2016, prétendu que Macron n’était qu’une bulle médiatique ne se sont pas trompés. Et n’ont donc pas à faire amende honorable. Ils auraient simplement dû ajouter que sous la Ve République, une bulle médiatique peut accéder à la présidence de la République, surtout lorsque la finance apatride et les média qui sont ses courroies de transmission la protègent suffisamment pour l’empêcher d’éclater trop tôt. C’est ici que nous retrouvons le fameux « esprit des institutions
»…
Ne faisant jamais tourner les tables, je suis rarement entré en contact avec lui. Mais il doit bien exister puisqu’on ne cesse de l’invoquer pour s’assurer (et en même temps se rassurer) que les Français accorderont bien une majorité à Macron, même si le cas de figure n’est pas exactement le même que celui des précédentes présidentielles où l’élu l’avait été pour lui-même et pour son programme et non pas par défaut (le cas hors norme de 2002 ne pouvant être comparé à 2017). Mais en transformant immédiatement son machin électoral en parti, Macron a voulu également transformer une adhésion par défaut en une adhésion à sa personne et à son programme, le gouvernement, à tous points de vue hybride, qu’il a nommé visant à rassembler cette masse centriste des Français qui voit dans Macron le totem incarnant leur désir ambivalent de changement que nous évoquions à l’instant. « Lui donner sa chance
» est donc la formule qui revient le plus souvent : ce que les électeurs désabusés ou en colère disaient de Marine Le Pen pour justifier leur vote FN – « elle, on ne l’a jamais essayée
» –, les réformistes-conservateurs qui constituent la base électorale de Macron le disent de lui, qui joue auprès de ces électeurs bon chic-bon genre un rôle analogue à celui de la candidate FN auprès de l’électorat populaire. Le malheur est qu’en présentant mieux que sa concurrente, en jouant sur une (im)posture régalienne – ce qui n’est pas difficile après cinq années de présidence normale – et en ayant surtout déjà pour lui l’appareil d’État, l’Or et l’Intelligence soumise à l’Or, il risque d’obtenir cette majorité conforme à l’« esprit des institutions
» qui voudrait, depuis le passage au quinquennat et l’« inversion
» du calendrier électoral en 2002, que les Français donnent au président qu’ils viennent d’élire les moyens parlementaires de gouverner.
La matrice de nos maux principaux
Qu’en sera-t-il cette année ? Nous le verrons bien mais cessons de réduire l’esprit des institutions, si esprit il y a, à de la cuisine électorale. Et d’enfermer la Ve République dans une logique parlementaire que le dernier quinquennat fut loin de vérifier : le phénomène des frondeurs a limité – doit-on s’en plaindre ? – la portée des réformes qu’Hollande voulait engager… et que Macron ne fera que reprendre, voire aggraver notamment en matière européenne. Laquelle est primordiale : la mal nommée Europe est en effet la matrice de nos maux principaux. Or Macron a donné les signes les plus délétères, son gouvernement ne faisant que renforcer les craintes qu’on pouvait avoir, qu’il s’agisse de la nomination d’une fondamentaliste de l’Europe aux Armées ou d’une eurobéate aux Affaires européennes, ou de la création d’un ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, qui acte la disparition de toute diplomatie indépendante.
Ce qui importe, ce n’est donc pas le prétendu esprit des institutions – dont la logique voudrait d’ailleurs que les Français ne soient plus moralement libres de leur vote aux législatives. Et si la Ve République a pu avoir son utilité pour consolider un pays affaibli par l’instabilité des deux républiques précédentes, il ne faudrait pas que l’invocation de son esprit serve à donner sa chance à Macron qui, lui, n’en donnera aucune à la France. Alors que, sous la Ve, la légitimité du chef de l’État relève théoriquement de sa rencontre avec le peuple lors de la présidentielle, il serait paradoxal de voir Macron, qui a été élu par défaut, acquérir sa légitimité aux législatives, qui est le champ clos des luttes partisanes. Rien ne serait pire, bien sûr, pour le pays, puisque ce semblant de légitimité, il l’emploierait à réaliser un programme qui, sur tous les plans, est funeste à la France. Il y aura, pour nuire aux intérêts de la nation, suffisamment d’accommodements, en cas d’assemblée sans majorité absolue, entre les députés macronistes, la gauche des LR et la droite du PS pour fournir à Macron des majorités de circonstances sans qu’il faille favoriser l’émergence d’un bloc « progressiste
» – celui que Valls a échoué à constituer –, qui arguera du suffrage populaire pour réaliser son seul dessein : la normalisation de la France par l’Union européenne, au sens où, en 1968, la Tchécoslovaquie fut normalisée par l’Union soviétique après le printemps de Prague, Bruxelles et Berlin jouant le rôle du Kremlin.
Si, comme Pierre-André Taguieff l’écrivait récemment dans Le Figaro, « la soumission joyeuse à la marche fatale du monde, tel est l’horizon indépassable de l’ère Macron qui s’ouvre
», alors il faut tout faire pour éviter la constitution à l’Assemblée d’une majorité macroniste en favorisant tout d’abord les candidats patriotes, non seulement au premier tour, mais également, lorsque ce sera possible, au second. Si malheureusement un tel choix n’est pas possible, il faudra alors se soucier du seul intérêt national en évitant à tout prix de donner à Macron une majorité pour détruire la France. Certes, le vote en faveur de certains caciques des LR ou du PS est impossible, et profitons-en pour les renvoyer dans les cordes. Nul besoin de donner des noms : ils ont été de tous les mauvais coups, contre la France, contre le pays réel ou contre la famille. Pour Bruxelles, pour l’invasion migratoire ou pour les prétendues avancées sociétales. D’ailleurs, ils seraient les premiers à collaborer avec Macron. Mais le plus important est d’être soi-même convaincu qu’aucun « esprit des institutions
» ne prévaut sur l’intérêt national ! Et d’en convaincre ses plus proches voisins. Car la réussite de Macron signerait la défaite de la France. •